Chroniques d'un voyage dans les pays d'Europe de l'Est
La Roumanie
(pour profiter au maximum du voyage, attendez patiemment l'éclosion des images et de la trame musicale)
Carte montrant le trajet à travers la Roumanie.
19 juin 1968, entrée en Roumanie.
Départ d'
Ukraine
en direction de la
Roumanie
que nous atteindrons par le poste-frontière d'
Iasi
en
Moldavie
. Au poste-frontière roumain, on nous oblige au lavage complet de notre camping-car Wesphalia pour le débarrasser des microbes de l'Union Soviétique.
Cette formalité n'a pas de signification politique bien qu'elle en ait l'apparence à nos yeux
.
L'entrée en Roumanie est réjouissante. Les maisons sont blanches et fleuries, nous avons l'impression de changer de continent. Les gens sont accueillants et visibles partout. Tout un contraste avec la
Russie
et l'
Ukraine
où l'on ne pouvait voir la population que dans les villes.
Sur la route qui nous conduit vers
Galati
dans le
Delta du Danube
, nous aurons des passagers en tout temps, les gens le long des routes assimilant notre étrange véhicule à un autobus local. Dès qu'ils s'aperçoivent de leur méprise, ils feignent de ne pas accepter de monter mais notre insistance les convainc de le faire.
20 et 21 juin, Delta du Danube.
Aujourd'hui, nous faisons une excursion sur le
Danube
sur un bateau spécial aménagé pour les touristes. Le billet nous est vendu par un démarcheur qui parle français et qui a l'art d'embobiner les naïfs.
L'excursion doit nous mettre en contact avec toute la faune et la flore diversifiée du
Danube
qui charrie ici, les alluvions nutritives provenant du centre de l'Europe. Le voyage aurait dû, être magnifique. Nous n'avons vu que peu d'oiseaux cependant et nous nous sommes plongé dans la bouffe, la boisson et la fête avec ces quelques touristes français bavards et prétentieux qui encombraient le pont.
Au retour à
Tulcea
, comprenant notre déception, notre ami agent nous suggère de visiter une maison de paysan à l'intérieur du Delta d'où nous pourrions voir les cormorans. Ainsi, nous prenons la route en direction du village de
Mahmudia
où nous campons pour la nuit devant la maison d'un timide paysan. Nous y avons déjeuné, goûté, pour la première fois, au lait de chèvre, et avons fait connaissance avec ce couple de paysans ainsi que de leur charmante fille qui conversait en français.
Le matin à l'aube, nous avons navigué dans la brume matinale du delta, à la recherche des cormorans. L'excursion fut agréable en ce sens qu'elle nous a permis d'avoir un contact direct avec des gens du pays bien ancrés dans leur terroir.
22 juin, Mer Noire.
Visite de
Constantza
sur la mer Noire, et de ses magnifiques musées puis départ vers
Bucharest
.
Le long de la mer Noire, on note des installations touristiques importantes particulièrement à
Mamaïa
. Les développements touristiques y sont intéressants. Le bord de mer est un bien public dans les pays communistes de sorte que les développements d'habitations n'y sont pas réalisés en bordure de mer comme en occident préservant ainsi le paysage maritime. Les développement sont, à proximité de la plage, mais indépendants de celle-ci.
Sur tout le trajet, nous prenons des passagers. Passé
Mamaïa
, un jeune garçon sur quelques kilomètres de route, du traversier à
Slobozia
, deux pêcheurs à qui l'on refuse qu'ils nous remettent un pourboire de 25 lei. Ils sont émus. À notre arrêt pour dîner, un jeune berger que nous emmenons sur 20 kilomètres. Depuis notre entrée en Roumanie, nous aurons roulé plus de temps avec des passagers que seuls. Cela nous rend le pays plus familier et d'ailleurs depuis notre départ de Russie, tout nous semble plus familier, plus facile, et nos appréhensions disparues comme par magie.
23 juin, Bucharest.
Nous faisons la découverte nocturne de
Bucharest
. La nuit, les villes des pays de l'Est sont animées. Elles bougent comme des ruches d'abeilles, sur deux pattes. Le peu d'autos qu'il y a dans le pays s'immobilise à la tombée du jour. Les restaurants sont bondés. Il nous serait difficile d'y entrer à moins de patienter. Les gens y font la queue, le sport obligatoire des citoyens des pays de l'Est.
Une partie de la journée sera passée au
village Bucaresti
. Toute l'architecture de la Roumanie y est reconstituée. Un site hautement intéressant pour l'architecte que je suis.
24 juin, fête nationale des canadiens-français, Bucharest.
Au matin, sur le camping de
Bucharest
, un jeune roumain nous offre d'échanger des Lei à 25 pour 1 dollar. Nous achetons pour une valeur de 30 dollars. Ces opérations sont risquées mais comment y résister? Cet argent doit lui servir à partir vers l'Allemagne puis vers le Canada, étrange coincidence.
Je rencontre
son amie yougoslave, qui a travaillé au Château Champlain à Montréal
, et nous parlons de choses et d'autres, du pays, de la difficulté pour eux d'économiser de l'argent. Nous quittons
Bucharest
après une vidange d'huile bien amateur dans une station-service pourtant réputée du centre-ville.
25 juin, Brasov et les Carpates.
Nous touchons les
Carpates
, montagnes coupées en dents de scies, et ferons un voyage de quelques heures des plus féériques. A chaque kilomètre, nous additionnons les beautés nouvelles à celles accumulées depuis l'entrée en
Roumanie
. À
Sinaia
, nous escaladons les rues tortueuses bordées de villas, de monastères et de châteaux. À la fin du jour, nous entrons à
Brasov
que nous visiterons avant la nuit, ville extraordinaire sise au creux de montagnes.
25 juin, Sighisoara ,Tirgu Mures et Laco Roso.
Au matin, poursuite du trajet, sur une route des plus pittoresques, un défilé entre les montagnes, nous arrivons à
Sighisoara
, le but de notre excursion. Un orage infernal nous empêche de visiter la ville. Nous écrivons des cartes postales puis décidons de continuer notre route devant la force de l'orage. À la sortie de la ville, l'orage s'est soudainement arrêté. Nous faisons un arrêt rapide à
Tirgu Mures
puis poursuivons vers
Sovata
centre touristique bien fréquenté. Nous y voyons des gens en costume national, et empruntons une route de terre vers
Gheorghieni
. Il y a beaucoup de poussière. Nous traversons une immense plaine, un village interminable qui borde la route. Les gens sont amicaux. Puis c'est la montagne, la vraie montagne, accessible par un col d'une dénivellation époustouflante. Il fait déjà nuit, nous roulons dans la brume, dans les nuages, Marie est affolée, c'est presque la panique. Nous sommes seuls sur la route, avec l'impression du bout du monde. Nous arrivons finalement à
Laco Roso
, village dans les nuages, d'un aspect sinistre, nous sommes angoissés, Marie est au bord de la crise, elle a peur. Nous explorons les moindres petites routes pour enfin trouver un espace plat où nous pourrons passer la nuit.
26 juin, les Gorges de Bicaz
Ce matin, l'atmosphère a changé, nos angoisses ont disparu, la montagne nous revigore. Passé
Laco Roso
, nous traversons les
gorges de Bicaz
par une route étroite encaissée entre des falaises de granit mémorables. Dans la haute vallée, les habitants portent le costume national. Les femmes filent la laine devant leur porte. Nous visitons plus tard, le
monastère d'Agapia
, une merveille d'architecture moldave. Les murs sont blancs et les toits débordent largement sur les murs.
27 juin, les monastères moldaves.
Nous visitons les monastères moldaves de
Varatec
,
Agapia
,
Voronet
et
Humor
où nous passerons la nuit. Ce sont de petites chapelles minuscules dont les murs intérieurs et extérieurs sont peints de magnifiques fresques. Partout, les religieuses nous expliquent l'histoire des monastères. Les petits musées qui les accompagnent sont magnifiquement aménagés par
les religieuses, dont le doigté, le bon goût et l'habileté sont indéniables
.
28 juin, Suceiva
Croyant manquer d'essence, nous faisons notre première crevaison. On nous la répare dans un atelier primitif ou c'était la première fois qu'on voyait un pneu sans tube.
Avant l'arrivée à
Suceiva
, nous rencontrons des gitans qui bivouaquent sur le bord de la route, perchés jusque dans les arbres.
À
Suceiva
, ville moderne et sans âme construite par des bureaucrates également sans âme, nous découvrirons une ville en fête, avec des habitants qui semblaient avoir, du moins pour ce moment et au grand dam des bureaucrates, une âme.
Parmi les passagers ramassés sur la route, une vieille dame âgée, deux enfants et un homme qui pourrait être un homme d'affaires européen. Il est bien vêtu, nous conversons en anglais. Bien qu'il ne soit pas communiste, il s'accommode du régime en place, et il semble se débrouiller pour en tirer profit. Nous n'insistons pas trop sur ses activités. Il pourrait être n'importe quoi, un honnête commerçant, un trafiquant ou un délateur auprès des autorités soupçonneuses du pays.
29 juin, Cluej.
La route de
Cluej
est angoissante, la poussière s'infiltre partout . Nous sommes exténués, irascibles, vindicatifs, mais ferons tout de même la plus grande partie du trajet avec des passagers. Malgré les travaux routiers et les attentes interminables, nous rencontrons des gens charmants qui ne se laissent pas emporter par l'illusion du temps et acceptent avec philosophie ces inconvénients temporaires. Cela tempère momentanément notre
impatience injustifiée d'Occidentaux
. Par la vitre de l'auto, nous discutons avec un autre conducteur stationné comme nous. Il nous parle en français de tout et de rien, des journaux français qu'il reçoit par la poste. Heureuse coïncidence.
A Clucj, une halte au camping nous assure d'une bonne douche bien méritée. Il nous aura fallu 4 heures pour couvrir les 80 kilomètres qui séparent
Voronet
de
Bistrita
, 2 heures pour les 125 kilomètres entre
Bistrita
et
Clucj
.
30 juin, Sibiu
Nous nous arrêtons près d'une épicerie pour quelques achats. Des rencontres inoubliables se trament. À chaque fois, des attroupements se créent autour du véhicule trop ostentatoire pour passer inaperçu. Ici, des jeunes échangent timbres contre monnaie. Un homme, croyant m'aider, les éloigne. Nous conversons en allemand faute d'autre moyen. Puis un homme à une fenêtre engage la conversation avec nous en français. C'est une nouvelle amitié qui se crée entre nous et
les membres de la famille
Petru Herlea
.
Le lendemain nous assistons à un festival folklorique que nous a recommandé notre nouvel ami. Nous y découvrons toute la richesse du folklore roumain dont les pièces musicales endiablées nous accompagneront tout le reste du voyage. Nous revoyons par hasard notre nouvel ami et son épouse, près de notre auto qu'il a reconnue parmi les véhicules locaux. Ils en font la visite complète et nous échangeons nos adresses respectives.
2 juillet 1968, Bucharest
Je suis à la recherche de chambres à air pour mes pneus. Je sors bredouille d'une échoppe de vulcanisation et j'aperçois notre ami roumain du camping rencontré lors de notre premier passage. Il est accompagné d'un étudiant Ghanéen. Il m'offre une chambre à air. Nous allons chez lui et j'hérite alors de 3 nouvelles chambres à air, et une grande reconnaissance de ma part
pour ces gens qui n'ont que le strict minimum et qui sont prêts à tout donner
. Nous nous mettons à penser que
les guerres froides sont entretenues par les gouvernants et que les peuples regardent impuissants ce vaudeville inutile
.
3 juillet, passage en Bulgarie
.
Nous quittons
Bucarest
en direction sud pour la
Bulgarie
que nous atteindrons par le poste-frontière de
Giurgiu
.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Voyages et photos de l'auteur, 1968) ©2001 Jean-Pierre Lapointe
Musique serbe empruntée aux archites du Web.
Suite du voyage en Bulgarie et en Hongrie
RETOUR À MARCO POLO
OU LE VOYAGE IMAGINAIRE
Hébergé par
Geocities
My Host