" Le cavalier et sa monture ailée n'étaient plus qu'un amas d'os blanchis, et nul n'aurait su dire si tel ou tel cartilage avait appartenu au général ennemi ou à son dragon. Désormais, la déroute de l'armée adverse était totale...
- Tu vois Festinus, l'ennui avec ces avortons d'elfes noirs, et plus encore avec les dragons, est qu'ils disposent d'une espérance de vie élevée, pour des mortels, j'entends ; aussi le vieillissement prématuré que je leur ai infligé a-t-il mis du temps à porter ses fruits...pourris, bien entendu.
La silhouette du ténébreux nécromant se redressa sur sa monture, comme pour mieux contempler l'ampleur du carnage. A travers les corps meurtris de ses adversaires, il ne voyait que de futurs et obéissants sujets, et a travers ceux de ses propres troupes, de braves pantins prêts à jouer de nouveau leur danse macabre sur un simple effort de concentration. Même les piaffements d'impatience de son énorme manticore ne surent l'arracher à sa contemplation.
- Tu sais Festinus, un jour, peut-être, tu devras faire régner l'ordre en mon nom. Aussi penses-je qu'il est temps pour toi de savoir comment mener mes troupes à la bataille, pour gagner, bien entendu.
Ponpal ne parlait pas, Ponpal décrétait. Son arrogance n'avait d'égal que sa mégalomanie, et se mettre en travers de sa route condamnait l'indigent à une vie brève, mais pleine de souffrances.
- Ton verbe est mon ordre, Seigneur.
A vrai dire, le pauvre Festinus avait à peine écouter les propos de son infernal tuteur. Il était bien trop occupé à observer les goules dévorer les morts et les mourants. Cela faisait plusieurs années qu'il servait le Haut Seigneur des Cadavéreux, et jamais il ne s'était habituer à ce répugnant spectacle.
- Tu les exècres, n'est-ce pas ?
- C'est à dire...
Comme à chaque fois que Ponpal riait, Festinus eût un frisson. Ces manifestations d'allégresse avaient un coté éminemment malsain, ce rire, plutôt que d'exprimer une quelconque joie, ne semblait être qu'un torrent de haine et de sadisme...
- Je ne les supporte pas moi-même, mais il faudrait être stupide pour se priver de troupes aussi simples à entretenir. Certes, elles ne sont à priori efficace qu'à l'encontre de troupes peu protégées, mais tu oublies un peu vite qu'elles sont couardes et qu'elles réagissent aussi vite que des humains...
Festinus ne comprenait pas pourquoi son Maître érigeait la couardise en vertu.
- Réfléchis un peu...Si tu portes ces créatures en première ligne, d'une part elles serviront de rempart contre les projectiles adverses, et d'autre part, si, juste derrière elles tu as la clairvoyance de placer un énorme régiment de troupes solides et bien commandées, tu obtiens une arme terrifiante ! Les goules pourront selon ton choix, tenir la position et ralentir l'adversaire, ou mieux, fuir et permettre à l'unité de seconde ligne placé derrières elles de charger les troupes adverses !
- Mais elles risquent de se faire exterminer sans provoquer le moindre dommage ?!?!
- Et alors ? Il ne faut pas hésiter à sacrifier quelques troupes si l'on veut soumettre l'adversaire. Le tout est de trouver la juste complémentarité.
- Est-ce en vertu de cette règle que vous avez également envoyer de petits régiments de squelettes et de zombies en première ligne ?
Ponpal était satisfait de la réponse de son apprenti. Une fois de plus, il louait son génie. Après tout, c'était lui qui l'avait choisi, non ?
- Exactement. En envoyant ainsi des régiments de faible importance se faire massacrer, je permets à d'autres unités, plus consistantes, de se placer et de charger l'ennemi sur le coté. Si les troupes destinées à ralentir l'adversaire survivent, ce dernier est submergé et ne peut que perdre le combat. En ce qui concerne ces troupes sacrifiables, tâche de te souvenir que les zombies, bien nécessitant un effort de concentration moindre, ne sont efficaces que pour ralentir l'adversaire, puisqu'ils ne sont pas vraiment efficace en combat et que tu perdras ton contrôle sur eux dès que les choses tourneront mal. Les squelettes, quant à eux, ne reculeront jamais quelles que soient leurs pertes, ce qui est idéal si tu compte submergé l'unité ennemie...
- N'y a-t-il pas d'autres moyens ?
- Bien sûr que si, mais ils sont complémentaires. Vois donc mes unités de cavalerie. Elles sont rapides et n'ont cure des obstacles. Avec elle, la submersion est chose aisée. Le plus important est de trouver l'équilibre. Certaines unités doivent ralentir l'adversaire pendant que les autres se placent et extermine une unité, puis une autre, et une autre encore.
L'agitation de Ponpal grandit, puis sembla se communiquer à sa terrible monture.
- Festinus, garde toujours à l'esprit que mes troupes chassent en meute, que le comportement de chacune dépend de l'efficacité de la stratégie de groupe, qu'il faut penser en termes de schémas d'attaque plus qu'en tactique propre.
- Mais, Seigneur, certaines de vos unités sont pourtant capables de faire la décision à elles seules ?!?!
- Bien sûr, les Momies ou les Spectres sont de terrifiants opposants, quel que soit l'adversaire. Mais l'effort de concentration nécessaire pour les animés réduit leur nombre. Les spectres sont particulièrement sensibles, malgré leur puissance démesurée. Ils font d'excellents champions d'unité, mais dans le cas où j'en mobiliserais un régiment, il vaut mieux qu'il soit épauler par une autre unité, sans quoi c'est lui qui sera submergé, tant bien même l'adversaire ne pourrait pas lui faire beaucoup de dommages. Toutefois, les spectres ont, à l'instar des fantômes et des cavaleries squelette et revenant, cette possibilité de passer les premières lignes ennemies pour s'attaquer au cœur de l'armée adverse, les mouvements de débordement étant souvent fatals.
- Et les momies ??
- C'est sans conteste une unité à part...Elle me demande beaucoup d'efforts, mais bien commandée, bien équipée, et d'une bonne taille, elle agit comme un fleuve en crue, rien ne peut l'arrêter ! L'inconvénient est sa lenteur. Elle peut ainsi servir de pivot à l'armée, ou encore occuper une aile à elle seule. Bien puissant celui qui la terrassera !
- Votre Seigneurie n'inclut pas les revenants et les gardiens des tombes dans les unités puissantes ?
- Les revenants sont à peine de corrects champions d'unités. La seule chose qui me pousserait à en constituer des régiments serait la présence de hordes démoniaques...les démons ont horreur des Armes Spectrales. En ce qui concerne l'unité que tu commandes, elle peut tenir une armée complète en échec pendant que le reste de mon armée manœuvre ! Toi et Acherios êtes dans cette unité pour lui donner plus de mordant, mais elle est capable de très bien se débrouiller seule, à condition de pouvoir compter sur une Couronne comme celle que possède Acherios. Tant qu'il est présent dans l'unité, vous êtes capables de tenir quelles que soient les pertes, et s'il advenait qu'il soit tué, les gardiens continueront encore de se battre suffisamment de temps pour que j'intervienne avec des renforts. Crois-moi, tu devrais être ravi de combattre dans une telle unité, aussi petite soit-elle...
- Je n'en doute pas, Mon Maître...
- Le reste du dispositif est simple : les charognards doivent faire taire les machines adverses et anéantir à la fois les unités ennemies en fuite et les unités d'infiltrations. Privés de moyens d'attaque à très longue portée, l'armée adverse n'a plus qu'à venir nous titiller d'assez prêt pour que les catapultes entament leurs rangs. C'est génial n'est-il pas ?
- Oui Maître. Mais euh... et nous ??
- Nous ?!
- Oui, Vous, moi, Von Reuer, Acherios et les autres...
- Si tu as bien suivi mon enseignement, tu te seras rendu compte que les cadavéreux ne sont pas pour la plupart les troupes de choc rêvées. Il faut donc leur donner plus de mordant, et c'est cela votre tâche, mes fidèles. Quant à moi, j'agresse l'adversaire là où il ne m'attend pas, par derrière, j'extermine par mes sorts ses plus puissantes unités et ses meilleurs soldats, je m'engage lorsque ma Présence est nécessaire à faire basculer un combat, et surtout, je le terrorise. Quoi de plus inquiétant en effet que de m'avoir derrière ses propres lignes, intouchable...
Festinus restait coi. C'est alors qu'il se remémora la bataille qui venait de se terminer. La conclusion lui appartenait : il se rendait compte que son Ténébreux Mentor avait appliquer sans faillir ses principes, quels que furent dans un premier temps les résultats. En définitive, cela avait payé...
- Encore une question, Maître.
- Festinus ?
- Quelle est l'utilité des archers squelettes ? Ils ne toucheraient pas un dragon à 10 mètres ! L'ennemi en a même rit !!
- Certes, il en a rit au début...Certes, les archers squelettes sont gauches. Mais ne t'ai-je appris le sort qui te permet de les faire tirer à une cadence démente ?? Crois-moi, si tu utilise ce sort, ils ne tireront pas mieux, mais l'ennemi sera la cible d'une telle pluie de flèches qu'il ne pourra en sortir indemne !
- Bien Maître, je m'en souviendrais.
Ponpal et Festinus avaient désormais les yeux rivés sur la plaine jonchés de cadavres. Ils ne parlaient plus. Festinus reconstruisait la bataille, sans même penser aux nombreux guerriers qu'il avait tués. Il ne pensait plus pareil, maintenant. Il n'était plus Festinus, mais un des rouages du sinistre manège de Ponpal, il sentait son individualité noyée dans les desseins de son Impitoyable Maître. Il savait qu'il devrait en faire ainsi à l'avenir, s'il voulait devenir aussi puissant que son tuteur.
Mais il savait également qu'il pourrait un jour faire partie de ces unités destinées à ralentir l'ennemi..."