Qu'importe le flacon...

Le plus gros problème de la drogue, ce n'est pas le ou les produits qu'on prend, mais l'attitude qu'on a vis-à-vis d'eux. Il y a une énorme différence entre quelqu'un qui va prendre une cuite de temps en temps et une autre personne qui va s'enfiler dix Ricards chaque soir au bistrot. De même, une personne qui va consommer un produit, même un produit réputé dangereux, une fois de temps en temps, par exemple, une fois par mois, court un risque minime, bien moins grand que si elle fumait quinze cigarettes par jour. L'attitude toxicomane n'est pas liée à un produit particulier, c'est quelque chose de beaucoup plus profond, et cette attitude perdure même si on est sevré. Junk d'un jour, junk toujours.

Les ennuis commencent lorsqu'on va consommer régulièrement un produit, quel qu'il soit. Tous les produits entraînent tôt ou tard une dépendance: si vous fumez depuis un certain temps et que vous arrêtez, vous vous sentirez très mal: nausées, maux de tête, "gueule de bois", mauvaise humeur, courbatures, réveil brutal en pleine nuit, sans compter une envie irrépressible d'en griller une petite. C'est ce qu'on appelle un syndrôme de manque: votre corps est devenu dépendant de la nicotine, et se met à mal fonctionner parce qu'il n'a plus sa dose. Ces effets disparaissent au bout de quelques mois, mais l'envie de fumer, elle, ne vous quittera pas: c'est la dépendance psychologique, le souvenir des bons moments que vous avez passés avec le tabac, et qui ne s'effaceront jamais. Par contre, on oublie très vite les mauvais moments: toux du matin, barre sur la poitrine, essoufflement, mauvaise haleine, etc. Les syndrômes de manque vont varier d'un produit à l'autre, malaise diffus mais persistant pour le tabac, gueule de bois étalée sur plusieurs semaines pour l'alcool, migraines violentes pour le café, souffrance intense pour l'héroïne.

Tous les produits vont aussi entraîner une tolérance ou accoutumance: votre corps va s'y habituer petit à petit, et il faudra augmenter les doses pour ressentir les mêmes effets. Tout le monde connait des gens qui "tiennent" bien l'alcool, c'est à dire qui peuvent boire beaucoup plus que les autres sans être apparemment ivres. En fait, ces personnes ont acquises une tolérance à l'alcool à force de boire, et il leur faut des doses plus élevées pour atteindre l'ivresse. Par contre, les dégâts causés par l'alcool restent proportionnels aux quantités ingurgitées.

Autre grand problème des drogues: elles sont pour la plupart illégales, et vous mettent dans une situation de contrevenant si vous en consommez. De plus, l'illégalité des produits vous oblige à avoir des contacts avec des gens peu fréquentables, et ne permet aucun recours si on vous refile de la merde. Là, les ennuis peuvent survenir à la première prise, que ce soit avec la Police, avec une petite frappe qui vous braque vos thunes, ou à cause d'un produit frelaté.

Pour finir de noircir le tableau, certaines drogues (par exemple le L.S.D.) peuvent entraîner des troubles psychologiques graves et irréversibles dès la première prise, alors que d'autres (par exemple le Crack) peuvent vous rendre dépendants instantanément. La prise répétée d'alcool vous transforme en épave, celle d'héroïne fait de vous un zombie.

Les dangers d'un produit n'ont rien à voir avec sa légalité: le sevrage de l'héroïne demande plusieurs semaines alors que le tabac entraîne plusieurs mois de manque (et des années de manque psychologique), l'alcool vous démolie plus sûrement que l'opium, et certains médicaments mal employés peuvent vous expédier ad patres dans les meilleurs délais. De même, l'escalade (passage d'une drogue à une autre plus dure) est un mythe, ou alors il faut d'urgence interdire le tabac et l'alcool puisque presque tous les toxicomanes ont commencé par ça.

En fait, il convient d'adopter vis-à-vis de ces produits une attitude distante et hédoniste. La prise d'une drogue doit rester une chose exceptionnelle. De même, on ne doit jamais prendre ces produits parce qu'on ne se sent pas bien ou parce qu'on veut se donner un coup de fouet: dans ces cas-là, consulter un médecin est la meilleure attitude. La prudence enseigne aussi qu'il vaut mieux ne jamais prendre certains produits, soit qu'ils présentent des risques médicaux certains, soit qu'ils risquent de vous accrocher quasiment du premier coup.

En respectant certaines règles de prudence, il est possible de profiter des bon côtés des drogues en évitant les pièges qu'elles vous tendent. On se trouve alors dans une situation analogue à une personne qui pratique une activité dangereuse, parachutisme, rafting ou saut à l'élastique. Au risque de choquer, je pense qu'il est infiniment moins dangereux de prendre un peu de coke ou d'héro de temps en temps que de faire, par exemple, de l'alpinisme sans guide.

Quelques règles d'or s'imposent:

La Défonce du Consommateur

Laureline est une jeune fille moderne et dynamique. Elle ne fume pas, sauf peut-être une ou deux cigarettes dans une soirée. Après une journée active, il lui arrive de se détendre dans un bon bain chaud avec un petit verre de porto, ou bien une cigarette de marijuana. Avec un bon repas, elle aime bien tremper ses lèvres dans un verre de bon vin, de préférence un Bordeaux rouge. Une fois par mois, elle va à une fête avec ses amis, et elle apprécie une ecsta pour prolonger la nuit. Elle aime aussi accompagner les grandes occasions par une petite ligne de coke, voire même d'héro, mais c'est plus rare.

Valérian est un bon vivant. Il fume un paquet de cigarettes par jour. Le midi, il déjeune avec ses collègues et accompagne son repas d'une bière. Le soir, après le travail, il retrouve ses amis au bistrot, et bois quelques apéritifs avec eux. Ensuite, il rentre chez lui et déjeune avec sa femme et ses enfants, et aime bien boire quelques verres de vin, surtout avec le fromage. Le week-end, il invite ses amis autour d'une bonne table enrichie de plusieurs vins qui mettent en valeur les plats, et termine sur un petit alcool et un bon cigare.

Contrairement à une idée reçue, la personne qui a un comportement à risque, c'est Valérian. Sa consommation d'alcool et de tabac en font un excellent candidat aux maladies cardio-vasculaires et au cancer. Il aura le plus grand mal à se passer des produits qu'il prend, risque de nombreux problèmes sociaux liés à l'alcool: accidents de la route, problèmes familiaux, mauvais exemple pour ses enfants, etc...  Laureline, elle, aura peu de difficultées à se passer de drogues au vu des quantités minimes qu'elle prend, et pourra, par exemple, décrocher sans effort si elle souhaite avoir un enfant. Quand aux risques médicaux pour elle, ils existent mais sont minimes.

Parlons budget. Laureline va dépenser environ:
 

Produit Quantité Prix Budget Annuel
Tabac 10 g/semaine 1 F/g 520 F
Cannabis 10 g/mois 30 F/g 3 600 F
Vin 75 cl/semaine 50 F/btl. 2 600 F
Ecsta 1 dose/mois 100 F/dose 1 200 F
Coke (héro) 5 g/an 800 F/g 4 000 F
Total 11 920 F
 
 Soit un budget d'environ 1 000 F par mois, ce qui est loin d'être négligeable. Voyons maintenant les comptes de Valérian:
 
Produit Quantité Prix Budget Annuel
Tabac 20 g/jour 1 F/g 7 300 F
Apéros/Bière 3 par jour en semaine 10 F/verre 7 800 F
Vin 1/2 btl./jour en semaine  
3 btl/week-end
20 F/btl.  
50 F/btl
2 600 F  
7 800 F
Spiritueux 1 btl./mois 100 F/btl. 1 200 F
Total 26 700 F
 

soit un budget de 2 225 F par mois. Wow! Non seulement Valérian ruine sa santé, mais en plus il dilapide l'argent du ménage.

Pour son comportement, Valérian risque en tout et pour tout un retrait de permis. Laureline, elle, risque un an de prison et une lourde amende. Cherchez l'erreur...
 

Cuisine et Dépendances

Tous les produits créent une dépendance, mais pas au même degré. La dépendance ne dépend d'ailleurs pas seulement du produit, mais aussi de la personne qui les prend: tout le monde ne réagit pas de la même manière, certaines personnes possèdent une résistance naturelle, d'autres seront plus sensibles, et l'état d'esprit compte pour beaucoup. Le petit tableau ci-dessous classe les produits selon leur 'adhérence', c'est à dire non seulement la facilité avec laquelle ils s'attacheront à vous, mais encore l'obstination qu'ils mettront à s'incruster dans votre vie. La cotation va de zéro (aucune dépendance) à cent (secottine premier dan). Les produits sur fond bleu sont en vente libre en France.
 
 
Produit
Cotation
Psylocibes, Mescaline, LSD 18
Ecstasy 20
Cannabis, Haschich 21
PCP (phencyclidine) 57
Caféïne 68
Cocaïne 72
Amphétamines type Crank (sniffé) 78 
Héroïne 80
Alcool 81
Barbituriques type Seconal (secobarbital) 82
Quaalude (methaqualone) 83
Valium (diazepam) 85
Amphétamines (injectées) 93
Crack 98
Nicotine 100
 

Ce tableau a été créé par John Hasting et publié dans In Health (nov/dec 1990), on le trouve dans le niouzegroupe alt.drugs. Il inspire quelques réflexions:

 Ne pas dépasser la dose proscrite

Tout produit possède une dose à partir de laquelle il atteint un niveau de danger inacceptable. Même un produit aussi innocent que l'eau plate, prise en quantité suffisante, vous enverra faire causette avec Saint Pierre: les membres d'une certaine secte en ont fait l'expérience alors qu'ils voulaient purifier leur corps en absorbant moultes litres d'eau. La dose léthale est la limite à partir de laquelle la majorité des consommateurs passeront l'arme à gauche. On la calcule en sacrifiant d'innocentes bestioles (souris, lapins, etc..) et en extrapolant à l'homme en le considérant comme une grosse souris ou un gros lapin. C'est dire comme c'est fiable, et il vaut mieux rester bien en deçà des seuils indiqués, dont le principal intérêt est de donner une idée de la toxicité relative des produits.

Le tableau ci-dessous donne une cotation de la toxicité selon trois critères. La première colonne indique un indice de sécurité: plus l'indice est élevé, moins le produit est toxique. La deuxième indique une dose de sécurité, qu'on peut prendre sans trop courir de risque. La troisième indique la LD50, c'est à dire la dose qui tue 50% des cobayes, en milligrammes par kilo, mesurée sur des souris. Ces informations proviennent encore de alt.drugs, et sont données en l'état, sans aucune garantie (je me mouille pas).
 
 

Produit
Indice de sûreté
Dose moyenne
Dose léthale
LSD 4816 0,25 mg, oral 16 mg/kg 
Psylocibine 641 12 mg, oral 280 mg/kg 
THC (cannabis) 420 20 mg, oral   
5 mg, fumé 
730 mg/kg
Aspirine 199 325 mg, oral 1100 mg/kg 
Caféïne 84 100 mg, oral 127 mg/kg
Nicotine 21 0,7 mg, fumé 0,3 mg/kg 
 

Une fois de plus, on constate que le tabac est vraiment une belle saloperie, et que les hallucinogènes sont relativement peu dangereux. Autrement dit, il est grand temps d'arrêter de fumer, d'ailleurs c'est facile, moi je l'ai fait plus de vingt fois...

Tous ces tableaux ne présentent qu'un seul critère et ne permettent pas une vue synthétique. Je vous propose une autre manière de noter les différentes drogues, qui à ma connaissance est originale, et qui tient compte de 8 paramètres:

On obtient alors le tableau suivant:
 
Café H Ecsta LSD Tabac Alcool Coke Hero
Toxicité (risque d'empoisonnement)
0
0
1(2)
0
1
3
4
5
Toxicité (usage à long terme)
1
1(1)
1
1
4
5
3
2(5)
Accrochage
2
1
1
1
5
3
4
4
Dépendance physique
3
1
0
0
3
3
3
5
Dépendance psychologique
3
3
2
2
5
1