Pourquoi «elle» - SUITE
Mon ex-épouse n'a jamais su, à propos de mon travestisme; elle ne l'aurait pas acepté, j'en suis certain. S'il n'y a pourtant pas de lien direct entre ma double-vie secrète et l'échec de mon mariage, j'ai quand même compris, avec le recul, que nos conventions de départ nous menaient tôt ou tard à un échec affectif. Or ces conventions n'étaient pas étrangères à mon fantasme inavouable.
Je m'explique. Quand nous avons commencé à nous fréquenter, elle et moi, il nous semblait très important de respecter notre indépendance mutuelle. Non pas sur le plan sexuel (nous étions tous deux du genre fidèle), mais sur le plan affectif et intellectuel. Elle se sentait vulnérable et craignait l'envahissement. Je me savais hanté par une double personnalité que je voulais tenir à l'écart de notre ralation. Il y avait donc, non écrite mais profondément ressentie, une entente de respect du territoire de l'autre, une limite imprécise à notre désir d'intimité partagée. Pendant plusieurs années, cela ne nous a pas empêché de mettre beaucoup de choses en commun, de s'aimer beaucoup. Mais sexuellement, nous n'arrivions pas à nous rejoindre.
Je n'y accordais pas beaucoup d'importance, en fait. Cela peut paraître étrange, après tout ce que je viens d'écrire sur ma vie fantasmatique; mais celle-ci était de moins en moins sexualisée, comme je l'ai déjà mentionné. Quant à mes ébats amoureux avec mon épouse, je les considérais comme un beau moment de partage, de tendresse, de caresses mutuelles, mais l'orgasme n'était toujours qu'un bref moment à passer, décevant dans l'ensemble, parce qu'il marquait la fin de l'excitation. Était-ce là un vestige de mes cycles auto-érotiques d'autrefois? Peut-être!
Toujours est-il que dans cet espace de tendresse sans passion, d'amour presque fraternel qui nous unissait, des malentendus se sont accumulés; et quand il aurait été nécessaire de remettre nos rapports en question pour traverser ces difficultés et trouver satisfaction mutuelle dans la sexualité, il était trop tard. Trop de non-dit. Trop d'espace inviolable qui nous isolait l'une de l'autre.
La tentation homosexuelle
Peu avant mes 30 ans, après une année de naufrage sexuel avec mon épouse, alors qu'elle avait, par dépit, choisi de prendre un amant, j'ai sérieusement cru que ma sexualité bizarre me rendait incompétent avec les femmes. Comme bien des travestis, je me suis demandé si je n'étais pas, au fond, un homosexuel qui se refusait. Pendant quelques semaines, c'est devenu une obsession. N'avais-je pas souvent rêvé que j'étais, comme femme, en train de séduire un homme?
Pourtant, je ne considérais ces scènes que comme fantasme. Je n'avais jamais été sexuellement attiré par un homme réel croisé dans un bar ou dans la rue. Pas la moindre excitation. Pas le moindre désir. Mes rêves honosexuels pouvaient du reste s'expliquer autrement: puisque je me créais une «elle» mythique, il était normal que je la projette comme femme fatale, aux bras ou dans le lit de quelque bel homme irrésistible, sans que j'aie envie de vivre réellement la scène imaginée.
Mentionnons en passant que j'ai retrouvé, dans le témoignage de nombreux travestis «hétérosexuels», une véritable ambiguité face à ce fantasme de l'amour avec un autre homme. Puisque le travestissement s'accompagne du désir d'être belle, de séduire, l'attraction qu'un homme peut ressentir envers nous est toujours gratifiante. Elle prouve notre réussite. Certains travestis se contentent de la séduction et se retirent avant l'acte, ce qui devient parfois un jeu dangereux. Mais d'autres choisissent de vivre la scène de séduction jusqu'au bout. Dans ce cas, ce n'est pas le corps du partenaire qui excite alors le travesti hétérosexuel, mais son propre corps, devenu objet du désir d'un autre. C'est Narcisse, poussé à son comble. Même dans le partage passionnel, c'est la contemplation de son propre corps et de son propre rôle «féminin» qui excite ces travestis bi-sexuels!
À la veille de mes trente ans, devant mon incapacité de satisfaire sexuellement mon épouse, j'ai donc voulu vérifier moi aussi où j'en étais, côté orientation sexuelle. J'aurais pu, bien sûr, commencer par tester dans les bars de rencontre ma performance avec d'autres femmes. Mais j'avais peur de l'échec, je crois. Et c'est tellement plus facile dans le milieu gai!
Je n'osais pourtant pas encore me montrer en femme à quelqu'un d'autre. J'ai répondu plutôt à une annonce où un jeune homosexuel recherchait un gars soumis, pour des jeux érotiques sans violence, précisait-il. C'était pour moi une façon de laisser à l'autre toute l'initiative. Cette expérience isolée m'a plutôt rassuré: si j'ai sans doute donné à mon partenaire le plaisir qu'il cherchait, je ne me suis pas senti très attiré par lui, et n'ai jamais eu l'envie de relancer un autre homme. En aurait-il été autrement si j'avais été habillé et maquillé en femme? Peut-être, mais je n'en suis pas convaincu.
Vers un partage du secret
Ce n'est que six mois plus tard, environ, que j'ai eu mes premières aventures hétérosexuelles extra-maritales. Quelle libération ce fut! Je me découvrais soudainement non seulement attiré, mais aussi compétent, et désirable je crois. Mais surtout, je découvrais enfin, à 30 ans, l'orgasme véritable. Pour la première fois, je jouissais d'une sexualité pleine et entière. C'est l'époque de ma seconde «purge»: j'ai jeté à la poubelle toutes mes revues et accessoires. J'étais guéri!
Quelques semaines plus tard, dans une boutique de lingerie érotique, je recommençais ma collection avec une corselette de lycra noir et des bas! C'est aussi ce même hiver que j'ai passé mes premières (et seules) vacances «en femme». Trois jours dans un chalet, à dormir en robe de nuit, à porter la jupe du matin jusqu'au soir à l'intérieur, et même sous mon manteau long lorsque j'osais sortir. La «guérison» n'aura été qu'une brève illusion et j'ai compris depuis que j'allais toujours vivre avec cette étrange dichotomie au coeur même de ce que je suis.
Lorsque j'ai finalement quitté mon épouse, quelques années plus tard, je savais que je ne voudrais entreprendre d'autre relation durable qu'avec une femme qui partagerait mon secret. Mais comment oser parler ouvertement de ce que je tenais si soigneusement caché depuis 25 ans! J'avais résolu de me donner du temps pour explorer cette femme en moi, pour l'apprivoiser, lui donner plus d'espace dans ma vie. Je ne savais pas jusqu'où je voudrais aller dans le travestisme et j'y avançais avec prudence. Tout juste ai-je laissé paraître quelques indices: j'ai commencé à me maquiller les yeux et à acheter des vêtements féminins que je ne faisais pas exprès pour cacher complètement.
Quand je suis remonté en amour, il n'a fallu que quelques mois pour que ma nouvelle compagne, à qui je n'avais pas encore eu le courage de parler, ne me surprenne en petites culottes, camisole et bas de nylon. Elle avait sonné à la porte, un soir où je ne l'attendais pas. Aux fenêtres, les toiles étaient baissées et je me suis précipité pour enlever à la hâte mes défroques compromettantes. Mais par une fente de lumière, elle a pu entrevoir ce qui se passait, de l'autre côté de la toile. J'étais mal-à-l'aise. Elle aussi bien sûr. Mais c'est elle qui a eu le courage d'aborder à nouveau la question, ce soir-là, après qu'on eut fait l'amour.
C'est sans doute la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Non pas que nous ayons pu par la suite partager activement mon fantasme. Bien des travestis ont cette chance de pouvoir vivre «en femme» avec leur épouse. Mais ce n'est pas ça l'essentiel. Après tout, si je veux qu'on tolère mon univers fantasmatique, ma compagne est en droit de réclamer la pareille. Et c'est un homme qu'elle aime en moi. Si mon image féminine devait lui paraître ridicule, pourquoi devrais-je la lui imposer?
Non! L'important, ce n'est pas qu'elle participe, mais qu'elle connaisse ce double de moi, qu'elle l'accepte, qu'on puisse en parler librement. Et qu'elle l'aime, aussi, dans une certaine mesure. Et surtout que cette connaissance de l'autre femme en moi nous ait permis de lever tous les obstacles à une intimité partagée. Je pense que c'est là la condition à une vie à deux pleinement réussie. C'est la quatrième généralisation que je propose: un travesti ne peut pas s'ouvrir complètement à sa conjointe, développer une relation pleinement satisfaisante à long terme, si elle ne partage pas son secret, cette partie importante de ce qu'il est.
Vivre en femme, en public
Si ma compagne actuelle a su accepter ce double au féminin, cette vulnérabilité qu'elle me découvrait avec un certain plaisir même, il y a un aspect de mon travestisme qui l'inquiète: jusqu'à quel point cette étrangère en moi prendra-t-elle de plus en plus de place, jusqu'à chasser complètement, un jour, l'homme qu'elle aime?
J'ai souvent réfléchi à ce problème, avec un peu d'angoisse, je l'avoue. Surtout quand j'ai compris, au fil de mes recherches, que le travestisme est un déviance dont on ne guérit pas. Certes, il se peut que les individus qui ont connu des épisodes travestis dans leur jeunesse puis ont réglé seuls ce problème de comportement, n'en parlent tout simplement pas. Cela expliquerait leur absence dans la communauté des travestis et dans la littérature scientifique. Mais ce qui est sûr, c'est que toutes les thérapies proposées sur le tard semblent impuissantes à régler ce problème de cohérence entre sexe et genre.
Dès lors qu'on n'en guérit pas, il reste deux évolutions possibles. La première, c'est le refoulement. C'est le cas de nombreux travestis qui ne franchiront jamais la porte de leur chambre à coucher, sauf peut-être pour de rares excursions nocturnes, et chercheront toute leur vie à camoufler aux autres cet aspect dérangeant de leur psychologie. C'est peut-être la majorité des cas; comment savoir, puisque, par définition, ces travestis-du-silence refusent en général d'en parler? Mais une vie entière à refouler une partie de ce que nous sommes n'est pas la meilleure recette de l'épanouissement. Il reste alors l'autre solution: l'acceptation de soi, et l'affirmation de ce qu'on est.
Ce choix ne peut être que progressif puisque le travestisme se vit toujours dans la honte au début de l'adolescence. Sauf dans les milieux homosexuels où l'expression libre de soi est plus ouvertement tolérée et pour quelques artistes qui vont très tôt fréquenter les scènes de cabaret et rentabiliser en quelque sorte cet autre versant d'eux-mêmes, la majorité continuera de tenir secret ce double difficile à comprendre et à accepter.
Mais d'un épisode à l'autre, au fil des achats furtifs qui vont bientôt constituer une garde-robe complète, à mesure que s'acquiert la maîtrise des techniques de maquillage et l'art de l'illusion, le travesti se sent de plus en plus capable de sortir de son isolement, de se montrer tel qu'il se sent au plus intime de son être.
j'ose une autre généralisation ici: même lorsqu'ils le nient, tous les travestis rêvent du jour où ils pourront marcher courageusement dans la rue, en femme. Dans les meilleurs cas, ils peuvent rêver du jour où l'apparence sera si parfaite que des hommes se laisseront séduire. Mais le plus souvent, ils ne se font pas d'illusion: tout ce qu'ils demandent, c'est de pouvoir passer inaperçus, comme ces milliers d'autres femmes qui vivent au grand jour, sans craindre d'être dénoncées.
Ce rêve, on peut l'assouvir d'abord en secret, en portant par exemple des dessous féminins sous ses défroques d'homme, pour aller travailler. Mais tôt ou tard, on veut aller plus loin dans l'ouverture, en risquant de brèves excursions en femme, la nuit.
Combien de fois ai-je ainsi quitté ma demeure en jupe courte, bas de nylon et talons hauts, l'été, pour de brèves promenades dans les ruelles, aux heures où tout le monde dort! Jamais très loin de chez moi, avec toujours une retraite possible, mais conscient malgré tout que la rencontre fatidique pourrait devenir inévitable.
L'hiver, c'est encore plus facile: sous un long manteau de suède, ma tenue féminine ne parait guère et seules les bottes aux genoux peuvent sembler étranges avec leurs talons un peu étroits. Mais qui regarde les talons des promeneurs rencontrés? Il m'est donc arrivé souvent de faire de longues promenades en solitaire, la nuit, et de croiser des gens qui n'ont jamais su que l'homme en face d'eux était vêtu en femme sous son manteau.
Mais c'est là, j'en conviens, un jeu périlleux. Ne serait-il pas plus sage, s'il faut s'aventurer en public, de le faire adéquatement? Raser ma barbe, me maquiller soigneusement le visage, porter une perruque, ajuster mes formes avec les accessoires qu'il faut et sortir en plein jour? C'est en tout cas beaucoup moins périlleux qu'en pleine nuit dans les endroits sombres, ce que toute fenmme sait fort bien!
Cette réflexion, je me la suis faite à plusieurs reprises. Et si je n'ai jamais eu le courage d'agir en conséquence, c'est plus par peur de moi-même que des autres. Certes, je n'aurai jamais des formes féminines enviables. Mais je sais que, sans barbe, maquillé et habillé sans outrance, je pourrais déambuler dans les rues sans trop attirer les regards, si j'y mettais quelques efforts. Dès lors, qu'est-ce qui m'empêcherait de donner à ma portion féminine cette place de plus en plus grande qu'elle réclame sans cesse? C'est un peu pour me défendre d'elle que je la maintiens aujourd'hui si étroitement surveillée.
De plus en plus «elle»
Cette lutte contre moi-même, ne suis-je pas condamné à la perdre? Tout espace additionnel que je consens à cette femme en moi, n'aura-t-elle pas tendance à l'occuper de manière irréversible? C'est en tout cas ce qu'ont vécu beaucoup de travestis lorsque, après un premier mariage vécu dans le secret, Ils ont choisi de vivre seuls, ou ont trouvé une compagne complice. Ils ont alors pu laisser libre cours à leur personnalité féminine, quelques heures par semaines, ou par jour, et de plus en plus souvent en public, avec leur épouse, avec des amies. Mais «elle» veut alors être de plus en plus femme. Il faut enlever ces poils trop abondants qui nuisent à l'illusion. Il faut épiler ces sourcils en broussaille, laisser pousser les ongles pour donner aux mains une apparence plus effilée. Et puis il y a les soins de beauté, les crèmes qu'il faut utiliser tous les soirs pour conserver cette peau de jeune fille. Et surtout les seins! Il serait tellement plus agréable d'avoir de vrais seins, au lieu de ces prothèses de caoutchouc qui imitent si mal l'organe véritable.
Tous les travestis, bien sûr, ne vont pas jusqu'aux hormones. Le fardeau médical est lourd et la perte de libido inévitable. Mais bon nombre de travestis qui ont décidé de «sortir en public», en viennent à vivre en femme pour des périodes de plus en plus longues, jusqu'à le faire à temps plein. Alors ils y songent forcément, surtout avec l'âge, quand l'appétit sexuel s'étiole de toute façon.
Pour ma part, je n'ai pas encore eu assez envie d'avoir de vrais seins. Et encore moins de sacrifier ma libido. J'aime trop mon sexe mâle et l'épanouissement qu'il m'apporte pour accepter de les sacrifier à mon genre d'emprunt. Mais je constate qu'avec l'acceptation de ma personnalité féminine, mon travestisme, bien que toujours «en privé», a pris une place beaucoup plus grande dans ma vie (et dans ma garde-robe), depuis 5 ou 6 ans.
Ainsi, j'ai commencé à porter les talons-aiguilles vers l'âge de 35 ans. Je le fais aujourd'hui avec une régularité suffisante pour ne pas perdre l'habitude, pour m'y sentir à l'aise, comme ces jeunes femmes qui peuvent affronter le monde avec élégance sur ces talons de 4 ou 5 pouces. Quand je travaille seul à mon ordinateur, j'en profite souvent pour revêtir quelque tenue plus confortable à mes yeux: jupe et blouse ample, robe légère ou peignoir. J'achète toutes mes culottes dans les comptoirs de lingerie féminine. Je porte souvent des bas de nylon, des porte-jarretelles ou d'autres dessous féminins sous mes vêtements d'homme. Et quand je dors seul, ce qui est plutôt rare j'en conviens, je le fais presque toujours en tenue de nuit féminine.
Rien de plus normal que cette apparente progression. Une partie de moi était jusqu'ici refoulée. J'ai choisi de la laisser vivre, de lui donner plus d'espace. Nous avons donc établi un nouvel équilibre qui semble pour l'instant plutôt stable. Mais dans 5 ans, dans 10 ans, Priscilla ne voudra-t-elle pas avoir droit, elle aussi, au grand air ?
Le travestisme, comme qualité humaine
Cette perspective inquiète certes ma compagne actuelle. Est-il possible, par contre, que cette «présence» qui remet en question l'essence même de l'homme qu'elle aime comporte par ailleurs certains avantages?
Beaucoup de travestis le soutiennent. Selon leur hypothèse, tous les humains partageraient, à l'origine, les traits de caractères des deux genres, et c'est le moule de la société qui nous enfermerait progressivement dans une personnalité féminine ou masculine. Une personnalité restreinte. Les travestis seraient les seules personnes à rouvrir ce carcan, à intégrer les deux faces de l'âme humaine.
Cette vision est trop idyllique. Rappelons d'abord que, pour la majorité des travestis, les deux personnalités se vivent en opposition, et non en intégration. Lorsqu'ils sont «en femme», ils adhèrent à outrance aux stéréotypes du genre: ils sont émotifs, vulnérables, serviables mais frivoles. Dès qu'ils redeviennent homme, ils reprennent souvent leur personnalité secrète, renfermée, froide, «macho» même. Loin d'être des androgynes, les travestis sont bien plus souvent des schizophrènes, déchirés entre deux caricatures de l'homme et de la femme qui se disputent la place, en eux. On pourra lire là dessus l'excellente enquête d'Annie Woodhouse auprès de travestis d'Angleterre, publiée sous le titre «Fantastic Women ».
Mais il y a aussi, dans la communauté des travestis, d'authentiques androgynes. Et même chez ceux qui n'en sont pas, on peut supposer que l'acceptation progressive de son double, le partage de vie dans l'harmonie et non plus dans le déchirement, pourrait conduire peu à peu à cette idéale intégration des deux genres et à un épanouissement de la personne dans sa totalité. Est-il possible, comme l'affirment certains militants du «trans-gendrisme», que le travestisme devienne alors, pour l'homme, une façon de connaître l'envers des stéréotypes, d'explorer l'autre versant du clivage social, de mieux comprendre les femmes et la féminité? Est-il possible que les travestis qui s'acceptent deviennent ainsi, à cause de cette double conscience, de meilleurs amants, de meilleurs maris?
Cela peut être vrai dans certains cas, mais pas nécessairement pour des raisons aussi simplistes que ce prétendu partage de la féminité. Ne nous faisons pas d'illusion. Sauf pour les transexuels qui deviennent pleinement femmes et doivent porter tout le poids de la condition féminine, la plupart des travestis, même les androgynes, ne font que «jouer» aux dames. Ils revendiquent certes leur droit d'exprimer une part importante de leur personnalité,. mais ils n'adoptent toujours qu'une parcelle de la réalité féminine. On n'est pas femme parce qu'on porte la robe et les cotillons et qu'on parle de soi au féminin, mais parce qu'on a été éduquée en femme, avec tout ce que cela comporte de conditionnement culturel et d'oppression, dans une société où les pouvoirs demeurent en général dans les mains des hommes.
Or les travestis adoptent, en même temps que le vêtement et l'apparence, les comportements stéréotypés que les femmes conscientisées dénoncent justement. Analysé objectivement, leur discours est même anti-féministe: en réclamant le droit de jouir de la liberté de vêtement, d'apparence et de comportement, Ils affirment que cette liberté est refusée aux hommes parce que la société est oppressive pour eux; que les femmes jouissent au contraire d'un droit d'expression beaucoup plus large. Bref, dans le discours politique des travestis, c'est souvent l'oppression de l'homme qui est dénoncée, et en ce sens, on pourrait y voir une autre manière, pour l'homme, d'affirmer son pouvoir.
Si le travesti est souvent, malgré tout, une meilleure personne, c'est pour d'autres raisons que ce prétendu partage des deux genres. C'est parce qu'il a dû vivre avec un blessure intérieure, une frange d'irrationel au fond de lui-même, et que cette étrangeté assumée peut devenir un ferment de tolérance. Je considère en tout cas pour ma part que mon travestisme m'a conduit à éviter souvent les jugements hâtifs sur les personnes, à remettre en question beaucoup d'idées reçues, de stéréotypes sociaux, en matière de division sexuelle mais aussi dans bien d'autres domaines. Et c'est cette grande tolérance qui me semble être, à ce jour, le plus beau «cadeau» que m'ait apporté Priscilla.
Cela vaut bien que je lui achète quelques dentelles, non?
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