PETITE RENCONTRE À TROIS
Lisa habitait déjà la région de Québec et nous attendait sur place. Après un saut entre Ottawa et Montréal, Béatrice espérait au départ faire le trajet Montréal / Québec en fille, mais comme sa réservation à notre hôtel était libellée au masculin, elle n'osa pas se présenter à la réception de l'hôtel en talon haut. J'arrivai à notre hôtel, jeudi en fin d'après-midi, environ deux heures avant Béatrice. Connaissant son nom de famille, je laissai un message à la réception pour que cette dernière puisse me prévenir dès son arrivée.
Quand je suis seule à la maison, je limite les frais et j'ai tendance à minimiser mon maquillage mais pour cette rencontre avec Béatrice que je rencontrais pour la première fois, je voulais faire bonne impression et je voulais prendre tout le temps nécessaire pour me faire belle. Après une longue période d'hésitation et de retouches qui n'en finissaient plus, j'enfilai mon nouvel ensemble et attendis un téléphone qui n'arrivait pas.
Un an plus tôt, pratiquement jour pour jour, je m'étais retrouvée dans ce même hôtel et j'avais profité de ce moment de liberté au féminin pour faire une première sortie seule dans la vieille capitale. C'est à cette époque que j'avais rencontré Manon et que nous avions planifié la création de Travestis Québec (mais ça, c'est une autre histoire).
Peut-être par nostalgie, je décidai de refaire le geste de l'année précédente. La période où j'étais femme avec Julien était déjà loin et je me rendis compte que l'on perd rapidement le peu d'assurance que l'on peut avoir lorsqu'il est question de sortir en jupe... Et pourtant, c'est ce qui rendait le moment excitant. J'ouvris la porte de ma chambre donnant sur le stationnement et risquai quelques pas à l'extérieur. Quelle merveilleuse sensation de se sentir femme au grand jour. Goûtant chaque seconde, je décidai de faire le tour de l'hôtel.
Chaque chambre possédait une grande porte vitrée coulissante et je ne pouvais résister à me regarder dans tous ces miroirs improvisés. A chaque nouvelle porte, je me sentais de plus en plus moi-même. A la dixième porte, je ne voyais plus dans ces miroirs qu'une femme un peu trop coquette et contente de se trouver jolie. Ma démarche devenait de plus en plus naturelle sans toutefois atteindre cette lenteur décontractée d'une femme convaincue de son identité.
Cette première sortie après des mois de claustration me rendait heureuse, et mon plaisir fut décuplé lorsque je découvrit un message de Béatrice sur mon téléphone. Comme prévu Béatrice n'avait pu faire le trajet Montréal / Québec en fille. Il était déjà tard et elle était très fatiguée. Elle n'avait plus le coeur de se changer. Etant donné que nous avions convenu d'avance que notre premier face à face se ferait en fille, nous nous sommes contentées de placoté simplement au téléphone.
Très tôt vendredi matin, j'ai retouché mon maquillage et vers 9 heures, le coeur en compote, je suis montée à la chambre de Béatrice. Moi, j'avais une chambre au rez-de-chaussé mais Béatrice avait une chambre au premier étage. Un coup d'oeil dans l'oeil magique de la porte intérieure me rassura. Le corridor était désert. Après avoir vérifié que j'avais bien dans mes mains la clé de ma chambre (l'avoir oublié dans ma chambre, je me demande comment j'aurais pu me présenter à la réception pour en demander un autre exemplaire) je sortis dans le corridor et marchai rapidement jusqu'à l'escalier intérieur. Jusque là, pas de problème. En haut de l'escalier, un homme portant un bébé dans ses bras ouvrit la porte de l'étage. En me voyant, il eut le merveilleux geste de galanterie de me tenir la porte. Du bout des lèvres, je réussi à lancer un léger « merci » d'une voix la plus claire possible.
Jusque là, tout alla bien mais le plus terrible était à venir car tout le corridor de l'étage était en état de siège. C'était plein de clients qui entraient et sortaient des chambres et c'était sans compter les huit femmes de ménage (en réalité, il n'y en avait que trois mais dans ma tête elles prenaient autant de place dans le corridor que si elles avaient été huit !) qui encombraient le passage avec leur gros chariot de buandrie. Cette ballade que j'avais souhaité la plus anodine devenait une course à obstacles. J'avais l'impression que tout ce beau monde ne cessaient de m'observer. Les clients en Bermuda ( je portais ma nouvelle jupe longue jaune ), les employées et même les piles de drap sur les chariots semblaient me dévisager. Que j'ai donc trouvé ce corridor long...
Déjà 10h30! Il était temps que je quitte Béatrice car Lisa était sur le point de se présenter à ma chambre. Après deux grands respires, trois vérifications de ma coiffure et plusieurs mots d'encouragement de Béatrice, j'ai quitté sa chambre et rapidement, je suis redescendue. En-bas, il n'y avait qu'une femme de chambre dans le corridor mais elle marchait dans ma direction et nous nous sommes croisée juste devant ma porte. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé à quel point les trous de serrures sont petits...
Le temps de retrouver tous mes esprits et Lisa arriva. Elle se changea dans ma chambre, enfila sa petite jupe noire sexy qui lui va si bien et investit ensuite ma salle de bain pour la séance de maquillage. Béatrice nous rejoignit chez moi car il n'était pas question pour Lisa de tenter l'expérience du long corridor. Etant de la région, elle connaissait et était connue par trop de monde à Québec...
Vers 12h30. Béatrice est remontée à sa chambre pour se faire une beauté et Lisa et moi en avons profité pour retrouver (hélas !) nos pantalons. Nous sommes parties ensuite vers le Vieux Québec pour prendre quelques photos de Béatrice près de la porte Saint-Jean et en face du château Frontenac.
Sur le chemin du retour, nous sommes arrêtées à la boutique Face à Face, un commerce tenu par Tante Clara, un travesti de spectacle où l'on retrouve de tout pour les bals costumés et pour nos sorties au féminin. Pour terminer l'après-midi, nous avons pris une bière dans un petit café de la rue Saint-Jean. La serveuse nous a salué d'un beau "Bonjour messieurs-dame". Béatrice en était ravie.
Lisa attendait de la visite pour le souper. Elle nous a ramené à notre motel et nous a quitté. Étant donné que j'avais déjà promis à Béatrice de l'accompagner en ville en couple hétéro, nous sommes partis pour Place Laurier avec ma voiture et nous avons visité les quatre étages de boutiques. Cette Béatrice a visité des boutiques de robes comme "une grande fille".
Je suis ensuite allé (au masculin pour moi) avec Béatrice à La Cage aux Sports et nous avons pris un souper en tête-à- tête. Encore une fois, à son grand plaisir, Béatrice à eu droit à deux "madame" de la part de la serveuse. Evidemment, à la fin du repas, c'est à moi qu'on a présenté la facture... mais Béatrice, en femme émancipée a tenu à payer sa part (et même un peu plus).
Le samedi matin, Béatrice m'a téléphoné à ma chambre pour me demander si je pouvais la recevoir. J'ai répondu, "Je suis presque prête, le temps d'enfiller une jupe et je t'attends". C'est si rare de pouvoir dire qu'on enfile une jupe à une autre personne. Depuis l'expérience avec Julien (il y a trois ans) je n'ai eu que deux ou trois occasion de m'exprimer ainsi.
Sur la fin de l'avant-midi, Lisa est repassée au motel (en mec) avec son appareil photo. Je voulais absolument une photo de Béatrice avec Isabelle. J'ai refait mon maquillage, et nous avons pris quelques photos dans la chambre. Pour augmenter le plaisir, nous sommes ensuite sorties dans le stationnement en plein soleil et nous avons fait une autre photo.
Avoir écouté Béatrice, il me semble que j'aurais fait une folie. Béatrice me proposait de redevenir un "mec" et de m'accompagner moi en femme dans un centre d'achat. Je dois avouer que je ne me sentais vraiment pas prête pour ce genre d'expérience... Je savais déjà que je regretterais un jour d'avoir laissé passé une telle occasion. Tout ce que nous avions déjà fait, Isabelle l'avait déjà accepté bien avant la rencontre. Mais cette sortie improvisée... Cette idée nouvelle n'avait pas encore fait son chemin dans ma tête de femme.
Je savais que je le regretterais un jour mais je ne pensais pas que ce jour viendrais si rapidement. Dès le lendemain, dimanche, j'aurais eu le goût de faire une petite tentative. Isabelle commençait à accepter l'idée mais il était déjà trop tard car Béatrice se préparait à nous quitter...