Changement de régime

Quatrième partie

***

Depuis des cycles et des cycles, une légende hante le Palais. Cette légende clame qu'il y a, réunie dans une petite pièce circulaire sise au sommet de la plus haute tour du Palais, une bande de vieillards non-renouvelables qui s'y rassemblent pour jouer aux cartes, ou à quelqu'autre jeu hors-société. Les Sényls, les appelle-t-on. Nommés par un des premiers rois s'étant approprié le pouvoir total (une centaine de cycles après la Chute), ils sont en place depuis si longtemps que même la petite chambre haut perchée où ils se réunissent a pris leur nom: le « Sényl ».

Le roi Te-Laid, en plein milieu d'une crise de TPS, découvrit les Sényls dans leur Sényl. Il s'attendait à trouver des sous derrière cette porte massive. Il se retrouva donc plutôt abasourdi devant cette bande de vieillards trop gras pour l'espace qu'ils occupaient, à la barbe blanche si longue que plusieurs avaient dû se l'attacher autour de la tête en plusieurs noeuds, à l'oeil retors (ou tout simplement torve), aux pieds souffrant d'une goutte de laquelle s'échappait une brume malsaine. La bonne Tête fut si médusée, en fait, que la crise aiguë de TPS qui L'agitait se calma aussitôt.

Le souverain ayant quelque peu retrouvé son aplomb, et constatant que nul ne s'occupait de Son entrée royale, questionna, haut le ton:

Deux ou trois têtes blanches Le fixèrent soudain pleines de surprise. Une autre, un peu sourde, gueula:

Ne constatant, du coin de son oeil torve, aucune réaction de ses confrères, la quatrième tête fixa le roi à son tour. Quatre autres têtes blanches ou chauves à l'oeil éteint ou à l'oreille morte se joignirent enfin au groupe.

Après quelques instants où l'ébahissement meubla la pièce, le plus grand et le plus gros

d'entre les Sényls se fit entendre:

Le roi Te-Laid grimaça d'envie de leur lancer de pleines bouchées d'injures, faute de mieux. Il dévisagea les vieillards et se força au calme en songeant qu'Il pourrait peut-être leur taxer l'espace qu'ils occupaient.

Alors que le monarque monoclé lorgnait de Sa lorgnette vers Sa majestueuse ventripotence, le Sényl poursuivait:

Le souverain chancela légèrement.

Et le roi sentit monter en Lui une nouvelle crise de TPS qui L'enflamma de plus en plus à mesure que la partie s'échauffait. Bien sûr, confronté à des adversaires qui avaient le jeu comme principale occupation depuis des cycles, Il fut battu, plumé. à sec la bourse de peau de porc portée à la ceinture fléchée! À l'eau le trésor du coffre royal à sec! Et hop! Billet doux pour les Sényls, augmentation des taxes sur le crottin de lama, et reconnaissance de dette pour le roi dont l'orgueil, crevé comme un ballon, dessouffla bruyamment. On L'accusa alors de se dégonfler.

De retour dans sa cour, prostré sur son trône, le roi Te-Laid tomba en dépression économique. Les midesaints, alertés, s'inquiétèrent car ils voyaient poindre à l'horizon le museau froid et plat de l'horrible monstre DéphfiScit. La Bête approchait rapidement du Palais, appauvrissant les champs de son, empoisonnant les cours à la baisse, écrasant le Peuple. Elle approchait d'autant plus rapidement que le roi, dépressif, sur le bord du « crash », dépensait toute Son énergie à lancer par les fenêtres les sous qu'IL n'avait plus. Les midesaints désespérèrent. La bonne Tête l'avait perdue, pour sûr! Et pour sauver le Peuple de plus en plus inquiet, soupçonneux, et paniqué, il allait falloir se résoudre à la Lui couper, la tête, puisqu'on ne pouvait plus Lui couper les vivres.



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