Accueil

Textes
SCA
Album photo
Danse
Shad Valley
Mastermind

Me contacter

L'héritière

D'ici, la nuit, on ne voit ni n'entend la mer. On la sent, pourtant. On sait qu'elle est là, toujours, et qu'elle veille. Sa présence a formé les villages à son image; les pêcheurs peuplent les vallées. On devine l'odeur des embruns dans le vent du large, lorsque se prépare la tempête, et on sait alors que ses crêtes se couvrent d'écume. Le lendemain, on trouve sur la plage tous les cadeaux secrets, arrachés aux profondeurs, qu'elle rejette comme une infection hors de son sein. Je pars alors toujours en quête d'un trésor.

À l'aube, les marins partent en mer pour remplir leurs filets. Ou plutôt ils partaient. Le poisson est rare, les Hommes ont été trop gourmands. Les pêcheurs se font vieux. Leurs enfants sont partis vers d'autres villes, plus grandes et plus sales. Mais les autres viennent toujours à moi, sur la colline, me conter leurs histoires. Ce sont les mêmes visages qui, soir après soir, défilent sous mon toit, toujours un peu plus abîmés par le temps et le sel. Ils racontent les mêmes histoires toujours embellies par la nostalgie. Et parfois, un visage absent ne revient jamais plus.

Notre village se meurt. On a dompté la mer avec de gros paquebots, et les dresseurs de chevaux sauvages ont perdu leur prestige. Peu à peu, les enfants de la mer disparaissent et, avec eux, toute leur histoire et toute leur sagesse. Il ne reste que moi, héritière solitaire d'un monde en déchéance, pour garder le savoir de tant de générations.

Le sang de la mer bat en moi. Son appel puissant rugit à mes oreilles lorsque, la nuit, seule dans la vieille auberge, tout est silence autour de moi. D'ici, la nuit, je ne vois ni n'entends la mer. Mais, porteuse de ses secrets, je veille sur son sommeil.

[Textes du marathon] [Cours de création] [Vieux textes]

[Accueil] [Textes] [SCA] [Album photo] [Danse] [Shad Valley] [Mastermind] [Me contacter]

1