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J'étais perdue. Perdue perdue perdue. C'était trop con. C'était vraiment trop stupide se perdre dans un aussi petit bois. Mais la nuit, dans le noir, comme ça... je n'avais aucun point de repère...

J'étais partie pour une agréable promenade, pourtant. Le sentier était clairement tracé, je faisais attention, à chaque embranchement, de bien marquer mon chemin. Je m'émerveillais du silence absolu qui régnait dans le bois: absence de vent, de bruissements, de craquements, d'oiseaux, d'insectes. J'avais l'impression d'être dans un studio de télé. J'ai marché longtemps, jusqu'à une clairière. Je me suis arrêtée, j'ai vu la lune sur les herbes hautes, fini par apercevoir une luciole égarée, puis décidé de repartir.

J'ai repris le même chemin, découvert des champignons phosphorescents, rencontré tous mes marqueurs. Je descendais la pente, c'était bon signe, je ne pouvais pas me tromper en descendant. Puis tout à coup j'ai mis les pieds dans l'eau. Beaucoup trop large pour avoir passé par dessus sans m'en rendre compte la première fois. Je suis revenue sur mes pas mais, dans un boisé strié de sentiers, j'ai trouvé le moyen de perdre celui sur lequel je me trouvais et j'ai marché au moins dix minutes sans en rencontrer un seul. J'étais perdue. Mais je n'avais nulle envie de passer la nuit ici. Le bois n'était pas grand. Même si je le traversais en longueur, d'ici une heure je devrais en être sortie. Je marchai donc. Je dus m'enfoncer plus profondément dans les bois que je ne croyais, car les arbres étaient plus touffus, le sol plus encombré de branchages. Je vis une luciole, puis une autre. Bientôt, tout l'air clignotait de petites taches vertes et brillantes. J'étais trop émerveillée pour m'inquiéter de ce qui se passait, de l'apparition soudaine de toutes ces lucioles, du lac sur le bord duquel je m'arrêtai soudain. Je n'ai pas songé au fait qu'il n'y avait pas de lac dans cette région. J'étais sous le charme, je goûtais le thé des bois, l'odeur de menthe et d'épices m'emplissait les narines. Je me mis à marcher pieds nus dans le sable, goûtant la sensation de fraîcheur sur mes pieds échauffés par la marche. Dès que j'eus mis le pied à l'eau, je sentis que quelque chose s'était produit. J'avais déclenché un mécanisme secret, j'avais touché la pièce maîtresse de l'engrenage. Il n'y avait plus d'issue possible pour moi. Je devais aller de l'avant. Plus de retour. J'en était heureuse. Cela simplifiait mon dilemme, réglait d'emblée la bataille entre ma raison et mon désir. Je me mis à la recherche d'une barge, certaine d'en trouver une. Elle m'attendait en effet, au milieu des joncs et des herbes hautes, amarrée à un anneau de fer. Je m'installai confortablement sur des coussins de velours et défis la corde. Je laissai la barge dériver.

Je dus somnoler quelque peu, car j'eus soudain l'impression de m'éveiller. Il faisait toujours nuit, mais une brume épaisse et chaude embaumait l'air. C'était frais et épicé, rafraîchissant, revigorant, et ça m'emplissait les narines et me montait à la tête. J'eus l'impression de m'éveiller soudain d'un long rêve et d'ouvrir les yeux sur un monde nouveau. Je me trouvais sur une plage au sable blanc rosé, brillant sous la lumière de la lune. L'astre semblait immense, laiteux, et occupait très exactement le centre d'une trouée de nuages immobiles. Devant moi, une pente douce couverte d'une herbe moelleuse, garnie de minuscules fleurs phosphorescentes, était traversée d'un chemin de pierres polies aussi douces sous mes pieds que du velours. Tout en haut, une hutte de branches et de feuilles multicolores semblait m'inviter, mais je n'y allai pas tout de suite. J'entendais le chant mélodieux d'une chute d'eau, et ce son presque rythmé me hantait, m'habitait avec une puissance étrange. Je m'avançai, longeai une falaise. Il y avait là un bassin d'eau claire où je voyais trembler les étoiles, agitées par les remous causés par une magnifique chute d'eau. L'endroit était abrité, pratiquement une grotte, l'entrée étant presque fermée par deux pans de falaise convergents. Je me sentais à l'aise à l'intérieur. L'eau était chaude, invitante. Je retirai mes vêtements et je me glissai dans le bassin.

Le fond était du même sable doux que la plage. Je sentais avec un bonheur grandissant l'eau monter le long de mes jambes. Je m'amusais à m'immerger le plus lentement possible, afin de sentir la fine ligne de la surface grimper doucement en me chatouillant. Lorsque j'eus de l'eau jusqu'à la taille, j'étais déjà rendue au milieu du bassin. Je laissai couler avec joie l'eau chaude sur ma tête, je la sentis se glisser dans mon dos, dans mon cou. Elle me caressait le visage, les épaules, les seins. Ce n'était plus un jet d'eau. C'était une présence. Un autre être s'était glissé jusqu'ici. Mais lorsque j'ouvris les yeux, il n'y avait personne. Je refermai les yeux. À nouveau cette présence singulière se fit sentir. Je la laissai faire. Elle devint plus hardie. Elle m'entoura la taille, se logea dans mon nombril puis se mit à descendre. Je n'avais plus peur. Je n'étais plus surprise. Je goûtais la volupté. J'ouvris les yeux. Des lucioles m'avaient rejointe, et de nouveau la présence s'était éclipsée. Je décidai de sortir de l'eau. Je découvris alors, sur le mur de roche, une ouverture de la taille d'une porte. Je m'y glissai, curieuse, laissant derrière moi tous mes effets. Tous mes sens étaient en éveil. La mélodie de la chute, le parfum épicé, le clair de lune sur le lac brumeux, le vent chaud qui me séchait la peau, tout était merveille. J'étais ensorcelée, enivrée. Je m'approchai de la hutte. Une lumière vacillante filtrait à travers la tenture qui recouvrait la porte, une lumière dorée et sucrée. Des fleurs aux délicats pétales roses s'accrochaient aux murs. J'entrai.

Il y avait là un être. Je ne puis dire à quoi il ressemblait, car je ne le perçus pas clairement. Il me sembla qu'il était grand et fort, qu'il avait les cheveux longs et foncés, le teint clair, couleur de lune. Mais je n'en suis pas certaine. Il m'offrit une boisson à la saveur riche et fruitée, dont le goût rappelait la fraîcheur de l'air après l'orage, et l'arôme, l'odeur piquante de la mer. Je ne sais pas ce qu'il était, mais dès qu'il eut posé ses mains sur moi je sus qu'il était l'être de la chute.

J'étais allongée sur un tapis de feuillages doux. La lumière voilée d'une flamme dansante caressait ma peau nue. Je sentais, peu à peu, le désir monter en moi, grandir, m'habiter, et je m'offrais un peu plus chaque seconde. Il n'y avait plus d'inquiétude. Il n'y avait plus d'étonnement. Il n'y avait que le désir, intense et farouche, qui me tourmentait. J'avais fermé les yeux depuis longtemps. Je m'abandonnais; totalement offerte, j'attendais, frémissante, impatiente. Ce fut d'abord une imperceptible caresse, comme un souffle chaud, qui me fit frémir. Puis la caresse se fit plus réelle, m'effleurait le front, les joues, les paupières, jouant avec une mèche de cheveux oubliée sur mon cou, me caressait les lèvres et le menton. Je sentis un doux contact dans mon cou, sur mes épaules. Des mains assurées m'enserraient la taille, me caressaient les hanches, se hasardaient à tâter l'intérieur de mes cuisses. Je sentais des gémissements franchir mes lèvres, mais je n'y pouvais rien. Finalement, l'être, m'enlaçant, plongea en moi. Je criai, me débattis contre ce plaisir trop intense qui m'était offert tout à coup, qui faisait grandir mon désir un peu plus chaque instant, jusqu'à ce que, finalement, j'explose.

Je ne me souviens plus très bien de ce qui s'est passé par la suite. Je sais que je l'ai senti me porter sur la barge. J'étais trop épuisée pour bouger, trop confuse pour porter attention à ce qui se passait. Je sais qu'il m'a rhabillée, déposée juste avant l'aube au pied d'un grand sapin dans la clairière. Les lucioles dansaient autour de moi. Je sais que, lorsque le soleil s'est levé, je me suis réveillée, et j'avais changé. J'ai retrouvé mon chemin aisément, mais jamais le lac mystérieux. Mais quelque chose avait changé, au plus profond de moi, et je le savais.

Évidemment, on ne m'aurait jamais crue. Alors j'ai gardé pour moi mon histoire. Comme je n'ai jamais montré à personne le pendentif qu'il m'avait laissé. Je le garde pour l'enfant qui grandit en moi. Un jour, je lui révélerai qu'il est le fils de la Lune.

FleurLune.jpg (25379 octets)

Elbereth Gilthoniel

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