Les hommes sont ainsi: plus le rêve est beau,
plus nous embarquons avec enthousiasme dans sa réalisation. Il suffit
qu'un leader assez puissant arrive pour que tous le suivent; on ne réalise
plus, alors, à quel point on s'éloigne du rêve original. Les gestes que
l'on pose ne nous appartiennent plus; ce sont des gestes de somnambules,
des gestes de dormeurs en quête d'images, en quête d'absolu. Et la conscience
qui nous dirige n'est plus la nôtre, car il est tellement réconfortant
de suivre le plus fort! Alors, on oublie qu'on sera tenu responsable.
On oublie que celui qui dirige le geste n'est pas seul, mais qu'en sortant
nos épées on devient aussi coupables que le chef.
[...]
Le problème avec les masses, c'est qu'elles
rêvent, mais ne font rien. Puis quelques-uns arrivent et rêvent un peu
plus fort, et décident d'agir. On les admire, on les critique, on les
aime ou on les déteste. Mais pourtant, une fois l'acte accompli à la gloire
de tous, on les oublie. Et ils payent, seuls, oubliés, pour avoir rendu
service à la société.
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