La négation de l'ego ne peut-elle pas conduire au désespoir des individus ?voir le texte complet de la question
Réponse :Texte complet de la questionVotre question est bien pertinente et les occidentaux ne peuvent pas ne pas se la poser, eux pour qui l'ego est le fondement du sujet, de sa liberté et de son libre arbitre. Ce n'est pas l'ego en tant que composante de la personnalité qui est en cause, c'est la place centrale donnée à l'ego dans la perception que le sujet a de lui-même qui est en cause. Le moi, la personnalité du sujet sont autant de composantes du sujet et sont aussi indispensables que nécessaires. Cette place centrale, omniprésente, dominante, loin d'être alors une source de liberté, peut-être une source de souffrance (dukkha). Bien sûr l'ego est un élément important au plan émotionnel, aussi bien qu'intellectuel, mais le bouddhisme pense que l'attachement à l'ego est une erreur. Il n'est pas question de déstructurer le sujet, de le déstabiliser, de l'affaiblir, au contraire.
Vous voyez, le bouddhisme n'est pas un manichéisme, qui dirait dans une sorte d'opposition : "c'est le moi qui est responsable, donc il faut nier le moi, éradiquer le moi, supprimer le moi ". Si certains courants de pensée tiennent peu ou prou ce discours, ce n'est absolument pas le discours du bouddhisme. Le moi, est admirable, il est précieux, il est utile et nécessaire, il construit le sujet dans sa spécificité, il lui apporte son identité et le consolide. Il n'est évidemment pas question ni de le nier, ni de le réduire, ni de l'effacer. Mais, le moi, n'est qu'un reflet, qu'une dimension mentale qui remplit une fonction bien précise. Mais, le moi, n'a pas la toute puissance qu'on lui prête, le moi n'a pas la durabilité qu'on lui attribue, le moi n'a pas l'omniprésence que l'on croit. Non, le moi est aussi illusoire, impermanent, conditionné. Le moi est nécessaire, utile, estimable, mais il a aussi les qualités de l'éphémère et du transitoire. Ce n'est pas une faiblesse de le reconnaître, c'est, pensent les Asiatiques, une force que de le savoir et de l'interpréter de cette manière.
Le bouddhisme ne nie pas le moi, le bouddhisme ne nie pas l'ego, le bouddhisme ne nie pas le corps. Si vous niez ces éléments (comme le font certains autres courants de pensée qui considèrent que le corps est porteur de choses mauvaises), alors vous arrivez inévitablement aux extrémités que vous évoquez. Le bouddhisme, et c'est sans doute là l'une de ses nombreuses originalités, ne nie pas les réalités. Pour le bouddhisme, le corps existe, les pulsions existent, l'ego existe, le moi existe. Et pour le bouddhisme ces constituants ne sont ni bons, ni mauvais. Le bouddhisme tend simplement à la connaissance parfaite des mécanismes qui nous gouvernent, pour que justement leurs emprises soient moins fortes et que notre compréhension de ces phénomènes nous permette de nous en libérer et d'échapper à la souffrance (le bouddhisme préfère le terme dukkha) qui résulte habituellement de nos émotions, de nos réactions, de nos inclinations
Il s'agit ainsi de considérer l'ego et le moi pour ce qu'ils sont. C'est la découverte de la nature particulière du moi (qui est à la fois structurant et limité) qui est facteur de tranquillité et de stabilité. C'est la découverte du caractère illusoire et trompeur des qualités supposées du moi qui sont facteurs de force personnelle. Au contraire, la négation de ces réalités ou bien la croyance en des qualités que le moi, l'ego, le sujet, le corps n'ont pas, sont facteurs de souffrance (dukkha). C'est l'inobtention de ce qui est désiré qui est facteur de désespoir, c'est le fait de se trouver avec des personnes avec lesquelles on n'a aucune affinité qui est facteur de désespoir, c'est le fait d'être éloigné de personnes avec qui ont à des affinités profondes qui est facteur de désespoir, c'est le fait de vieillir, de sentir son corps s'affaiblir, de lire sur ses traits la marque dure des années qui est facteur de désespoir (revoyez donc l'exposé de la première des quatre nobles vérités).
La société de consommation actuelle développe à son maximum la satisfaction immédiate des besoins et des désirs individuels. Elle va bien au delà, elle va jusqu'à les provoquer, les susciter, les encourager par un renouvellement perpétuel des produits, des marques, des objets, toutes choses qui stimulent l'individualisme dans ce qu'il a de plus primaire, c'est à dire l'appropriation personnelle. Cette dimension d'appropriation n'est pas forcément structurante et engendre une véritable aliénation au besoin d'acheter, de posséder, d'avoir (je ne parle même pas du gaspillage général que tout cela engendre et qui posent d'autres questions en termes écologiques, notamment). Il n'est qu'à voir le manque de politesse et de civilité quand on se promène dans un supermarché ou dans les grands magasins aux heures de pointes, je ne parle pas de ces images choquantes où les gens se battent pour s'arracher une Play Station dernier cri. Trouvez-vous tout cela exemplaire en terme de société ? Trouvez-vous que la notion de société a ici encore un sens ? Il n'est qu'à voir la précipitation de pans entiers de cette société dont vous parlez qui se ruent pour faire de stocks de denrées au moment de la guerre du Golfe ou des événements du Kosovo. Ne trouvez-vous pas que le "chacun pour soi" déjà latent, prend alors des proportions démesurées et renvoie une image de la société bien hideuse. N'êtes vous pas surpris que dès que des incidents se produisent (privation d'électricité suite à la tempête de décembre 1999, par exemple) les gens se montrent totalement incapables de s'éclairer à la bougie, de se chauffer au bois, de se priver de télévision plus d'une journée et se mettent à pousser des lamentations pires que celles des mères du golfe du Bengale après les moussons, ou celles des paysans birmans en but à la sécheresse ? Ne croyez-vous pas que cette satisfaction tout azimut de l'ego conduit nos sociétés vers des dangers aussi grands que ceux que vous évoquez dans votre question ?
Il n'y a pas de devoirs dans le bouddhisme. En particulier, il n'y a pas de devoirs que certains seraient censés endosser pour les autres. Le seul devoir, il est vis-à-vis de vous-même et il consiste à accroître votre connaissance des mécanismes naturels à l'uvre dans le sujet. La question de la compassion que vous esquissez est plus complexe et devrait être exposée plus en détail. En fait, personne ne demande à personne de la compassion, le bouddhisme n'investit personne d'une quelconque mission de compassion envers qui que ce soit.
L'impermanence est une donnée fondamentale du bouddhisme qui est issue de l'observation stricte du vivant. Dans le monde vivant, non seulement tout est conditionné (composé d'éléments, c'est la loi des cinq agrégats), mais aussi, et par le fait même, tout est impermanent. Dans le vivant, il y a naissance, croissance, décroissance, fin et disparition. C'est une loi générale, elle n'est ni bonne, ni mauvaise, ni favorable, ni défavorable, elle est et c'est tout.
J'espère avoir répondu à votre question.
Vous trouverez en outre des éléments de réponse complémentaires dans la question N° 22 "Où est l'équilibre de la voie du milieu ?", dont la thématique est voisine de celle de votre propre questionNe croyez vous pas que cette façon de considérer l'ego, en niant quasiment le moi, la personnalité, est dangereuse et peut être facteur de déstabilisation et de désespoir pour les individus, donc à terme pour les sociétés ?
J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
S'il y a impermanence, notre devoir (au sens d'action de compassion) n'est-il pas de mettre un peu de stabilité dans tout cela ?
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