Pourquoi autant de penseurs bouddhistes insistent-ils sur le besoin de "s'échapper" de ce monde trompeur fait d'apparences ? Une chose est d'atteindre la libération, une autre et de renoncer à vivre au milieu des hommes, dans ce monde sensible, ici et maintenant.voir le texte complet de la question
Réponse :Texte complet de la questionJ'ai lu avec intérêt votre question. Il m'a été nécessaire de la relire à plusieurs reprises tant il me paraissait que vous abordiez simultanément de nombreuses thématiques en semblant tantôt vous en détourner tantôt vous en réclamer.
J'essayerai de répondre plus en détail à votre question, car il me semble que tous les problèmes que vous posez sont justement des champs que le bouddhisme investit et, me semble-t-il, féconde.
Je voudrai tout d'abord dire qu'il ne me semble pas que vous puissiez trouver sur le présent site un quelconque écho à l'idée que le bouddhisme proposerait de s'échapper ou de fuir ce monde. Rien dans le bouddhisme ne va dans ce sens. Au contraire, si on reprend la première noble vérité, il y a dukkha (la souffrance), il y a la maladie, il y a le vieillissement, il y a la mort. Il me semble qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans aucun autre courant philosophique une vision du réel aussi crue, aussi réaliste, aussi implacablement concrète.
Le bouddhisme n'est pas un nihilisme, de même qu'il n'est pas un idéalisme.
Ce à quoi le bouddhisme cherche à se soustraire ce n'est pas à la réalité du monde, mais c'est à tout ce que cette réalité peut susciter en nous de dukkha (de la souffrance). Il ne s'agit pas de remettre en cause ou en doute le monde dans sa réalité propre, mais d'interroger la manière dont ce monde nous parvient (c'est-à-dire pourquoi c'est tel ou tel élément du réel qui nous parvient, pourquoi nous nous attachons à la réalité supposée de tel ou tel aspect du réel, pourquoi cette réalité semble s'imposer à nous en dehors de tout arbitrage personnel, pourquoi nous investissons le monde de telle ou telle manière, pourquoi nous nous laissons investir par tel ou tel sentiment que nous attribuons à tort au réel etc ).
Si ce monde est qualifié d'illusoire, cela n'est pas parce qu'il serait sous entendu qu'il ne serait pas tout à fait réel, qu'il ne serait pas vraiment là, ou qu'il y aurait au delà de cette réalité là, une réalité (plus) ultime. Non, tout cela n'est pas dans le bouddhisme
. Si ce monde est illusoire, c'est parce que c'est le sujet qui le perçoit et c'est chacun d'entre nous qui le faisons exister au travers de nos représentations communes et que nous sommes tout autant illusoire que lui et de la même manière. Si le monde à une essence illusoire, c'est parce que sa réalité est d'être changeant, en perpétuel mouvement, en mutation permanente (prenez les planètes, le cosmos, un peu de matière organique, notre propre équilibre vital, tout cela est une succession d'états changeants). Si le bouddhisme insiste tant sur le caractère illusoire du monde cela n'est pas pour le nier ou renvoyer ailleurs, c'est tout simplement parce que c'est sa nature. Comment alors s'attacher à quelque chose de changeant et de transitoire ? Impossible, cela n'a pas de sens. L'attachement nécessite une permanence, une identité linéaire rigoureuse de la chose avec elle-même, alors à quoi bon s'attacher puisque rien n'est permanent dans ce monde, rien . Alors comment s'attacher et à quoi s'attacher ? Pourquoi l'attachement est-il dukkha ? Tout simplement parce qu'il rate son objectif. On croit qu'en s'attachant on a réglé le problème, mais non seulement ça nous glisse entre les doigts, mais de surcroît la solution qu'on pensait atteinte, s'éclipse. C'est là que réside la tromperie, ce n'est pas la réalité ou le monde qui sont trompeurs, c'est le sujet qui se trompe s'il prend le monde pour permanent ou identique à lui-même partout et toujours. Vous avez raison, et je partage personnellement ce point de vue ... quoi de plus beau qu'un monde périssable, transitoire, passager ? quoi de plus vrai qu'un monde farceur et ludique où effectivement la surprise nous attend à chaque détour, à chaque repli, à chaque moment ? quoi de plus belle sérénité que d'accompagner tranquillement et lucidement le mouvement ? quoi de plus réel que le vivant pris dans la simple expression de son développement ?
Pour revenir sur l'ensemble de vos propositions, je voudrai vous dire que le bouddhisme ne consiste pas à renoncer à vivre parmi les hommes ni au renoncement au monde sensible. Bien au contraire, il n'y a pas communauté qui soit plus immergée dans l'humanité (au sens stricte) que les bouddhistes (les hindouistes aussi certainement), parce que la matière première de la réflexion bouddhisme c'est l'homme, ce n'est pas en deçà ou au delà de l'homme, mais c'est l'homme tel qu'il est. Il ne s'agit pas non plus de renoncer au monde sensible, au contraire, il s'agit de l'investir complètement, radicalement (c'est-à-dire, jusqu'à la racine) pour mieux comprendre sa fonction. Comme je l'ai déjà écrit (Cf. réponse n°14) il ne s'agit pas de renoncer au monde sensible (au passage, on se demande bien comment on pourrait faire), mais de renoncer à l'attachement aux sensations liées au monde des sens.
Un mot sur la phrase d'Alan Watt. Je dirai que cette phrase paraît très littéraire et bien écrite. Je ne suis pas sûr de très bien comprendre ce qu'elle veut dire. Mais ce n'est peut-être pas très important puisqu'il ouvre par ces mots une évocation poétique qui tend à renvoyer justement le sujet à lui-même.
J'espère avoir répondu à votre question.
Pourquoi autant de penseurs bouddhistes insistent-ils sur le besoin de "s'échapper" de ce monde trompeur fait d'apparences ? Une chose est d'atteindre la libération en comprenant que chaque conscience n'est qu'une fenêtre par laquelle l'Univers se regarde lui-même (que pensez-vous de cette phrase, qui est d'Alan Watts ?), une autre et de renoncer à vivre au milieu des hommes, dans ce monde sensible, ici et maintenant. Je ne vois pas pourquoi l'une devrait entraîner l'autre. Ne peut-on pas, en accord avec le Bouddhisme, AIMER ce monde, justement parce qu'on reconnaît en lui la manifestation -même trompeuse- de la Permanence, de l'Energie, de la Vie ? S'il est vrai que l'attachement est le fruit de l'ignorance, la lucidité de l'illuminé libéré n'est-elle pas compatible avec la vie..? Poser un regard distant sur le monde des apparences ne veut pas dire renoncer à lui et s'en détourner radicalement en attendant la mort, même avec la paix dans l'âme... Un bouddhiste ne peut-il pas être heureux, ici et maintenant, au milieu des hommes, de sa famille et de sa société, EN JOUANT LE JEU, même s'il sait (et justement parce qu'il sait) que c'est un jeu ?Suis-je complètement à côté de la plaque ?
Merci de votre réponse.
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