Un exemple de sujet de Philologie française moderne (de 1500 à nos jours).
Cet exemple comporte le texte et les questions.
Les liens attachés aux questions renverront non à une réponse exhaustive, mais à des suggestions pour préparer la réponse.
C’est ainsi que, tous les samedis, comme Françoise allait dans l’après-midi au marché de Roussainville-le-Pin, le déjeuner était, pour tout le monde, une heure plus tôt. Et ma tante avait si bien pris l’habitude de cette dérogation hebdomadaire à ses habitudes, qu’elle tenait à cette habitude-là autant qu’aux autres. Elle y était si bien " routinée ", comme disait Françoise, que s’il lui avait fallu, un samedi, attendre pour déjeuner l’heure habituelle, cela l’eût autant " dérangée " que si elle avait dû, un autre jour, avancer son déjeuner à l’heure du samedi. Cette avance du déjeuner donnait d’ailleurs au samedi, pour nous tous, une figure particulière, indulgente, et assez sympathique. Au moment où d’habitude on a encore une heure à vivre avant la détente du repas, on savait que, dans quelques secondes, on allait voir arriver des endives précoces, une omelette de faveur, un bifteck immérité. Le retour de ce samedi asymétrique était un de ces petits événements intérieurs, locaux, presque civiques qui, dans les vies tranquilles et les sociétés fermées, créent une sorte de lien national et deviennent le thème favori des conversations, des plaisanteries, des récits exagérés à plaisir : il eût été le noyau tout prêt pour un cycle légendaire, si l’un de nous avait eu la tête épique. Dès le matin, avant d’être habillés, sans raison, pour le plaisir d’éprouver la force de la solidarité, on se disait les uns aux autres avec bonne humeur, avec cordialité, avec patriotisme : " Il n’y a pas de temps à perdre, n’oublions pas que c’est samedi ! " cependant que ma tante, conférant avec Françoise et songeant que la journée serait plus longue que d’habitude, disait : " Si vous leur faisiez un beau morceau de veau, comme c’est samedi. " Si à dix heures et demie un distrait tirait sa montre en disant : " Allons, encore une heure et demie avant le déjeuner ", chacun était enchanté d’avoir à lui dire : " Mais voyons, à quoi pensez-vous, vous oubliez que c’est samedi ! " ; on en riait encore un quart d’heure après et on se promettait de monter raconter cet oubli à ma tante pour l’amuser. Le visage du ciel même semblait changé. Après le déjeuner, le soleil, conscient que c’était samedi, flânait une heure de plus au haut du ciel, et quand quelqu'un, pensant qu’on était en retard pour la promenade, disait : " Comment, seulement deux heures ? " en voyant passer les deux coups du clocher de Saint-Hilaire (qui ont l’habitude de ne rencontrer encore personne dans les chemins désertés à cause du repas de midi ou de la sieste, le long de la rivière vive et blanche que le pêcheur même a abandonnée, et passent solitaires dans le ciel vacant où ne restent que quelques nuages paresseux), tout le monde en chœur lui répondait : " Mais ce qui vous trompe, c’est qu’on a déjeuné une heure plus tôt, vous savez bien que c’est samedi ! "
Proust, Du côté de chez Swann.
Questions
Ce sujet a été donné en Licence de
Lettres Modernes, lors de la session de mai 1997, de l’U.V. intitulée
" Histoire de la langue française de 1500 à nos jours " (Université
Lumière-Lyon2).
N.B. l'épreuve a eu lieu en 2 heures 30.
Vocabulaire : étudiez les trois mots soulignés. Etude morphologique et sémantique de eût été. Etude syntaxique de l’infinitif dans le texte. Faites l’étude stylistique de ce texte.