Eléments de réponse

L'oeuvre a en principe été travaillée individuellement par les étudiants, durant un semestre universitaire au moins (et le programme est accessible dès septembre).
Les séances de Travaux Dirigés (T.D.) ont, à raison de deux heures hebdomadaires, permis de traiter quelques exemples de chaque question.

Vocabulaire

Préalables méthodologiques.

Pour chacun des termes, il est attendu au moins :
  • la "nature grammaticale"
  • la signification en langue (présentée de façon structurée pour les polysèmes)
  • le sens en contexte (avec parfois une remarque sur cet emploi)
  • des indications sur les termes en relation (en langue : synonymes, paronymes, antonymes ; voire en contexte, s'il y a lieu).
En cours de préparation, il est nécessaire de se constituer des "fiches dictionnairiques" sur les termes qui, à la lecture, peuvent surprendre. Pour ce type de "fiche", l'important n'est pas d'apprendre le dictionnaire, mais de bien étudier la structure de l'article lexicographique, afin de repérer les problèmes que pose le terme examiné.

En d'autres termes (sic) l'on n'attend pas que vous connaissiez par coeur le T.L.F. (Trésor de la Langue Française), mais que vous sachiez vous interroger de façon judicieuse et rigoureuse face à un "mot".

1- Un exemple "développé" : dérogation

J'ai utilisé pour cet exemple le "Grand Robert".

dérogation. substantif féminin (formé par affixation sur le verbe déroger).

Première remarque : en langue, "dérogation" relève de la première acception de "déroger", comme en témoigne l'expression "demander une dérogation" (généralement à une instance administrative, qui fixe l'application des lois et règlements, ou veille à leur application).
Deuxième remarque : "dérogation" relève du domaine juridique et administratif, quant à son "domaine d'emploi".
Troisième remarque, pour élaborer la réponse : il faudra éviter une "définition circulaire", éviter de renvoyer à "déroger" sans définir celui-ci.
 
Dans le texte dérogation (qualifiée d'hebdomadaire) réfère à l'action de s'écarter d'une règle qui ne concerne qu'un tout petit groupe. D'autre part le qualificatif d'hebdomadaire contredit la notion d' /exception/ inhérente à dérogation, faisant de celle-ci une règle nouvelle.
Quant à savoir si le terme relève de la première ou de la deuxième acception de dérogation, le texte "brouille" les pistes dans la mesure où le récit qui va suivre présente l'action elle-même. Opter pour la seconde acception semble toutefois judicieux étant donné le contexte proche. Il fallait aussi faire remarquer l'humour du narrateur : l'exception devient règle, en contexte...
Un exemple de réponse.
dérogation. substantif féminin, dérivé par affixation du verbe déroger.
déroger (à) signifie :
a) s'écarter d'une loi, d'une règle, d'une convention. La dérogation est cette action, ou son résultat : demander une dérogation (demander une exception limitée en temps et lieu, ou pour les bénéficiaires, quant à l'application d'un règlement, d'une loi) , par dérogation (à titre exceptionnel).
b) faire qch d'indigne de son statut, de sa position : faire commerce de biens était déroger à la noblesse, au XVIIe siècle.
c) en construction absolue : s'abaisser, déchoir. Il croirait déroger en faisant ce métier.
Si dérogation est essentiellement dérivé du sens a) de "déroger", il prend en contexte une valeur d'emploi particulière :
il réfère à une exception par rapport à une habitude, et non par rapport à une loi ou à une règle, conférant en retour à cette habitude "force de loi".
la dérogation, au lieu d'être exceptionnelle, est qualifiée par l'épithète "hebdomadaire", et se fait habitude à son tour.
Le substantif dérogation est donc utilisé d'une façon qui s'apparente à l'impropriété, mais qui signe l'aspect idiomatique dont la petite communauté use du langage commun : réappropriation qui distingue cette petite communauté du "lot commun".

2- Savoir poser une problématique : routinée

Cité entre guillemets, ce terme s'apparente par sa morphologie à un participe passé employé comme adjectif qualificatif (cf "s'habituer" -- "habitué"), ce que sa postposition au verbe "être" semble confirmer : Elle y était si bien "routinée", comme disait Françoise.
Problèmes posés :
a) la construction "routinée à" réfère à celle de "habituée à" : routinée apparaît comme un quasi-synonyme d'"habituée". Mais il pose deux problèmes : la différence entre "routine" et "habitude", en langue, l'origine même de cette "impropriété", et la valeur qu'elle acquiert en contexte.
b) l'origine même de ce terme, sa formation.
Eléments de réponse
routinée : adjectif qualificatif, de même forme qu'un participe passé.
  • barbarisme attribué à Françoise, domestique, il semble formé à partir du substantif "routine" et de l'adjectif "routinier", quant à sa morphologie, et équivaut à habituée à, en contexte.
  • D'ordinaire, l'on distingue la routine de l'habitude selon deux critères au moins : la routine est un ensemble d'habitudes, et elle n'est pas (ou plus consciente).
  • En contexte, la distinction entre "routinée" et "habituée", s'explique par le fait que la tante est une personne qui vit d'habitudes, et que l'habitude particulière du samedi, nommée "dérogation", est une exception, certes, mais habituelle elle aussi : routinière.
  • Le barbarisme témoigne ici du caractère inhabituel de cette habitude : il illustre ce paradoxe, chez un auteur soigneux quant au lexique. Il pointe en même temps, de façon presque ironique, la transformation en habitude de l'exception. Enfin, ce barbarisme a valeur de "signe plein" en illustrant la façon dont cette petite communauté se constitue par le langage : ici par la création d'un lexème unique, mais irremplaçable, qui, cité, a été compris du narrateur, et qu'il nous donne à comprendre.
rem. A l'origine "routine" réfère à l'ensemble des gestes d'un métier, ce que l'on nomme actuellement "tour de main". Mais dans le cadre d'une épreuve ne temps limité, il est peu probable que vous ayez à user d'une telle information.

3 - Problématique : épique

Pour cet adjectif, la première question est celle de son emploi comme épithète du substantif "tête" (lui-même métonymique), dans le syntagme avoir la tête épique. C'est ainsi la question du "domaine d'emploi" de l'adjectif épique qui se posait.

En langue, sans se référer à un quelconque dictionnaire, l'on attendait au moins une définition de l'acception littéraire et de son extension plus "courante" (appliquée au récit d'événements, voire à leur qualification).

En contexte, il fallait au moins remarquer :

  1. 1 - l'emploi métonymique de "tête", pour "tournure d'esprit", "esprit", pensée"... emploi presqu'impropre car il réfère à l'aspect le plus concret... (parle-t-on d' "avoir la tête romantique, poétique, lyrique" ?)
  2. 2 - le sens en contexte nécessitait définition particulière, comme qui est doué ou propre à tranformer en récit épique des faits ordinaires, c'est-à-dire à magnifier en hauts faits des événements autrement insignifiants.
  3. 3 - l'ironie est ici multiple : quant à la conception même de l'épopée (La Chanson de Roland ne relate guère qu'un combat mineur de l'arrière-garde), quant au "talent littéraire" (avoir la tête + adjectif) [Hugo n'est-il pas un peu visé ?], quant au narrateur lui-même, qui entreprend la transfiguration du récit en "épopée" à la suite de cet emploi d'épique, quant à la communauté elle-même à laquelle il appartient (ironie fort amère en ce sens : la "saga" distanciée dans le temps, n'est pas l'acte fondateur d'une civilisation, mais la chronique de sa disparition : "le temps perdu").

4 - Conclusions & pistes de travail

La finalité de cet exercice consiste à évaluer vos capacités :
  • de curiosité par rapport aux "mots" en eux-mêmes et en leurs emplois en contexte, notamment par les écrivains, dont ils sont la "matière première" ;
  • de rigueur et de classement quant à l'observation de l'usage que nous faisons tous du lexique ;
  • d'utilisation pertinente de vos connaissances linguistiques, lesquelles sont une base pour vous interroger : sur la forme, sur les emplois, sur les domaines d'emploi, ...
  • à lire finement un texte, c'est-à-dire à savoir l'interpréter, et démontrer cette interprétation par l'observation précise des moyens langagiers qu'il met en oeuvre ; voir les inter-relations qu'il crée (entre "mots", par exemple), et qui le constituent  comme texte ; apprécier la valeur de cette utilisation du langage, non pour en mesurer seulement les écarts par rapport à l'usage commun, mais surtout pour mesurer en quoi une utilisation donnée "fait sens", se conforme à l'usage commun quant à son fonctionnement, mais renouvelle celui-ci quant à ses réalisations, ou en mettant à jour l'un de ses mécanismes (à ce titre, le barbarisme "routinée" est riche de perspectives).
  • Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter de bonnes recherches, et surtout de vivre ce plaisir qui consiste à interroger régulièrement le lexique : ce sont des univers entiers qui s'ouvriront à vous.
     
     
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