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Bien qu'aux arts d'*Apollon le vulgaire n'aspire,
Bien que de tels thresors l'avarice n'ait soing,
Bien que tels harnois le soldart n'ait besoing,
Bien que l'ambition tels honneurs ne desire :
Bien que ce soit aux grands un argument de rire,
Bien que les plus rusez s'en tiennent le plus loing,
Et bien que *Dubellay soit suffisant tesmoing,
Combien est peu prisé le mestier de la lyre :
Bien qu'un art sans profit ne plaise au courtisan,
Bien qu'on ne paye en vers l'oeuvre d'un artisan,
Bien que la Muse soit de pauvreté suivie,
Si ne veulx-je pourtant delaisser de chanter,
Puis que le seul chant peult mes ennuys enchanter,
Et qu'aux Muses je doy bien six ans de ma vie.
Veu le soing mesnager, dont travaillé je suis,
Veu l'importun souci, qui sans fin me tormente,
Et veu tant de regrets, desquels je me lamente,
Tu t'esbahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante (*Magny) je pleure mes ennuys,
Ou, pour le dire mieulx, en pleurant je les chante,
Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante :
Voila pourquoy (*Magny) je chante jours & nuicts.
Ainsi chante l'ouvrier en faisant son ouvrage,
Ainsi le laboureur faisant son labourage,
Ainsi le pelerin regretant sa maison,
Ainsi l'advanturier en songeant à sa dame,
Ainsi le marinier en tirant à la rame,
Ainsi le prisonnier maudissant sa prison.