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Maintenant je pardonne à la doulce fureur,
Qui m'a fait consumer le meilleur de mon aage,
Sans tirer autre fruict de mon ingrat ouvrage,
Que le vain passetemps d'une si longue erreur.
Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur,
Puis que seul il endort le souci qui m'oultrage,
Et puis que seul il fait qu'au milieu de l'orage
Ainsi qu'auparavant je ne tremble de peur.
Si les vers ont esté l'abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l'appuy de ma vieillesse,
S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,
S'ils furent ma blesseure, ils seront mon *Achille,
S'ils furent mon venim, le scorpion utile,
Qui sera de mon mal la seule guerison.
Si l'importunité d'un crediteur me fasche,
Les vers m'ostent l'ennuy du fascheux crediteur :
Et si je suis fasché d'un fascheux serviteur,
Dessus les vers (*Boucher) soudain je me desfasche.
Si quelqu'un dessus moy sa cholere deslasche,
Sur les vers je vomis le venim de mon coeur :
Et si mon foible esprit est recreu du labeur,
Les vers font que plus frais je retourne à ma
tasche.
Les vers chassent de moy la molle oisiveté,
Les vers me font aymer la doulce liberté,
Les vers chantent pour moy ce que dire je n'ose.
Si donc j'en recueillis tant de profits divers,
Demandes-tu (*Boucher) dequoy servent les vers,
Et quel bien je reçoy de ceulx que je compose
?