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Je hay plus que la mort un jeune casanier,
Qui ne sort jamais hors, sinon aux jours de feste,
Et craignant plus le jour qu'une sauvage beste,
Se fait en sa maison luy mesmes prisonnier.
Mais je ne puis aymer un vieillard voyager,
Qui court deça dela, & jamais ne s'arreste,
Ains des pieds moins leger, que leger de la teste
Ne sejourne jamais non plus qu'un messager.
L'un sans se travailler en seureté demeure,
L'autre qui n'a repos jusques à tant qu'il meure,
Traverse nuict & jour mille lieux dangereux :
L'un passe riche & sot heureusement sa vie,
L'autre plus souffreteux qu'un pauvre qui mendie,
S'acquiert en voyageant un sçavoir malheureux.
Quiconques (mon *Bailleul) fait longuement sejour,
Soubs un ciel incogneu, & quiconques endure
D'aller de port en port cherchant son adventure,
Et peult vivre estranger dessoubs un autre jour :
Qui peult mettre en oubly de ses parents l'amour,
L'amour de sa maistresse, & l'amour que nature
Nous fait porter au lieu de nostre nourriture,
Et voyage tousjours sans penser au retour :
Il est fils d'un rocher, ou d'une ourse cruelle,
Et digne qui jadis ait succé la mamelle
D'une tygre inhumaine. Encor ne void-on point
Que les fierts animaux en leurs forts ne retoument,
Et ceulx qui parmy nous domestiques sejournent,
Tousjours de la maison le doulx desir les poingt.