|
|
Ce n'est l'ambition, ny le soing d'acquerir,
Qui m'a fait delaisser ma rive patemelle,
Pour voir ces monts couvers d'une neige eternelle,
Et par mille dangers ma fortune querir,
Le vray honneur qui n'est coustumier de perir,
Et la vraye vertu qui seule est immortelle,
Ont comblé mes desirs d'une abondance telle,
Qu'un plus grand bien aux dieux je ne veulx requerir.
L'honneste servitude, où mon devoir me lie,
M'a fait passer les monts de *France en *Italie,
Et demourer trois ans sur ce bord estranger,
Où je vy languissant. Ce seul devoir encore
Me peult faire changer *France à l'*Inde &
au *More,
Et le ciel à l'enfer me peult faire changer.
Quand je te dis adieu, pour m'en venir icy,
Tu me dis (mon *Lahaye) il m'en souvient encore,
Souvienne toy *Bellay de ce que tu es ore,
Et comme tu t'en vas retourne t'en ainsi.
Et tel comme je vins, je m'en retourne aussi :
Hors mis un repentir qui le coeur me devore,
Qui me ride le front, qui mon chef decolore,
Et qui me fait plus bas enfoncer le sourcy.
Ce triste repentir qui me ronge, & me lime,
Ne vient (car j'en suis net) pour sentir quelque crime,
Mais pour m'estre trois ans à ce bord arresté
:
Et pour m'estre abusé d'une ingrate esperance,
Qui pour venir icy trouver la pauvreté,
M'a fait (sot que je suis) abandonner la *France.