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35

La nef qui longuement a voyagé (*Dillier)
Dedans le seing du port à la fin on la serre,
Et le boeuf, qui long temps a renversé la terre,
Le bouvier à la fin luy oste le collier :

Le vieil cheval se voit à la fin deslier,
Pour ne perdre l'haleine, ou quelque honte acquerre,
Et pour se reposer du travail de la guerre,
Se retire à la fin le vieillard chevalier :

Mais moy, qui jusqu'icy n'ay prouvé que la peine,
La peine & le malheur d'une esperance vaine,
La douleur, le souci, les regrets, les ennuis,

Je vieillis peu à peu sur l'onde Ausonienne,
Et si n'espere point, quelque bien qui m'advienne,
De sortir jamais hors des travaux ou je suis.



36

Depuis que j'ay laissé mon naturel sejour,
Pour venir où le *Tybre aux flots tortuz ondoye,
Le ciel a veu trois fois par son oblique voye
Recommencer son cours la grand' lampe du -jour.

Mais j'ay si grand desir de me voir de retour,
Que ces trois ans me sont plus qu'un siege de *Troye,
Tant me tarde (*Morel) que *Paris je revoye,
Et tant le ciel pour moy fait lentement son tour :

Il fait son tour si lent, & me semble si morne,
Si morne, & si pesant que le froid Capricorne
Ne m'accoursit les jours, ny le Cancre les nuicts.

Voila (mon cher *Morel) combien le temps me dure
Loing de *France & de toy, & comment la nature
Fait toute chose longue aveques mes ennuis. 1