texte suivant
texte précédent
 
liste Du Bellay
liste des textes
 

3

N'estant, comme je suis, encor' exercité
Par tant & tant de maulx au jeu de la Fortune,
Je suivois d'*Apollon la trace non commune,
D'une saincte fureur sainctement agité.

Ores ne sentant plus ceste divinité,
Mais picqué du souci qui fascheux m'importune,
Une adresse j'ay pris beaucoup plus opportune
A qui se sent forcé de la necessité.

Et c'est pourquoy (Seigneur) ayant perdu la trace
Que suit vostre *Ronsard par les champs de la Grace,
Je m'adresse ou je voy le chemin plus batu :

Ne me bastant le coeur, la force, ny l'haleine
De suivre, comme luy, par sueur & par peine
Ce penible sentier qui meine à la vertu.



4

Je ne veulx fueilleter les exemplaires Grecs,
Je ne veulx retracer les beaux traicts d'un *Horace,
Et moins veulx-je imiter d'un *Petrarque la grace,
Ou la voix d'un *Ronsard, pour chanter mes regrets.

Ceulx qui sont de *Phoebus vrais poëtes sacrez,
Animeront leurs vers d'une plus grand' audace :
Moy, qui suis agité d'une fureur plus basse,
Je n'entre si avant en si profonds secretz.

Je me contenteray de simplement escrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves argumens.

Aussi n'ay-je entrepris d'imiter en ce livre
Ceulx qui par leurs escripts se vantent de revivre,
Et se tirer tous vifz dehors des monumens. 1