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Ceulx qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceulx qui ayment l'honneur, chanteront de la gloire,
Ceulx qui sont pres du Roy, publiront sa victoire,
Ceulx qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront,
Ceulx qui ayment les arts, les sciences diront,
Ceulx qui sont vertueux, pour tels se feront croire,
Ceulx qui ayment le vin, deviseront de boire,
Ceulx qui sont de loisir, de fables escriront,
Ceulx qui sont mesdisans, se plairont à mesdire,
Ceulx qui sont moins facheux, diront des mots pour rire,
Ceulx qui sont plus vaillans, vanteront leur valeur,
Ceulx qui se plaisent trop, chanteront leur louange,
Ceulx qui veulent flater, feront d'un diable un ange,
Moy, qui suis malheureux, je plaindray mon malheur.
Las où est maintenant ce mespris de Fortune ?
Où est ce coeur vainqueur de toute adversité,
Cest honneste desir de l'immortalité,
Et ceste honneste flamme au peuple non commune ?
Où sont ces doulx plaisirs, qu'au soir soubs la
nuict brune
Les Muses me donnoient, alors qu'en liberté
Dessus le verd tapy d'un rivage esquarté
Je les menois danser aux rayons de la Lune ?
Maintenant la Fortune est maistresse de moy,
Et mon coeur qui souloit estre maistre de soy,
Est serf de mille maulx & regrets qui m'ennuyent.
De la posterité je n'ay plus de souci,
Ceste divine ardeur, je ne l'ay plus aussi,
Et les Muses de moy, comme estranges, s'enfuyent.