Production : C.L.M., Filmsonor, Francinex -
Distribution : Cinédis.
Scénario et dialogues : Sacha Guitry.
Réalisation : Sacha Guitry.
Collaboration pour les scènes militaires : Eugène Lourié.
Directeur de la production : Gilbert Bokanovski.
Chef opérateur : Pierre Montazel (Technicolor)
Décors : René Renoux.
Son : Joseph de Bretagne. -
Montage : Raymond Lamy. - Musiques : Jean Françaix.
Interprètes (en ordre alphabétique):
Anna Amendola, Jean-Pierre Aumont, Jeanne Boitel, Gilbert Bokanovski, Pierre Brasseur, Gianna-Maria Canale, Pauline Carton, Jean Chevrier, Danielle Darrieux, Jean Debucourt, Clément Duhour, Jacques Dumesnil, O.W.Fischer, Jean Gabin, Daniel Gélin, Cosetta Gréco, Sacha Guitry, Madeleine Lebeau, Jean Marais, Lana Marconi, Louis Mariano, Armand Mestral, Yves Montand, Michèle Morgan, Patachou, Raymond Pellegrin, Marguerite Pierry, Roger Pigaut, Micheline Presle, Serge Reggiani, Dany Robin, Noël Roquevert, Maria Schell, Georges Spanelly, Maurice Teynac, Jacques Varennes Howard Vernon, Erich Von Stroheim, Orson Welles.
Durée: 183 mn. Sortie : 25 mars 1955 aux cinémas Gaumont- Palace, Berlitz, Paris et Studio 38 - Paris.
L' histoire :
Sacha Guitry, encore une fois dans la peau de Talleyrand, nous raconte et commente l'histoire de l'Empereur, avec son cynisme ironique et élégant, un brio et légèreté qui n'appartiennent qu'à lui. Historiettes piquantes, interprétées par les acteurs plus renommés de l'époque, et grandes fresques historiques se marient avec une souplesse qui enchante de bout en bout.
Extraits des dialogues du film.
Critiques anciennes et récentes :
Dopé par l'accueil du public, soutenu par ses nouveaux producteurs, Guitry décide de récidiver en
contant la légende de Napoléon Bonaparte.
C'est un de ses personnages fétiches. Il l'aime malgré la lucidité avec laquelle il juge ses
erreurs, ses faiblesses et ses fautes. Mais comme c'est une légende vivante en France (avec Jeanne
d'Arc et Vercingétorix), il lui est agréable de reconstituer cette épopée et de retrouver la
panoplie de Talleyrand pour s'en faire le conteur. Si ce Napoléon enthousiasmera le public, il
sera méprisé par l'ensemble de la critique, y compris les Cahiers qui n'en diront que deux mots :
"Sans commentaires". Une telle sévérité ne repose sur aucune analyse, puisque Guitry poursuit
exactement le même propos que précédemment. On lui reproche de n'avoir fait ici qu'une suite de
tableaux, mais c'est justement de cela qu'il s'agit avec Guitry : des tableaux, en fragments,
liés par un conteur et s'éclairant l'un l'autre par le regard qu'on y porte. Tout est affaire de
miroirs et, pour bien le faire comprendre, c'est par une scène de miroir que Bonaparte (Daniel
Gélin) devient Napoléon (Raymond Pellegrin). Et chaque tableau est une relance d'un des sentiments
que l'empereur procure à chacun. Aucune caricature. Aucune admiration béate. Aucune excuse. C'est
le portrait d'un homme et de ses compagnons, ennemis, maîtresses et épouses légitimes. D'abord
militaire, il faut le montrer au combat. Guitry ne sait pas filmer les batailles. Il délègue ces
séquences à Eugène Lourié qui leur insuffle un lyrisme contenu, digne des meilleurs moments d'un
King Vidor ou d'un John Ford.
Devant le rejet unanime subi par Napoléon, on s'interroge inutilement sur la vérité
historique. C'est la légende de l'Aigle qui a produit le malentendu. La beauté du film de Guitry,
c'est la machinerie de sa mise en scène, apte à désigner les nombreux engrenages qui emprisonnent
l'homme politique, serait-il même un dictateur. Mécanisme de la Révolution où Talleyrand le lance
pour qu'il en modifie la marche. Contraintes de devenir monarque absolu pour contenir les
ambitions politiques de sa famille. Labyrinthe des orgueils pour conserver l'image du libérateur
de l'Europe. Concasseur de chairs humaines pour prouver sa force militaire (élément marqué
superbement par la mort de Lannes, tendant le doigt vers le charnier du champ de bataille et
criant à l'oreille de l'empereur : "Assez")...
Son Napoléon est le jouet indiscipliné de la politique d'une Europe en crise. Talleyrand est son
conseiller, son guide, avant de devenir son ange noir, celui qui veut le retirer du jeu avant la
catastrophe finale. Rien à voir avec l'imagerie d'Epinal ou l'aveuglement flamboyant de Gance. Le
film est fait contre l'idée de destinée ou de hasard. Bonaparte triche au jeu parce qu'il ne croit
pas au hasard. Il veut connaître toutes les pièces de la machine et toutes les stratégies. Il
oublie qu'il n'est pas le seul metteur en scène au monde, et il se perd en ne devenant plus qu'un
acteur encombrant. Malgré le chatoiement des couleurs, le respect de l'auteur et le désir d'épopée,
Napoléon est une superproduction à l'envers qui nous livre un portrait sans fards de celui qui
(comme le dit Guitry-Talleyrand au début du récit) "naquit dans une île - rêva toute sa vie de
conquérir une île - se retira dans une île - et qui, contre son gré, trépassa dans une île".
Autrement dit : l'histoire d'une solitude.
Les critiques les plus distraits accuseront Guitry d'avoir conçu une apologie de la guerre. Ils
oublient la séquence du bivouac et les nombreuses allusions à la chair à canon. Quant au contexte
de la France au moment où le film est montré au public, c'est celui de la valse des gouvernements
et des incidents autour de Poujade.
Guitry n'a pas perdu son humour. A l'issue du gala de la première de Napoléon, en présence du
Président de la République, René Coty, il est interrogé par une journaliste de radio qui lui
demande ce qu'il pense de l'accueil formidable que le public fait à son oeuvre. Il répond :
"Pourvu que ça dure", citant le mot de la mère de l'Empereur et laissant sous entendre que
peu de choses durent en ce moment (spécialement les gouvernements)... Il doit aussi songer à son
état de santé, de plus en plus critique.
Cependant, il faut rendre une justice à la critique
d'alors. Tout en démolissant Napoléon, ils ont vu quel était le but de Guitry. Ils lui ont
reproché de montrer un héros national sans véritable grandeur ni panache, de le rendre même
antipathique. En fait, ils refusaient le film parce qu'il ne leur tendait pas le miroir conforme
à leurs souvenirs scolaires et aux livres à sa gloire. Ils auraient pu se souvenir des séquences
présentes dans les films antérieurs : le dialogue Bonaparte-Napoléon dans
Remontons les Champs-Elysées, son portrait pathétique et peu séduisant dans Le Destin fabuleux de Désirée Clary et
Le Diable boiteux. Leur manque de discernement eût été moins grand.
Noël Simsolo, Cahiers du Cinéma, 1988.