Cet exposé résume une expérience poursuivie depuis 1964. Les observations des auteurs ont permis de mettre en évidence certains mécanismes de l'instinct alimentaire chez l'homme, leurs implications théoriques et leur utilisation possible dans un but thérapeutique.
MOTS CLÉS
C'est une observation fortuite qui fut le point de départ de cette expérimentation: lors d'un voyage à travers les États-Unis, ne prisant guère la cuisine standard et subsistant avec les moyens du bord dans mes chambres d'hôtel, je constatai qu'un chou que je transportais avec mes provisions, changeait de goût d'un jour à l'autre. Pensant d'abord que cela provenait de la dessiccation ou du vieillissement du végétal, je dus renoncer à cette explication en observant qu'un jour le chou me paraissait hautement palatable, que le lendemain un goût répulsif m'en rendait l'ingestion impossible, puis le jour suivant, le goût était à nouveau agréable, et ainsi de suite.
Je remarquai en particulier que ce même phénomène d 'aliesthésie gustative pouvait se produire au cours d'une prise unique: le goût du végétal passait, de façon bien délimitée, de l'agréable au désagréable.
La conclusion (lui s'imposait était alors la suivante: le goût du chou n'est pas uniquement une donnée liée intrinsèquement à la nature du végétal, mais sa perception dépend également de l'état du consommateur. I)'autres observations démontrèrent que la perception olfactive est sujette à des variations analogues.
De là à postuler que le goût et l'odeur d'un aliment paraissent agréables lorsqu'ils correspondent à un besoin de l'organisme, et désagréables dans le cas contraire, il n'y avait qu'un pas: il existerait des mécanismes instinctifs chez l'homme, se manifestant au niveau de la perception gustative et olfactive, de telle sorte que l'aliment utile soit perçu comme attractif au goût et à l'odorat, et l'aliment nuisible ou superflu, comme répulsif ou neutre.
Cette hypothèse de travail rendait compte également du fait que le goût de l'aliment pût changer brusquement au cours de l'ingestion: probablement au moment où le déficit organique était potentiellement compensé, et ce par des mécanismes qui restaient à élucider.
Ce principe très simple se révéla malheureusement inapplicable à un grand nombre d'aliments: le chocolat, par exemple (même le chocolat suisse emporté aux USA), pouvait être consommé sans qu'aucun changement notable du goût n'intervînt, et en quantité pourtant excessive.
De retour en Europe, il fut décidé avec mes collaborateurs d'examiner ce problème de façon systématique et une assez longue série d'observations permit de dresser l'inventaire de deux classes d'aliments:
- les aliments dont l'ingestion s'associe à un changement de goût nettement diphasique,
- les aliments conservant un goût pratiquement constant.
Dans la première classe vinrent se ranger des aliments essentiellement bruts: fruits crus, légumes crus non assaisonnés, champignons crus, graines crues, poissons crus, fruits de mer nature, oeufs crus, viande crue, miel d'abeilles naturel, etc.
Dans la seconde classe aboutirent tous les mets usuels apprêtés: pain, pâtes, soupes, légumes cuits, salades assaisonnées, lait, produits laitiers, viandes cuites ou grillées, poissons préparés, etc.
Face à cette différenciation très nette, l'hypothèse suivante fut émise, rattachant les éventuels mécanismes d'un instinct alimentaire chez l'homme à leur origine phylogénétique: l'aliesthésie gustative et olfactive, serait un mécanisme d'attraction-répulsion par lequel s'exprime l'instinct alimentaire, mais celui-ci ne fonctionnerait correctement qu'avec les aliments auxquels il est génétiquement adapté.
En effet, si l'on admet qu'il existe un «appareillage instinctif" chez l'homme comme chez l'animal, et qu'on le considère comme une sorte de servomécanisme dont les structures, sans doute très complexes, se seraient élaborées par mutations et sélections naturelles; si l'on admet par ailleurs que la génétique humaine ne change que très lentement au cours du temps, et si l'on néglige provisoirement les phénomènes d'apprentissage dont l'importance restera à évaluer par la suite, il est évident que cet instinct alimentaire et ses mécanismes gustatifs, olfactifs ou autres se sont adaptés d'abord aux aliments qui faisaient partie du milieu primitif, au contact desquels cette évolution a pu s'effectuer.
Il n'y a aucune raison a priori pour que ces mécanismes, dans leurs composantes innées, soient «préadaptés» à des aliments porteurs de caractères organoleptiques et biochimiques nouveaux.
Le problème était alors de déterminer l'articulation entre aliments primitifs et aliments nouveaux. Avec quel recul une réadaptation génétique aurait-elle permis de modifier l'appareillage instinctif de telle façon qu'il fonctionne sans erreur avec un aliment nouvellement introduit dans le milieu ?
Considérant l'histoire de l'homme et de sa nutrition, il était plausible de retenir les idées suivantes: la génétique humaine change très lentement, si l'on considère par exemple sa très grande parenté avec celle des singes anthropomorphes dont les caractéristiques métaboliques, enzymatiques et immunologiques nous sont très proches. Pourtant la séparation des lignées hommes-singes remonte à quelque 30 millions d'années. Or la cause principale de l'élargissement de l'éventail alimentaire humain est l'artifice culinaire; elle est postérieure à la maîtrise du feu, ou à l'avènement de l'homo sapiens, événements qui se situent à une époque relativement récente. L'usage généralisé de la cuisson, en particulier, ne peut être antérieur au néolithique, pour des raisons techniques évidentes.
Il est donc justifié de poser que les données génétiques actuelles de cet appareillage instinctif soient héritées, pour la plupart, de temps très reculés - les primates les ayant eux-mêmes héritées de mammifères moins différenciés - et qu'elles aient été susceptibles d'évoluer pour adapter par exemple nos ancêtres aux changements de climat et de végétation dont leur biotope était l'objet, phénomènes qui s'étendaient sur des échelles de temps géologiques.
Par contre, dès l'apparition de l'intelligence conceptuelle, l'homme a pu modifier la contexture de sa nourriture très brutalement par rapport à l'échelle de temps biologique, et il la modifie encore aujourd'hui chaque fois qu'il invente une r recette de cuisine ou tout nouveau procédé de transformation.
La question qui se pose est alors de savoir:
- si ces facteurs organoleptiques et biochimiques nouveaux nécessitent, pour être intégrés sans dommage par l'organisme, une réadaptation de sa génétique par un processus de mutations-sélections;
- si cette adaptation a eu le temps de s'effectuer, cela pour chacun des facteurs nouveaux qui le nécessitent;
- si une telle adaptation est possible, ce qui n'est pas forcément le cas pour n'importe quel facteur, la variante du code génétique ayant par nature des limites.
On peut répartir en cinq classes les différents artifices par lesquels l'homo sapiens a modifié son statut alimentaire:
-La dénaturation thermique: tous modes de cuisson ou de transformation par une élévation de température, modifiant les structures biochimiques des nutriments et / ou les propriétés organoleptiques des aliments concrets; l'abaissement de température dans des conditions qui n'ont pas cours dans le milieu naturel (ou seulement de façon accidentelle) comme la congélation et la surgélation.
-Les dénaturations mécaniques (à l'exception de la mastication) comme le broyage, l'extraction, la séparation, le mélange, la superposition, l'assaisonnement, ces modifications de l'aliment brut ne se présentant pas de façon régulière sans intervention de l'intelligence conceptuelle: il faut se représenter mentalement les aliments que l'on veut mélanger, tels la tomate et le sel, la datte et l'amande, etc. l'animal sauvage consomme dans la règle ses aliments l'un après l'autre.
-Le lait animal et les produits laitiers, qui ont enrichi depuis un temps relativement court la palette alimentaire humaine, la domestication du bétail remontant à quelques 8.000 ans.
-La chimie alimentaire, qui constitue certes la plus récente de ces innovations "culinaires".
-Enfin la sélection artificielle: les plantes alimentaires dont l'homme s'est progressivement entouré ont été sélectionnées pour leurs qualités de rendement, mais aussi pour leur palatabilité, ce qui peut poser un problème au niveau des mécanismes de l'instinct alimentaire: tout bien considéré, la sélection est aussi un facteur de transformation biochimique et organoleptique.
On peut alors définir:
-l'aliment "originel": tel que les hominiens le trouvaient dans leur milieu naturel, sans intervention d'aucun artifice propre à l'intelligence conceptuelle;
-l'aliment "pro-génétique" : aliment ayant subi une éventuelle modification par un artifice, mais assez peu conséquente pour qu'il corresponde encore aux données génétiques de l'organisme, tant sur le plan des mécanismes instinctifs que sur celui du métabolisme.
Une longue série d'observations portant sur environ 500 volontaires de différentes classes d'âge (0 à 90 ans), fut entreprise pour déterminer dans quelle mesure le postulat d'un instinct alimentaire chez l'homme pouvait se confirmer ou s'infirmer dans le cadre des aliments "pro-génétiques", sans exclure toutefois, pour des raisons pratiques bien compréhensibles, les aliments issus de la sélection artificielle.
Afin de réaliser l'expérience de la façon la plus valable possible et d'éviter toute interaction avec des phénomènes annexes, ces personnes s'abstinrent strictement, pendant des périodes allant de quelques mois à douze ans et plus, de consommer tout aliment non "pro-génétique" (pain, lait, thé, café, chocolat, vin, pâtes, potages, apprêts et cuisine en tous genres).
Les aliments autorisés comprirent tous les fruits du pays, les fruits exotiques, les légumes, les champignons, les oeufs, la viande, les poissons et fruits de mer, le miel, le pollen, les plantes dites aromatiques, etc. obtenus dans les conditions les plus naturelles possibles, et consommés à l'état brut et isolé.
L'observation porta principalement sur la nature et la modulation quantitative des aliments choisis en fonction des besoins individuels, et sur les conséquences cliniques, particulièrement intéressantes chez les personnes atteintes de diverses maladies qui se joignirent au groupe.
A titre de contre-épreuve: eut lieu une expérience parallèle sur un certain nombre de souris (environ 800 AJ, C3H et C57), sur une soixante de mulots sauvages et sur d'autres animaux domestiques, volailles, porcs, ovins, bovins, au nombre de 1.500 au total environ, placés dans des conditions d'alimentation diverses).
Les moyens mis en oeuvre ont été limités par la difficulté insurmontable, en Suisse pour le moins, d'obtenir des crédits pour une expérience peut-être trop avant-gardiste, mais il fut possible d'en tirer un certain nombre de conclusions et d'hypothèses dont nous résumons ici les principales en ce qui touche l'instinct et l'équilibre alimentaire.
L'observation clinique a court et long termes montre que l'homme dispose d'un instinct alimentaire aussi sûr que celui des animaux domestiques, en tout cas pour les aliments "pro-génétiques".
L'homéostasie du milieu interne, l'autorégulation de l'apport vitaminique, et l'équilibrage calorique comme celui du rapport protides-glucides-lipides convergent spontanément vers
les valeurs optimales, et ceci pratiquement sans exception, même chez, des sujets présentant antérieurement des troubles métaboliques ou digestifs notables.
Les problèmes digestifs (dyspepsie, constipation, hyperphagie ou anorexie infantile par exemple) se résorbent en quelques jours, dans la plupart des cas.
Les parasites intestinaux sont généralement éliminés dès la modification du bol alimentaire. A ce sujet, sur un lot de 600 souris, contaminées par un strongle infestant le foie et les poumons, aucun kyste n'a été découvert parmi 160 sujets nourris d'aliments bruts, alors qu'on en trouvait un pourcentage notable dans toutes les autres classes d'expérience; l'adjonction d'un seul aliment non pro-génétique (lait de vache, céréales cuites, mixage, etc.) à la même alimentation de base a suffi à déterminer la réceptivité aux parasites. L'équilibre pondéral, l'obésité, la cellulite, comme l'atrophie musculaire sont dans la plupart des cas ramenés a la normale ou améliorés après un temps allant de 6 mois à 2 ans. Les enfants nourris dans ces conditions dès la naissance présentent un développement staturo-pondéral et psychomoteur optimum ainsi qu'une résistance particulière aux maladies d'enfants et aux infections. Citons au passage une observation surprenante: l'activité de la matrice unguéale semble régularisée de telle sorte que la longueur de l'ongle se stabilise et ne nécessite ni usure ni manucure (constaté chez les enfants jusqu'à 6 ans n'ayant consommé que l'alimentation pro-génétique, et chez quelques adultes après plusieurs années d'expérience).
Ces faits démontrent ainsi que le jeu des mécanismes d'attraction-répulsion permet d'obtenir ou de maintenir à long terme, un équilibre général parfait. Nous n'avons jamais pu observer de carence, de surcharge métabolique ou digestive, ni de trouble quelconque imputable à une mauvaise régulation de la prise d'aliments. Inversement, en forçant volontairement les limites indiquées par ces mécanismes, on fait apparaître facilement des troubles digestifs (dyspepsie, aérophagie, pyrosis, emesis, etc.).
Cela démontre la cohérence de ces mécanismes, et du même coup l'existence d'un instinct alimentaire adapté aux aliments du milieu primitif. Mais un phénomène remarquable permet de lui assigner un rôle direct dans le contrôle de l'homéostasie: sa corrélation avec la douleur inflammatoire.
Dans la douleur telle qu'elle se présente ordinairement, lors d'une luxation, d'une brûlure, d'une blessure, d'une fracture etc. on peut distinguer deux phases: la douleur <primaire." signal indiquant que tel membre ou tel organe est en danger, se pro(luisant au moment même du dommage; et une douleur "secondaire", prolongeant la précédente ou s'y surajoutant sous l'effet d'une réaction inflammatoire.
L'expérience montre que l'équilibrage instinctif provoque la disparition de toute douleur de cette seconde catégorie.
Aussi étonnant que cela paraisse, il suffit de dépasser relativement peu les amplitudes déterminées par les mécanismes gustatifs, particulièrement avec les aliments riches en sucres, pour observer la réapparition d'une douleur inflammatoire latente: céphalées, maux de dents, douleur angineuse, etc. Cette douleur secondaire, inutile en fait, apparaît donc nettement liée à une dénaturation et / ou à un excès de glucides. Il y aurait là d'ailleurs une explication à la variabilité du seuil de la douleur d'un individu à un autre, ou d'un moment à un autre, en fonction des variations du déséquilibre alimentaire, entraîné par l'inadaptation instinctive à l'alimentation ordinaire.
Ce phénomène permet de déceler très simplement le déséquilibre alimentaire, et fournit un critère précieux pour tracer la frontière entre aliments pro-génétiques et aliments inadaptés: par exemple les fruits séchés à l'air à moins de 40° ne posent guère de problèmes, alors que les fruits séchés à des températures élevées suffisent à ramener la douleur inflammatoire; de même la banane fraîche écrasée, l'orange pressée, la pomme râpée, la datte séchée au four, le miel maturé à chaud ainsi que la viande crue salée, ou simplement hachée, etc.
On fait apparaître ainsi d'une part le fonctionnement extraordinairement précis de ces mécanismes d'autorégulation, et d'autre part leurs limites. Dans un premier temps, on peut conclure que l'appareillage instinctif chez l'homme est adapté génétiquement aux aliments du milieu antérieur à l'intervention de l artifice culinaire, et qu'il n'a pas bénéficié des mutations nécessaires pour le réadapter à des aliments même très proches de l'aliment brut.
Ceci explique l'énorme difficulté à débrouiller le problème face aux dogmes de la gastronomie traditionnelle, et la conviction générale que cet instinct serait perdu, ou du moins considérablement perturbé chez l'être humain.
L'expérience animale a été instructive à titre de contre-épreuve: même les mulots sauvages, dont on aurait pu attendre le comportement instinctif le plus sûr, se sont gravement déséquilibrés au contact de la nourriture "civilisée". Les bêtes sont devenues en quelques semaines les unes obèses, les autres cachectiques, et cela avec le même menu proposé à leur choix. Des perturbations métaboliques, dues vraisemblablement à l'inadaptation enzymatique de ces rongeurs aux caractéristiques biochimiques des aliments cuisinés, sont sans doute venues s'ajouter au déséquilibre d'origine instinctive. Dans la plupart des cas, la mort a été rapide (quelques semaines), alors que les animaux-test nourris d'aliments bruts n'ont présenté quelques troubles qu'au bout de plusieurs mois de captivité (carence probable en protéines, due au manque d'insectes ou d'arachnides). Ce qui confirme que c'est l'état de la nourriture et non l'état du consommateur qui est la cause du désordre instinctif. Fait surprenant: le mulot sauvage, privé de l'aliment qui répondrait à son "appel" instinctif, et confronté à d'autres aliments originels qui pourraient compenser son déficit calorique au moins, se laisse généralement mourir de faim. A première vue, la sélectivité de son instinct alimentaire prime sur son instinct de conservation. Les souris d'élevage réagissent de façon beaucoup moins nette.
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