Article parru dans la "Revue des professionels de santé" n° 38, septembre-octobre 1984, p. 27-42

INSTINCTOTHERAPIE

Essai sur l'instinct alimentaire chez l'homme et définition de l'instinctothérapie.

Par Guy-Claude Burger, physicien, licencié ès sciences de l'Université de Lausanne et ses collaborateurs


Partie 2


"GOUT DE" ET "GOUT POUR"

Il est à noter que l'interprétation du comportement instinctif de l'animal est malaisée lorsque l'expérimentateur n'a pu lui-même éprouver le jeu de ces mécanismes, au sujet desquels il y a lieu de faire encore les remarques suivantes: Avec les aliments génétiques, les concepts de "goût de" et de "goût pour", ordinairement utilisés dans l'éthologie alimentaire, perdent leur signification.

Il est caduc de dire que la banane, par exemple, a le "goût de banane", car ce goût varie d'un extrême, délectable et parfumé, à un autre extrême, âcre et râpeux, en fonction de l'état du sujet. On pourrait tout au plus parler du "goût-de-la-banane-quand-l'appel-instinctif-est-positif" . Mais là encore, la définition est scabreuse, car ce goût varie dans ses nuances suivant les données particulières de l'état du consommateur: des composantes douceâtres, amères, épicées, etc. peuvent provoquer une variété en principe indéfinie de saveurs, dépendant des divers déficits et surcharges, si bien qu'il vaut mieux parler de "réponse gustative" ou de "réponse de palatabilité" à la banane. Cette réponse coordonne d'ailleurs non seulement les composantes de perception gustative et olfactive, mais aussi la perception tactile de consistance: la noix de coco peut paraître tantôt moelleuse, tantôt sèche et filandreuse, la coquille d'oeuf parfois même fondante.

La notion de "goût de", en tant que donnée objective, ou projective, semble provenir du fait qu'un aliment auquel l'appareillage instinctif humain n'est pas adapté, comme le pain par exemple, produit certains stimuli sur nos chimiorécepteurs externes, qui, par absence d'une réponse d'origine centrale capable d'en modifier la perception, nous font éprouver toujours la même sensation: les stimuli échappent ainsi à l'interprétation perceptive normale, qui ne peut se faire en fonction de la programmation génétique d'attraction-répulsion lorsque l'aliment n'entre pas dans la plage d'adaptation de l'appareillage instinctif.

D'autre part, même le goût d'un aliment originel ne varie pas sensiblement, lorsqu'il est consommé à côté d'une alimentation traditionnelle: celle-ci induit un état métabolique sensiblement constant chez un sujet donné, impliquant qu'il ressent toujours le même "goût de" banane, du fait d'une continuelle surcharge ou saturation en glucides par exemple.

Ce "goût de", varie manifestement d'un sujet à l'autre, mais la comparaison est difficile; et surtout, il n'est pas dans les usages de prendre ces phénomènes en considération. D'où la possibilité d'appeler du même nom des perceptions en fait différentes d'un sujet à l'autre et la genèse du pseudo-concept «goût de" considéré comme un caractère objectif invariant de l'aliment.

Il faut une circonstance exceptionnelle pour qu'une réponse de l'appareil instinctif modifie sensiblement la perception gustative chez un même sujet nourri traditionnellement: on peut l'observer, par exemple, lors de l'incubation d'une hépatite virale, où les goûts coutumiers des produits naturels ne se retrouvent plus, quels que soient les efforts de réminiscence du malade; des saveurs détestables, "pharmaceutiques" apparaissent et le conduiraient en fait, déjà avant la crise, à l'établissement d'un régime salutaire pour son foie; le recours aux aliments apprêtés lui permet de passer outre et d'aggraver son pronostic, sans profiter des avantages de cette sorte de thérapeutique spontanée. Même observation en début de grossesse: les soi-disant caprices des femmes enceintes (envies de fraises, etc.), relèvent d'une tentative de l'instinct alimentaire tendant à établir un équilibre favorable la gestation; le forçage de cette barrière naturelle par des aliments "non répondants" se solde souvent par des vomissements, deuxième mesure de protection qui confirme la validité de la première.

En de telles situations "d'urgence", il est possible de constater que le "goût de", varie indiscutablement en fonction de l'état du consommateur, et qu'il ne s'agit donc pas d'une donnée objective, liée intrinsèquement à l'aliment. Malheureusement, vu que cela se produit dans des occasions exceptionnelles, ce changement de réactance n'est communément pas pris en considération pour une observation critique ni pour une interprétation rationnelle en termes d'instinct, mais laissé sur le compte soit d'une singularité de l'aliment concerné, soit d'un facteur psychologique.

Quant à la notion de "goût pour", elle perd également sa signification face aux aliments originels: il est impossible de ressentir un «goût pour" la banane, si la réponse gustative à la banane est négative (âpre et rébarbative), ni un "dégoût pour" si 1a réponse est positive (cela en tout vas dans le cadre d'une alimentation pro-génétique).

Avec un plat de pâtes, par contre, on peut distinguer le "goût de" nouilles, qui reste toujours sensiblement identique, du «goût pour" les nouilles, lié à la jouissance de l'ingurgitation. Lorsque ce dernier se mue en "dégoût pour" les nouilles, c'est par un sentiment d'écoeurement, ou de refus physiologique à un niveau de saturation, qui n'a rien de commun avec un changement de la perception gustative directe qui nous intéresse ici.

LE FACTEUR HEDONIQUE

Ainsi, avec les aliments originels, et à condition que le sujet soit dans un état approprié, ces deux notions se confondent: le «goût pour" l'aliment est déterminé biunivoquement par le "goût de" l'aliment, et varie conjointement. Le facteur hédonique, lui reste indépendant: lié à des souvenirs de satisfaction organique ou de projection psycho-affective, il relève manifestement de l'apprentissage.

La réponse gustative limite néanmoins de façon satisfaisante l'amplitude de prise de l'aliment; on peut estimer à seulement 5 à 10 % l'augmentation due à une stimulation hédonique positive, augmentation qui s'explique par la facilitation psychologique du potentiel digestif et reste en elle-même une réaction d'ordre instinctif à la situation interne. En d'autres termes, la mécanique innée de la réponse de palatabilité prime nettement sur l'apprentissage hédonique. D'ailleurs, si l'on essaie de dépasser la limite indiquée par une réponse de palatabilité négativée, on se heurte à l'apparition de sensations pouvant aller jusqu'à la douleur: acidité, brûlure, astringence, sécheresse, glossite, etc., telles que le barrage est infranchissable.

Notons qu'un excès léger, sous l'influence hédonique, se traduit automatiquement, du fait de la surcharge induite, par un abaissement de la réponse de palatabilité à l'ingestion suivante; mais cette autorégulation se manifeste sans intervention d'aucun désagrément sensible, et ne peut être interprétée comme une réaction béhavioriste: l'automatisme compense, en dehors de tout processus de conditionnement, le "préjugé" hédonique.

Dans le même sens, il faut signaler que l'instauration de cercles vicieux comme l'alcoolisme ou la toxicomanie, relevant du facteur hédonique, ne s'est pas révélée possible avec des aliments génétiques; l'âcreté que prend par exemple un raisin fermenté entier si on en consomme à l'excès, "arrête" d'une façon qui ne se retrouve pas avec le vin, et qui garantit d'emblée contre tout risque d'accoutumance.

Inversement, quelque mauvais souvenir lié à un aliment, peut conduire à s'en priver alors qu'il serait pourtant nécessaire; dans ce cas, la situation est plus fâcheuse, car sans jamais le soumettre au test de palatabilité, ou au moins à l'odorat, on ne peut évidemment pas en reconnaître l'adéquation: un facteur hédonique "négatif" est ainsi susceptible d'induire une carence.

CARACTERE INNÉ DES PRÉFÉRENCES ET AVERSIONS

Une expérience objective directe permet de mettre en évidence le caractère inné de l'instinct alimentaire: il suffit de présenter à des nouveau-nés (issus de mères nourries si possible par notre méthode), une gamme d'aliments génétiques, en les passant à tour de rôle près de leur nez, alors même que leurs yeux sont encore fermés. On observe deux réactions: ou bien le bébé ne réagit pas; ou bien sa bouche s'ouvre, dès que son odorat a pu percevoir l'aliment, par un même automatisme que la gueule du chien à qui l'on présente à l'improviste un mets odorant.

Le bébé qui n'est pas encore capable de coordonner ses mouvements pour manifester son acceptation ou son refus dispose déjà de ce réflexe en dehors de celui des points cardinaux ; 1a chose est rarement observable dans les conditions ordinaires, car elle implique que le bébé ne soit pas surchargé de nourriture, et qu'on lui propose un aliment apte a le stimuler positivement (un bébé conditionné ouvre la bouche à l'approche du biberon, mais les premiers jours, il ne réagit qu'au contact de la tétine, et non à l'odeur du caoutchouc !).

Nous avons par exemple présenté à un nouveau-né, dans la sixième heure suivant sa naissance et avant toute ingestion de lait maternel, un choix d'aliments pro-génétiques, successivement pré mâchés par sa mère et donnés à la cuiller; le nouveau-né, qui a ingéré de la sorte une demi-banane, une tranche de papaye et une portion de thon cru, n'a présenté par la suite aucun trouble digestif ou autre; l'expérience citée s'est d'ailleurs prolongée dès le lendemain et jusqu'à ce jour, conjointement à l'allaitement pendant la première année: l'enfant a maintenant 6 ans, il jouit d'un état de santé parfait et d'un développement tout à fait satisfaisant. Cette expérience a été répétée depuis lors dans plusieurs cas, toujours avec le même succès à court et long terme.

Pour tout aliment non désiré, le refus est très net; si l'on force au niveau des lèvres, le bébé détourne immédiatement la tête; si l'on introduit malgré tout l'aliment dans la bouche, sa langue en provoque le rejet par un mouvement analogue aux dents d'une machine à coudre en marche arrière. On peut ainsi observer, en plus de réflexe de succion, un réflexe d'ingestion et un réflexe de rejet prêts à entrer en fonction dès les premières heures après la naissance, pour autant que les stimuli adéquats soient exercés.

Sur un grand nombre de cas, nous n'avons jamais pu observer qu'un bébé accepte un aliment pro-génétique qui l'incommode ou lui nuise d'une façon quelconque.

Par contre, cette autorégulation n'est pas fiable avec les aliments ordinaires, une liberté excessive pouvant alors conduire à un déséquilibre nutritionnel, voire à de graves accidents. La réaction très précise, sélective et parfaitement cohérente du bébé au premier contact avec la nourriture "originelle", avant toute possibilité d'apprentissage, confirme donc qu'il s'agit d'un phénomène inné: l'organisme semble doté d'une sorte d'ordinateur instinctif, programmé pour les aliments auxquels l'évolution a adapté sa génétique. Par ailleurs, chez les sujets adultes passant sans transition de l'alimentation traditionnelle à l'alimentation génétique, on constate que les mécanismes instinctifs de réponse de palatabilité émergent rapidement; ils manifestent une cohérence fonctionnelle satisfaisante, le plus souvent déjà au bout de quelques jours. Si l'on introduit par la suite un aliment génétique totalement inconnu du sujet, tel un fruit exotique, une baie sauvage, voire un champignon vénéneux, la réponse de palatabilité est correcte dès la première confrontation, sans nécessiter aucun apprentissage. Par contre, on constate qu'une modification même légère (superposition, échauffement préalable, adjonction de sel, application d'une recette coutumière, etc.), apportée à un aliment pro-génétique quelconque, déjà connu ou non, suffit à fausser manifestement la régulation, ramenant la douleur inflammatoire ou tout autre trouble de déséquilibre.

Il faut donc bien conclure qu'il s'agit là de mécanismes innés, sans quoi ils nécessiteraient un certain temps d'apprentissage face à un aliment pro-génétique nouveau, contenant par exemple une substance toxique non repérable sensoriellement; inversement, ils devraient être en mesure de réagir correctement à un aliment modifié, qui est en définitive plus proche des données supposées acquises par apprentissage chez les sujets ayant pratiqué l'alimentation traditionnelle auparavant.

INCIDENCE DU FACTEUR VISUEL

Il est toujours difficile de dissocier la part de l'inné de celle de l'acquis. A ce sujet, il est peut être intéressant de relater ici une observation significative: sur un lot de poussins venant d'éclore, nous constations que l'un d'entre eux, chaque fois qu'il tentait de saisir une graine avec son bec, piquait le sol à 6-7 mm en deçà du but. Pensant qu'il s'agissait d'un retard d'apprentissage nous tâchions de rééduquer l'animal par toutes sortes de moyens: 1a bête aurait d'ailleurs dépéri dans le troupeau, ses concurrents lui mangeant évidemment tout "sous le bec". Même en lui fournissant par exemple des pupes de mouches dans une coulisse penchée de façon à rétrécir progressivement le champ de tir et à amener le poussin, qui atteignait toujours une autre pupe que celle qu'il visait, à ajuster par de nombreuses expériences sa coordination sensori-motrice, le résultat fut strictement nul: au bout de trois mois, il piquait toujours à 7 mm à côté du but et remis dans le troupeau, fut emporté par la dénutrition.

Cela montre d'une part l'extrême précision d'un enchaînement complexe de mécanismes sensori-moteurs englobant l'image rétinienne, la position de l'oeil, de la tête, des pattes, etc., et d'autre part leur caractère strictement inné: dès le premier jour, le poussin réagit au schéma déclencheur "pupe" ou "vermisseau" et picore avec la même précision qu'il le fait à l'âge adulte, sans nécessiter aucun apprentissage, mais également sans être capable d'aucun apprentissage. Il apprend tout au plus a ne pas se risquer sur des cibles dangereuses, mais il faut pour cela qu'il enregistre une série d'impressions assez clairement significatives. Et encore, même en chassant régulièrement les poussins lorsqu'ils piquent le bout des ongles de l'expérimentateur, évoquant pour eux un schéma déclencheur quelconque, l'effet de dissuasion est quasiment nul.

On peut cependant observer que le poussin qui a picoré une graine ou une larve, la rejette lorsque son ingestion n'est pas susceptible de combler un déficit, cela après l'avoir rapidement retournée dans son bec, donc probablement par suite d'une réponse gustative négative. Le mécanisme gustatif ou de palatabilité reste donc l'instance principale de rejet; la vision semble jouer chez ces oiseaux le rôle dominant dans la stimulation de recherche ou de préhension que l'odorat joue chez d'autres animaux: nous n'avons jamais observé, pal exemple, un chat qui fasse le guet devant une tanière de campagnol inhabitée, et donc inodore. Il y aurait toute une intéressante étude à faire, à partir de la définition de milieu "originel", sur l'éthologie alimentaire de l'animal en fonction combinée de l'odorat, du goût, de la vue, de l'ouïe, et même des schémas déclencheurs lui permettant d'identifier sa proie à partir d'une cinétique spécifique (mécanisme qui apparaît nettement dans certaines confusions: bouchon-ficelle pour le chat, appâts pour la pêche, etc.). Une telle recherche systématique permettrait de comprendre et d'éviter certains désordres nutritionnels susceptibles d'être fatals à la survie d'une espèce, et résultant de modifications écologiques parfois négligeables à première vue, comme par exemple les perturbations olfactives des poissons dues aux effluents d'usines d'épuration, les déséquilibres de la faune induits par l'extension de cultures céréalières sélectionnées, etc.

Chez l'homme, le facteur visuel semble jouer Un rôle contingent. On peut observer toutefois certaines variations perceptives de l'éclat des couleurs d'un fruit en correspondance effective avec le déficit. L'expérimentation est délicate, car on frise là le domaine de l'autosuggestion. Cependant, il est connu que, sous l'effet de certaines drogues, la brillance et l'éclat des couleurs se modifient au niveau de la perception: un tel mode d'expression de l'instinct alimentaire ne doit pas être exclu d'emblée.

Il est peut-être masqué et dévié par l'éducation, par les couleurs artificielles, et surtout par sa projection sur un milieu alimentaire trop éloigné du cadre héréditaire de la potentialité d'apprentissage: biberons et bouillies pour bébés n'offrent pas à leurs mécanismes d'introjection les formes et les teintes propres aux aliments originels.

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