photo © S.de Butler
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Operations de liberation de la Corse par le 2eme GTM du Lieutenant Colonel Boyer de Latour en 1943
RAPPORT OFFICIEL DU LIEUTENANT-COLONEL BOYER DE LATOUR DU MOULIN SUR LES OPERATIONS DE LA LIBERATION DE LA CORSE EN 1943 PAR LE 2EME GROUPEMENT DE TABORS MAROCAINS (2EME G.T.M.)
Le 2eme GTM doit pour sa part:
“deborder au plus pres par le nord le col de Teghime et faciliter sa conquete en mettant la main sur la Serra Di Pigno.
Pousser par le col de San Leonardo sur les pentes Est des Monts Murzajo et Muzzine, penetrer ensuite dans Bastia et le nettoyer".
Cependant le 1er RTM, agissant sur l’axe col de San Stefano-col de San Antonio, debordera par le sud le col de Teghime.
Tout cela est fort bien . Intention et missions sont logiques. Toutefois, elles sont un peu noyes dans l’abus des formules “ecole de guerre” et elles ne s’imposent pas aux executants avec toute la rigueur desirable.
L’essentiel est en deux lignes de s’emparer de la crete qui domine Bastia et d’accrocher l’ennemi pour empecher son rembarquement ou du moins le gener.
L’enlevement du 2eme GTM commence le 28 a 19 h. La leve du camp, le transport en camion baches s’effectuent sous une pluie battante par une route de montagne accidentee.
En pleine nuit et sous la pluie qui continue a tomber, les goums sont deposes un a un sur le bord de la route, a la hauteur du hameau de Casta.
Des elements Italiens tiennent Saint Florent et les cretes dominant ce village de l’Ouest.
Les Allemands sont toujours a Patrimonio et a Barbago.
Pour se faire une idee de l’inconfort de ces deplacements et des fatigues endurees par les hommes, il faut se representer que le 2eme GTM ne dispose d’aucun moyen de transport. Tout doit etre collete a dos d’hommes. Chaque nouveau deplacement impose le transport du point de debarquement au lieu de stationnement, la creation de depots temporaires de vivres et de bagages. Ceux ci sont confies a la garde de quelques goumiers qu’on oublie bientot dans le feu de l’action, et qui, prives de boire et de manger, delaissent leur garde, abandonnent les depots qui seront abondamment pilles.
Mercredi 29 septembre 1943:
La journee du 29 est une journee de reconnaissance et de prise de contact avec les Italiens. Les renseignements recueillis confirmant et completant ceux qu’on possedait deja.
....avons a porte de main notre fidele allie le dejebel.
Le pittoresque village de farinole est accroche au pied du San Martino, face a la mer, son quartier vieux est construit a contre pente, les maisons s’elevent en nids d’aigles, a l’aplomb des a pics de rochers comme des kasbahs berberes de certaines vallees du sud Marocain que nous connaissons. Elles paraissent construites en pierre seche, ou liees par un ciment si leger qu’il a disparu. De belles sources d’eau vive et claire jaillissent au centre du village. Apres les fatigues de la nuit, il faut marquer un temps d’arret pour laisser souffler hommes et animaux, et permettre aux cadres Francais d’accomplir les rites sacro-saints du casse croute matinal.
Il est 8 heure du matin quand nous reprenons la marche. (le 30 septembre).
La montee du San Martino est un escalier continu.
12 heures, Col de San Martino enfui dans la brune. Rencontre avec M.de Mareuil arrive sans encombre et deja installe. On n’y voit pas a 10 metres. Impossible de repartir dans ces conditions. Le commandant Edon decide de fixer le depart a 14 heures.
En attendant, on organise un dispositif de securite rapprochee et on souffle.
Le brouillard tombe en gouttelettes fines. On ne dispose pour tout abri que de cagnas en pierre seches, refuge pour les moutons en cas d'orage. On se fait nettoyer 2 ou 3 et on s’y entasse pendant que les goumiers d’acier, deja remis de leurs efforts, allument du feu et font chauffer le cahous.
14 heures. On a vagument dormi, bu et mange. La manoeuvre peut commencer. Il s’agit de retrouver au plus vite la ligne de crete Nord-Sud qui conduit vers la Serra Di Pigno, sur laquelle progressera le gros de notre dispositif tandis que des arrieres gardes legeres assureront la securite de notre ligne de communication.
Comme on s’apprete a quitter le col, on entend des cris, des discusssions. On s’appercoit qu’a la faveur de la brume les goumiers de de Mareuil ont improvise a quelques distance du col un “poste de douane” qui ranconne au passage les soldats Italiens enfuis de Bastia.
Cris, menaces, sanctions, puis depart. On a d’autre chats a fouetter.
La brume se leve enfin. Les unites se placent et le dispositif se prend.
En tete, marche le 1er Tabor dans l’ordre 60-58-59 goums. En arriere, progresse le VIe Tabor laissant comme prevu, de faible detachements a la garde de la ligne de communication, gagnant avec sont gros la crete que vient de quitter le 1er Tabor. Un vague sentier chemine a travers les rocs, dont la difficulte est une garantie contre les mauvaises rencontres. Autant de positions auxquelles on pourra s’accrocher en cas de besoin. La fatigue a disparu. Il a suffi d’entrer dans l’action, d’avoir l’esprit tendu vers l’ennemi, les dispositionsa prendre, les ordres a donner, pour ne plus songer a la douleur des muscles.
On percoit nettement dans les criques au nord du port dont les noms bientot nous deviendront familiers, le va et vient des vedettes allemandes.
Quel dommage de ne pouvoir les atteindre! Mais quelle chance , par contre , dans notre isolement, de cheminer aussi tranquillement sans coup de feu et sans obus, masques par les larges couches de brume ou dissimules derriere la crete rocheuse de la montagne.
La manoeuvre se deroule rapidement, de mouvement de terrain en mouvement de terrain.
Vendredi 1er octobre 1943:
Nos affaires vont bien. Le 60eme goum a atteint la Serra Di Pigno sans attirer l’attention de l’adversaire. Il s’agitb desormais de completer l’occupation de cet important massif pour avoir une position inexpugnable. La securite de nos arrieres passe au second plan. Comment l’ennemi qui decroche tenterait-il d’escalader en force les pentes impraticables qui, en escalier, conduisent a San Martino et a la Serra Di Pigno.
Notre securite est vers l’avant. Il faut faire sauter le bouchon du Teghime, tendre la main au 1er RTM qui vient du San Stefano et au Xve Tabor qui monte de Saint Florent.
Tandis que le 58eme goum s’installe face a l’ouest, le 59eme goum face a l’est, le VI tabor face au nord, le 60eme goum recoit l’ordre de gagner la face sud de la Serra Di Pigno et de pousser une reconnaissance sur la Cima Orcaia (cote 781).
Il fait a peine jour quand le goum commence son mouvement. Il dispose de guides surs, tres allants et le brouillard semble une circonstance favorable.
Par malheur les guides qui connaissent le pays ne font pas de distinction entre La Serra Di Pigno et la Cima Orcaia (cote 781). C’est sur 781 qu’ils entrainent le gros du goum et la patrouille destinee a cette cote 781 se trouve poussee bien avant sur un eperin rocheux qui prolonge ce mouvement de terrain a 800 metres environ a l’Est et domine immediatement la route de Bastia.
L’occupation de 781 s’est faite sans incident. L’ennemi, selon toute vraissemblance, n’a pas encore evente la presence de nos troupes. De notre cote, l’observation et l’ecoute ne nous ont donne aucun indice de l’occupation du col de Teghime par les troupes allemandes. Autant de circonstance qui incitent a l’optimisme et a la marche en avant.
Au moment ou brusquement le brouillard va se lever le dispositif est le suivant:
La section Dechonne, avec comme adjoint le sergent chef Spor (?) se trouve sur l’avancee rocheuse de la cote 781. Le capitaine Litas, avec le capitaine de Ligniville et les elements du goum de commandement, le sergent Dinier-Vallet, comptable de l’unite, se portant eux meme legerement sur la gauche de cette avancee rocheuse pour observer et se rendre compte de la situation de l’adversaire. La section Pagliano et la section Beau sont sur la cote 781, l’une a droite, l’autre a gauche. Le groupe de mitrailleuses est en reserve. La premiere chose que loes goumiers appercoivent, ce sont des allemands en train de charger des camions. Des coups de feu partent aussitot, les allemands se sauvent vers le col.
Un goumier crie “les allemands se sauvent”. La section du sergent-chef Pagliano voyant cela se lance a la poursuite et commence a devaler les pentes de 781. Le groupe de mitrailleuses detruit un camoin allemand.
Dans ce court laps de temps, les defenseurs du Teghime se sont ressaisis. Ils ont saute a leurs pieces et ouvert le feu. Une pluie de mitrailles s’abat sur les hommes de Pagliano qui, sur les pentes de 781, face au Teghime se detachent dans leur djellaba brune, comme des chevres noires. Pagliano et 7 goumiers sont tues. le reste de la section reflue a l’abri de la Cima Orcaia.
Dans le meme temps, les elements de la section Dechonne, installes sur l’avancee de la cote 781 sont engages par des tirs d’armes automatiques et d’artillerie et contre attaques par une soixantaine d’hommes. Dechonne est tue, une dizaine d’homme restent sur le terrain, tues, blesses ou prisonniers.
Le commandant du 1er Tabor arrive sur la Cima Orcaia au moment precis ou le sergent Dimmier-Vallet et le moggaden Aoual Ali Ou Haddou, couverts de sang, mitraillette a la main, vetement en desordre, arrivant eux memes en courant, ayant reussi de justesse a echapper aux allemands. Ils se sont degages apres un combat a bout portant au cours duquel Dimier a abattu deux alllemands. Sa mitraillette, son equipement, ses vetements sont traverses par les balles.
Ali et Didier nous pressent d’abandonner la Cima Orcaia. “ Ils sont la, ils arrivent. Il faut decrocher”.
La situation sur 781 n’est a vrai dire pas mauvaise. La position est solide et des infiltrations ennemies peuvent se produire sans grand danger. Mais le goum n’est pas installe. Les feux ne sont pas en place. La soudainete de l’action a disloque les liens tactiques. L’artillerie risque de causer des pertes . L’artillerie risque de causer des pertes , l’occupation du piton etant trop dense, autant decrocher, se regrouper sur la Serra Di Pignoi et faire le bilan.
La decrochage s’effectue sous la protection du 58eme goum venu a la rescousse. L’ennemi tire avec tous ses moyens.
Les mortiers nous accompagnent. Les balles claquent a nos oreilles. Par une chance extraordinaire, due aux nombreux accidents du sol qui permettent de bondir d’angle mort a angle mort, il n’y a d’autre perte a deplorer que celle du capitaine Duparonneur, blesse au talon.
L’affaire est manquee. La surprise a finalement joue contre nous . Le Teghime est une trop grosse affaire pour un tabor seul. Il faut sorganiser sur la Serra Di Pigno en attendant l’action de nos voisins et subir le tir de l’artillerie adverse qui s’en donne a coeur joie, maintenant qu’elle nous a reperes.
Nous subissons de lourdes pertes. L’aspirant Bordas est frappe d’une balle en pleine tete par un tireur d’elite en reglant le tir d’une batterie de 81. Le marechal des logis Ponthenier du 59eme goum, est tue dans les memes conditions en reglant le tir du mortier de 60 de l’unite. L’adjudant Ferry, modele de courage et de devouement, estime de ses chefs, adores de ces camarades, frappe d’un eclat d’obus au coeur, s’effondre dans les bras de l’adjudant chef Beau. Le sous lieutenant Legoux du 11eme goum est tue, le commandant Guilloz, le lieutenant Rueff sont blesses. Le commandant Edon est lui meme legerement atteint. Le capitaine Garaud recoit en pleine poitrine un petit eclat qui traverse ses vetements, son portefeuille et s’arrete a sa peau…
Il faut evacuer les morts et les blesses. A 17 heures un convoi dirige par le capitaine Blanckaert se dirige par le loong et difficile itineraire de San Martino, vers Saint Florent ou les evacuations se font par mer.
Il y arrive le lendemain a 8 heure du matin apres une route longue et perilleuse.
La nuit se passe sous la pluie qui tombe encore, sans ravitaillement autre que quelques chevres razziees sur le champ de bataille.
Samedi 2 octobre 1943.
Pendant que se deroule ces evenements le Lieutenant Colonel de Latour qui dans la nuit du 30 au 1er avait installe son PC a Saint Florent, essayait de tater de face le col du Teghime.
Des le 30 septembre, le 39eme goum avait tente de pousser une reconnaissance vers Patrimonio. Accueilli par des coups de feu et des tirs d’artillerie d’une precision remarquable, il n’avait pu poursuivre sa mission.
Par contre une unite italienne fortement appuyee par l’artillerie reussissait a atteindre le village de Palazzo et a poser des mines sur lesquelles un char Marck allemand sautait.
Le 1er octobre, le 74eme goum pousse sur Palazzo avec l’appui d’un peloton de char du 4eme R.S.M.
Le 39eme goum atteing Patrimonio. Le 47eme goum, enfin regroupe, occupe la “cluse” de San Antonio, immediatement a l’est de Saint Florent.
Un renseignement des plus hasardeux, apporte dans le courant de l’apres midi par une reconnaissance de spahis donne a penser que le Teghime n’est plus que faiblement tenu.
Au soir le Lieutenant-Colonel decide d’en finir sans attendre l’action du 1er R.T.M. qui n’a pu deboucher du col de San Stefano.
Le XV e Tabor , venant de l’ouest , se portera sur le Teghime en liant son mouvement a celui du groupe Edon qui attaquera du nord au sud en partant de la Serra di Pigno.
Le 2 octobre, a une heure , le commandant du XV Tabor est a Palazzo avec les 39eme et 74eme goums et un peloton de chars legers. Il apprend par les gens du pays, que la route du col est coupee a la sortie Est du village de Barbaggio. Il fait alors rassembler la compagnie Italienne qui occupe Palazzo pour essayer de faire retablir le passage, mais il doit y renoncer des qu’il est mis au courant de l’importance de la destruction.
A 1.30 heures, le pc du lieutenant Colonel transmet de nouveaux renseignements qui indiquent maintenant que le col est tenu par une batterie d’artillerie de gros calibre (152 Russse) des mortiers et vraisembablement une infanterie nombreuse.
Le commandant Hubert decide alors de pousser le 39eme goum sur la Serra Di Pigno avec mission de prendre liaison avec le 1er Tabor et d’attaquer le col du nord au sud. Lui meme avec le 74eme essaiera d’atteindre directement le Monte Secco ( cote 662) immediatement au sud du col ou il retrouvera le 47eme goum qui a recu les ordres dans la nuit et qui – devant etre sur l’objectif au petit jour a deja commence son mouvement.
A 2 heures, les unites se mettent en marche, avec des guides qui ne font preuve d’aucun enthousiasme.
Le terrain est effroyable, ravins profonds, pentes abruptes recouverts d’un maquis presque inpenetrable.
Au lever du jour, le 39eme goum qui avait atteint les pentes sud ouest de la Serra Di Pigno, avait fait liaison avec le 1er Tabor, mais etait arrete par des tirs ajustes de mitrailleuses venant de la Cima Orcaia et de 605.
Le 74eme goum escaladait peniblement les pentes nord ouest du Monte Secco, lorsqu’il entendit se declencher immediatement devant lui et de l’autre cote d’une crete secondaire, des feux excessivement violents d’armes automatiques allemandes et Francaises. C’etait le 47eme goum qui venait d’entamer un apre combat. Le capitaine Commaret, en effet, foncant sur 662, avait mene son affaire dans le style de la campagne de Tunisie ou la vitesse, l’impulsion, la volonte d’accrocher l’adversaire l’emportaient sur le souci de la securite.
Mais l’ennemi etait aux aguets. Le col etait tenu par une troupe d’elite, le bataillon SS Dallinger.
Faisant preuve d’une remarquable discipline de feu, les allemands laissent le goum s’engager dans un cirque rocheux, puis declanchent brutalement l’attaque sur ces derniers elements. De toute part les armes automatiques font rages. Sous une grele de balles le goum continue a progresser. Le lieutenant Couffrand qui commande la section de tete enleve ses hommes dans un magnifique elan. A quelques metres de la crete, il est tue a bout portant. Il a recu dans la gorge trois balles de mitrailleuses. Commaret, l’adjudant Gallifet sont plusieurs fois blesses. Pendant 20 minutes le goum tient dans des conditions desastreuses. Mais la situation devient intenable. A sa sixieme blessure, le capitaine donne l’ordre de repli.
Le goum prive de ses chefs, abruti par le coup de massue, reflue . Les derniers elements ont disparu dans les ravins quand le 74 eme goum arrive sur les lieux du combat. L’adjudant Barbier avec quelques hommes est pourtant reste sur place.
La nouvelle de l’echec parvient au PC enflee demesurement comme il arrive en pareil cas. Le 47eme goum a ete volatilise-le 47eme goums n’existe plus-. En fait le 47eme goum existe toujours et si les pertes ont ete serieuses pour un premier choc, elles ne depassent pas 25 grades et goumiers.
Et cependant l’action du malheureux goum aura ete primordiale.
Le 74eme goum magnifiquement enleve par ses officiers , le capitaine Ries et le lieutenant Vernier, dont la perte d’un bras en 1940 n’a pas affaibli l’ardeur, seconde par une equipe de chefs de section hors de pair: Jumelais, Lunard, mathieu, Duprat…tombe a revers sur les allemands qui achevent de “liquider” les hommes de Commaret, donne l’assaut a une serie de resistance installees sur des paliers successifs et bien appuyes par l’artillerie italienne aux ordres d’officiers Francais enleve a 11 heures la cote 662.
Cependant a gauche, le 39eme goum beneficiant des feux du 1er Tabor refoule pied a pied l’adversaire et a midi occupe la Cima Orcaia.
Enfin, le 1er Tabor lui meme qu’il a fallu suivant la forte expression du colonel “piquer aux fesses” pour le forcer a sortir- apres la rude lecon de la veille- de ses tannieres de la Serra Di Pigno, a repris sa progression.
Le 59eme goum a reoccupe la cote 781. Le 58eme goum s’est infiltre prudemment, homme apres homme, a l’abris d’une crete rocheuse, jusqu’a portee de fusil des defenseurs de Teghime.
Les mortiers rassembles des Ier et VIeme Tabors ont harcele tout le jour les occupants du col.
L’artillerie italienne et les mortiers du Vieme Tabor donnent egalement sur le col. Mais les allemands s’accrocheront jusqu’au dernier moment. A 17 heures, quand les hommes du 39eme et du 58eme goum aborderont le col en meme temps qu’un detachement leger du G.C.N.T/XV, on recevra encore des coups de feux, et a quelque cent metres des assaillants, proteges par un angle mort, on verra de loin de hautes silhouettes se profiler et decrocher lentement en depit des tirs continus de mitrailleuses et de mortiers.
Le commandant Monnier est venu tout a l’l’heure en liaison au XV Tabor avec une jeep par la route d’Oletta. On lui confie le pauvre Gallifet et le sergent chef Degoutte. Avant Saint Florent, ils sauterent sur une mine. Monnier s’en tirera sans une egratignure, miraculeusement. Gallifet sera de nouveau blesse. Degoutte s’ouvrira le front sur le pars-brise et le chauffeur marocain, le fidele Trois Patte devra etre ampute de quelques doigts.
Le Teghime est enfin a nous.
Nous nous abandonnons a la joie de nous retrouver: Hubert-Meric-Debril-Riez-Chapelard-Arbola-Litas-Boss- Le docteur Bal et le pere Cabassut. On ne fait plus attention aux fusants qui de temps a autre, eclatent au-dessus de nos tetes et dont le bruit se confond avec celui de l’orage.
Avec une insouciance et un mepris des regles militaires dignes de la plus pure tradition des A.I., nous nous installons en plein milieu du col, sans personne devant nous, dans une grande tente jaune allemande abandonnee. Les fusant petent, mais la protection du toit de la tente nous communique un extraordinaire sentiment de securite. On s’installe , on boit a grands verres du vin pillote, de l’alcool pillote. On fait un detestable diner de choucroute aigre, de charcuterie et de pain K.K. On raconte des coups, de beaux coups magnifiques.
On est victorieux.
Dimanche 3 octobre 1943:
Il faut souffler, la troupe n’a pas ete ravitaillee depuis le 29 , les animaux depuis le 28. Leurs conducteurs Italiens pour la plupart ont disparu. Bastia est tentant. Mais on ne fait pas la guerre seul, et tout risque inutile est un crime.
L’artillerie des bateaux ancres dans le port harcele nos positions . L’artillerie Italienne, en batterie derriere le Teghime s’efforce de reduire au silence les batteries allemandes tirent encore de la terre ferme.
L’aviation nous harcele et nous cause des pertes.
Nous recherchons nos morts et nos disparus des journees precedentes.
Dans la soiree du 3, le calme est revenu. Des renseignements recueillis indiquent que la route de Bastia est ouverte.
Lundi 4 octobre 1943:
A 4 H.45 le capitaine Then avec quelques hommes se glisse dans la ville et s’installe a la mairie a 6H.30.
Des 7 heures du matin, le reste du groupe devale a toute allure vers Bastia. Aux dispositifs ouverts etales sur le terrain succede bien vite la marche sur les routes par 1, par 2, par 3, puis par 6 et par 12. Le Ier et le XV Tabors se sont rejoints et cheminent cote a cote.
Les habitants maintenant viennent au devant de nous pour nous dire que les allemands sont partis. Certains pousseront sur le bord de la route des toneaux de ce vin de Corse, couleur de rubis, couleur d’orange, couleur d’oignon.
A hauteur de Cardo, le XV Tabor continue sur la ville et le port Lacroix, tandis que le 1er Tabor occupe le fort Borne.
Il est 10 heures. Tout parait termine quand, dans le ciel , parait l’aviation Americaine qui n’a pu etre prevenue de la prise de Bastia.
Une trombe de bombes s’abat sur le port. Un enorme nuage de poussiere et de fumee masque la ville.
Ce lamentable accident gache la joie de l’arrivee. Pourtant la population nous recoit avec des transports d’enthousiasme.
En l’absence de toute autorite,Then s’est empare des pouvoirs et legifere a la mairie. Il inscrit sur le livre d’or des sentences definitives. Hubert adresse un discours au peuple et fait pourchasser les elements douteux qui ont commence a piller l’immense materiel abandonne par les allemands. Le Lieutenant Colonel arrive, il est aussitot tres entoure. L’ex-sous-prefet se presente enfin a lui au debut de l’apres midi. Il fait preuve d’assez peu d’urbanite et il est mechament refoule.
Then et Hubert sont releves de leurs fonctions municipales. Le XVeme Tabor quitte la ville, et, largement abreuve par la population, va s’installer dans les faubourgs de Pietra Nerra.
photo © S.de Butler
Etang de Bibuglia vu du col de Teghime.
photo © S.de Butler
photo © S.de Butler
Rapport Officiel du Colonel de Butler sur la participation du 1er R.T.M. a la liberation de la Corse et de Bastia.
Drapeau nazi de la kommandantur de Bastia donne au Colonel de Butler par les Tirailleurs du 1er R.T.M. en octobre 1943 lors de la liberation de la Corse et lettre originale adressee au Colonel de Butler par le capitaine Then en 1943.
Oletta, quartiers d'hiver du 1er R.T.M. en 1943 et 1944
Ceremonie du 60eme Anniversaire de la Liberation de la Corse par le 1er R.T.M. au Col de San Stefano le 30 septembre 2003
Le General Jean-Jacques de Butler (1893-1984)