Jeu ? Oui. De la vie. De l’ignorance qui blesse les innocents. Qui amplifie le mal. Qu’on ne peut pas condamner. Jeu de découvertes. De la Vie. Maternités. Conditions de vie. Sutures qui tiennent le coup.
Présentation des personnages : Moi, Geneviève D., blanche pré-med innocente ayant un background clinique à peu près nul, Sr Pauline, gynéco-obstétricienne, maître reiki et omni hors pair, Sr Kani, sage-femme, infirmière et rural practitioner, un coeur grand comme le monde et des étoiles dans les yeux. Sr Rosemary, un peu bébête, sans recul devant la vie, une pratique infirmière douteuse et Sr Lydia, un air de boeuf, des manières rudes, un tendre bulldog. Avec le recul, les anecdotes affusent, mêlées, un peu. Peut-être que tout s’est passé la même journée. Un million de souvenirs en 60 secondes. Imaginez deux mois et demi... Imaginez.
La petite fille de la motocyclette
C’était vers le milieu du mois de juin. Le choc culturel, passé depuis longtemps. Enfin, c’est ce que je croyais. La matinée au dispensaire semblait tranquille. La saison chaude achevait et avec la saison des pluies, commençait les pseudo-pneumonies et autres rhumes de minus propres aux changements de saison. Surtout pour un peuple, indien. Injections ? Yes, injections. À tort et à travers. Surtout, non-stériles. Ça fait sortir le méchant plus vite. La routine, donc. Tout à coup, arrive un Jean-Guy à moustache de 80 livres tenant dans ses bras un petit paquet de 40 livres. Une petite fille de 4 ans. La tête fendue. On voit le crâne. Hurlements sourds, plaintifs. Ignorance du père. Intolérance grandissante envers ces idiots qui se promènent à 6 sur un scooter. Pas de casques. Pas de limites de vitesse. Pas d’asphalte. Une grosse roche. La moto fait un bump. La petite fille tombe... Sur la roche. Nous sommes cinq pour la tenir alors que Sr Rosemary tente, de sa main de twit malhabile, de recoudre le cuir chevelu. Pas d’anesthésiques. Ils ne sont pas assez bien pour réaliser le traitement. Protestations de ma part. Note mentale : Gen, maudit kannada ! Je ne comprends pas. On ne la gèle pas ? Si, c’est l’argent, je me propose de payer. Dégoûtée. Non, ce n’est pas une question d’argent, mais plutôt de ressources. Nuance. On n’a pas d’anesthésiques. Hurlements de douleur d’une petite fille outrée. La vie lui rentre dedans. Elle s’en souviendra. Je pleure. Je suis en train de participer à un geste médical, mais je pleure. Bouleversée. J’ai la nausée. Je me concentre sur la rigueur de ma position. Surtout qu’elle ne bouge pas. Lui éviter de la douleur. Six points plus tard, c’est fini. Elle se blottit contre l’auteur de son malheur. À défaut de mieux. Fini ? Non. On réalise que le coin de son oeil est sanguinolent et qu’un lambeau de chair pend. La comissure externe de l’oeil. Rapprocher les deux morceaux sans aveugler un être innocent. Je frapperais tout le monde. Même requête. Vous êtes sûres qu’il n’y a pas d’anesthésiques? Variations sur le même thème : non. À froid. Le coin de l’oeil est recousu. Hurlements redoublés. Je me sens chanceler. De rage. Je tente de faire abstraction de ce qui m’entoure. Quatre points plus tard, tout est fini. Jusqu’à la prochaine fois. Sans casque. Ni limite de vitesse. Encore moins d’asphalte. Je sors en courant de la salle. De l’air ! À mon retour, Sr Rosemary rit. Je n’ai pas l’habitude du sang selon elle. S’habitue-t-on jamais à voir une enfant souffrir par la bêtise humaine ? Non. À moins d’être idiot. Ou mort. Dans l’âme.
Les grains de café
Un matin semblable au précédent. En plus humide et étouffant. Une mère tient dans ses bras un magnifique bébé d’environ 10 mois. Il pleure. On note un pansement à sa main. Une fois retiré : horreur. La paume entière est déchirée. Le pauvre est tombé sur une roche il y a, mon sang fait trois tours, trois jours. La plaie est recouverte d’une substance brunâtre, en grains. Du café ! Imaginez la douleur de l’enfant. Sr Pauline de me dire que c’est une coutume, à condamner certes, mais une coutume fort répandue dans les villages. Ignorance des villageois. Incrédulité de ma part. Souffrance des deux côtés. Qui auraient pu être évitées. Par l’éducation. Par le gros bons sens.
La vie comme seule issue
Après plusieurs entrées en matière. L’heure des grands tourments a sonné. Je suis dans la salle d’accouchement. Sr Kani me dit : "Veux-tu accoucher cette dame ?" Note mentale : Gen, ayoye ! La peur au ventre, le tremblotis dans les jambes, mais le feu au coeur. Affirmatif ! Je dois faire l’examen périvaginal pour évaluer l’ouverture du col. Presqu’aucune idée de ce que je fais. Je suis les conseils et directives de Sr Kani. J’évalue bien, il me semble. La tête s’engage. Je soutiens le périnée sous les encouragements de Sr Kani qui me rassure de son sourire désarmant. Poussez ! Poussez ! Le bébé sort. Hurlements de vie ! Je suis émue. Conquise, plutôt. Par cette médecine de joie, de rêves à venir, de balbutiements. En douceur. Je le tiens dans mes bras, coupe le cordon, le mets sur la table à langer et lui aspire les sécrétions à l’aide d’une petite poire. J’ai l’impression que je vais lui trucider les narines. Ignorante, malhabile. Un jour, je saurai ! Plus belle journée de mon stage ? Oui. Heureuse. Un petit garçon de 2,54 kg est né. Et j’y étais. J’en étais. J’en suis ! D’avoir appris. D’avoir su être à la hauteur. Égale. Ou presque.
Trop jeune...
J’attendais avec une de ces femmes enceintes dans la salle de travail. Travail ? Cheap labor, plutôt. Il doit certes y avoir des limites à enfanter dans la douleur ! Tout semble normal. Quatre heures d’attente et toujours rien. Premier enfant, difficile enfant. Pause. On laisse la jeune fille (elle n’a même pas mon âge) et part pour la soirée. L’accouchement n’est finalement prévu que pour le lendemain. À notre retour. Elle n’est plus là. À l’hôpital général de Bangalore, elle repose entre la vie et la mort. Éclampsie toxémique. Huit séries de convulsions sur la table d’accouchement. L’enfant est en parfaite vie, la mère en imparfaite mort. Une fois de plus, ça me tue. Incompréhension. Outrage! Qui auraient pu être évités. Encore. Toujours. Pour la première fois de ma vie je me surprends à prier pour la vie de quelqu’un. Autre à moi. Autre moi. Horreur pour le bébé si la mère ne se remet pas. Vivre en Inde n’est déjà pas une sinécure... Au bout de trois jours, elle survit. Hors de danger. Sans séquelle. Un miracle. Un des premiers. Non pas le dernier. Je l’espère. De tout mon coeur.
Le retour au pays
Malade
comme un chien. Trente livres en moins, un parasite et une bactérie
en plus, me voilà à Toronto m’émerveillant devant
le premier québécois rencontré. Une langue chantante,
douce, que je comprends. Un sacre. Aucun outrage. Une joie inexplicable
plutôt. Avoir hâte de rentrer chez nous. Depuis que je suis
partie. Depuis que j’ai eu idée de partir. Vivre, c’est voir autre
chose, mais rentrer chez soi pour en parler. J’ai hâte de revoir
mes parents, mon frère. Prendre un bain. Aussitôt arrivée,
je me suis sentie différente. À part. Arrogance s’il en est
une. Sachant que j’ai vécu quelque chose de beau, de grand. Je ne
sais toujours pas quoi. Cela se traduit peut-être par un éternel
émerveillement devant la vie et sa simple complexité ? Que
j’avais au départ, qui s’est exacerbé depuis. Cela se manifeste
aussi par une éternelle remise en question, une évaluation
de chacun des gestes que je pose. J’ose oser. Je suis insaisissable, invulnérable.
Arrogance muette. Une élimination progressive de tout ce qui m’empoisonne
la vie. Elle est trop belle, mais surtout trop courte pour la gâcher
par de mauvais choix. Je m’impose des vérités et m’élimine
des limites. Je vie rationnellement, mais avec passion. Une nuance au coin
des yeux, une brume au cerveau, un baume au coeur. De rêves, je me
nourris. De rêves, j’étanche ma soif. De rêves, je réalise
ma vie.. Veni, vidi, vici...
La
Quête
Le
coeur, ce dipôle
L'odeur
du peroxyde