Un long périple m'attendait. Je devais traverser les montagnes du Tradohr, immenses et obscures. La première semaine fut sans encombre. Tout en gravissant, quelques endroits se trouvaient à être (à mon bonheur) plat. Je m'agenouillai quelques instant pour contempler une plante assez rare. Mes souvenirs affluèrent... Ivan, ma mère... Un bruit incertain, presque inaudible, prit le vent pour arriver à mes oreilles. Aux aguets, je m'approchai de sa source. Une surprise de taille m'attendait: deux cervidés en plein combat étaient restés pris dans leur bois. Un gnome, qui continuait à marmoner tout seul, comme s'il les grondait silencieusement, était armé d'une minuscule scie et essayait avec peine de les séparer. La scène avait presque un air de comédie. Riant un peu pour moi-même, je m'approchai avec douceur. Du coin de l'oeil, les animaux me regardaient, anxieux, sachant les humains chasseurs. Et le gnome continuait à scier frénétiquement. Il n'avait pas plus de deux pommes de haut, avec un long chapeau rouge en forme de cône, des habits bleu, une longue barbe blanche (du moins longue pour lui) et de belles bottes d'une fourrure inconnue. Quand il vit mes deux énormes mains de chaque côté de lui pour séparer les deux chevreuils, la frousse s'empara de lui; il détala d'un seul coup. Il en échappa même sa petite scie. Il fut assez aisé de les séparer. Croyant au galop immédiat des deux, je me reculai assez rapidement. Au contraire; les deux restèrent sur place, me regardant étrangement. Je sortis de mon sac de voyage un biscuit de céréale, le séparai en deux et l'offris aux deux bêtes. Ils se régalèrent avec joie. Le gnome était abasourdi. Je sentais son regard perché sur moi. Sans le regarder je me nommai:
-Je m'appelle Astyanax.
-Ethan est mon nom.
-Enchanté Ethan. Un sourire resta figé sur mes lèvres mais mes yeux n'avaient pas quitté les animaux. Quand ils eurent terminés, Ethan reprit la parole.
-Ils te remercient tous les deux. Ils se demandent bien, tout comme moi, d'où te vient cette bonté.
-Tous les hommes ne sont pas mauvais, dis-je. Et les deux cerfs partirent au galop, sautant par dessus les arbustes. Je m'abaissai pour mieux regarder le gnome.
-Je te raccompagne chez toi? Mes longues jambes t'amèneront plus vite vers ta famille...
-Il est vrai que je suis loin de ma maison. Mais (dit-il soudain avec excitation) je peux monter sur ton épaule?
-Avec joie! m'écriai-je. Je pris Ethan et le déposai sur mon épaule droite. Il se tenait après ma chevelure. Et je me mis en marche.

Je sus durant cette marche d'une demi-journée, qui heureusement ne s'éloignait pas trop de mon chemin initial, qu'Ethan était plus jeune que je ne me l'imaginais. Très intelligent, un peu bavard mais sympathique, il aimait l'aventure contrairement aux autres et possédait un grand savoir grâce aux enseignements d'un certain Drov. Il m'a même enseigné un tas de choses sur les plantes et les maux et remèdes.

J'ai pu enfin le ramener chez lui. Sa petite femme l'attendait avec impatience, ainsi que sa progéniture. Je ne fis pas exprès; je le déposai à une centaine de pas d'homme de sa maison. Un orage allait se manifester. Je dus partir vite, laissant Ethan là, lui assermant que s'il avait besoin d'aide, j'y serai toujours. C'est lui qui me subjugua.
-C'est toi qui aura besoin de moi, dit-il en riant. On a toujours besoin de plus petit que soi dans la vie... Et la pluie se mit à tomber.