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La Belgique


 

 

2. Economie

 

 

 

2. Économie

 

La physionomie économique d’un pays, établie à un moment déterminé de l’histoire économique, n’est que le reflet des évolutions des forces économiques qui ont prévalu dans le passé plus ou moins récent. Une présentation des principales structures économiques caractérisant l’économie belge s’impose donc simultanément à la mise en évidence des évolutions significatives qui ont été à l’origine des structures dominantes actuelles et qui sont le point de départ des évolutions futures.

Cette analyse dynamique, complément indispensable à la compréhension des structures économiques actuelles, est effectuée sur la base des principales données macroéconomiques disponibles, et plus spécialement des comptes nationaux qui seuls permettent de fournir une vue synthétique cohérente des variables caractéristiques de l’économie belge. La période d’observation s’étend sur les trois décennies qui ont suivi l’année 1953, les données cohérentes relatives aux comptes nationaux faisant défaut avant 1953 ; elle se justifie en outre par le fait que la période retenue recouvre l’essentiel des transformations intervenues après les remises en ordre réelles et monétaires consécutives à la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les premières conséquences des mutations issues des chocs pétroliers et monétaires de la dernière décennie.

L’option choisie qui privilégie les faits et leur signification par rapport à l’analyse directe des politiques menées est conditionnée par la constatation que dans le cadre de la Belgique – pays qui connaît un degré de libéralisme élevé en matière d’échanges extérieurs, combiné avec un degré d’ouverture de son économie largement orienté vers l’étranger – les politiques économiques internes ne permettent pas d’expliquer l’essentiel de l’évolution du réel. Ce dernier doit être saisi comme tel et, en même temps, il faut mettre en relief les éléments de sa configuration résultant des choix d’objectifs et de la poursuite des politiques.

La difficulté principale d’un tel essai de synthèse réside dans le choix des éléments retenus. Dans un premier temps, un bilan de la dynamique globale de l’économie belge sera dressé à partir de l’examen des taux de réalisation obtenus pour les quatre objectifs du carré magique de la politique économique (expansion, plein emploi, stabilité des prix et équilibre extérieur). Ensuite, une vue synthétique sera donnée des principales modifications intervenues dans l’origine sectorielle du produit national et dans son affectation, qui permettra notamment de révéler la contribution respective des divers éléments de soutien de l’activité économique (consommation, investissement et commerce extérieur). Enfin, on étudiera les éléments qui affectent plus spécifiquement les orientations internes de la politique économique belge, à savoir la répartition spatiale des activités économiques et la situation des finances publiques.

 

Les performances de l’économie belge à moyen terme

 

Évolution et niveau du produit national brut

 

En ce qui concerne l’évolution du produit national brut à prix constant, il convient de mettre en exergue l’accélération progressive du rythme d’expansion de l’économie belge au cours des deux premières décennies observées. Le taux moyen d’accroissement qui s’établissait modestement au taux annuel de 3,3 p. 100 au milieu de la décennie cinquante s’accélère progressivement pour se situer à 4,5 p. 100 dix ans plus tard et plafonner à 5,5 p. 100 au début des années soixante-dix. La croissance de l’économie belge, initialement inférieure à celle des autres pays de la C.E.E., devient ainsi comparable aux performances réalisées par ses partenaires européens après la création du Marché commun. Depuis 1973, un net ralentissement de l’expansion est enregistré et, pour la dernière période quinquennale 1983-1987, le rythme de croissance atteint à peine 1,6 p. 100. En outre, si, durant les deux premières décennies, l’économie belge ne subissait que des fluctuations de croissance – l’activité augmentant plus ou moins vite, mais ne reculant pas, sauf une faible baisse en 1958 –, l’amplitude et la fréquence des variations conjoncturelles se sont profondément modifiées au cours des dix dernières années où deux reculs en valeur absolue – en 1975 et en 1981 – ont été enregistrés. Cette rupture de rythme est étroitement liée à la conjoncture mondiale, les exportations constituant en Belgique une part importante du produit national et se trouvant largement dépendantes de la situation économique des principaux pays clients.

Le produit intérieur brut atteint, en 1988, 5 604 milliards de francs belges, soit, pour une population de 9 885 000 habitants, un produit par tête de 567 000 francs belges ou 15 420 dollars. Compte tenu des réserves qui s’imposent dans l’utilisation d’un tel chiffre global comme indicateur du niveau de vie (comparabilité des prix, des structures d’activités et de besoins, des méthodes d’enregistrement comptable), renforcées par l’instabilité croissante du marché des changes, on peut cependant admettre que le niveau de vie moyen du pays se situe parmi les plus élevés du monde occidental, se situant approximativement au niveau de la moyenne de la Communauté économique européenne et inférieur de 30 p. 100 à celui des États-Unis.

 

Emploi et chômage

 

Dans un premier temps, et ce jusqu’au milieu des années soixante, l’expansion générale de l’activité économique s’accompagne d’une nette amélioration du marché de l’emploi. Le taux de chômage, qui s’élevait à 4,5 p. 100 au début des années cinquante, diminue progressivement pour se situer à un niveau minimum de 1,8 p. 100 au milieu de la décennie soixante. La stagnation prononcée de la population active au cours de cette période a renforcé l’efficacité des efforts entrepris par les pouvoirs publics pour résoudre le chômage structurel. Depuis 1959, une politique d’industrialisation ou de diversification d’activités a été développée dans les régions où ce type de chômage sévissait davantage. Cette action a porté des fruits en Flandre occidentale et a permis simultanément, dans cette province comme dans le Hainaut occidental, de fixer en Belgique une part croissante des travailleurs frontaliers qui recherchaient un emploi en France. Les efforts d’adaptation menés par les pouvoirs publics se révèlent cependant insuffisants pour résorber le chômage dans les nouvelles régions de régression structurelle qui se situent davantage dans le sillon industriel wallon (déclin des charbonnages, d’une partie des fabrications métalliques et de la sidérurgie). En outre, alors que ses niveaux n’ont pas changé entre 1953 et 1964, la population active belge connaît à partir de 1965 une progression continue. Celle-ci coïncide avec l’entrée sur le marché du travail de la génération née après la guerre, pour laquelle on constate une forte hausse du taux d’activité féminine par rapport à la population féminine totale.

À partir du premier choc pétrolier, le ralentissement de l’expansion économique s’est traduit, en Belgique, par une dégradation rapide du marché de l’emploi, précédant de quelques années l’évolution constatée chez ses partenaires européens au début des années quatre-vingt. La rapidité de réaction du marché de l’emploi en Belgique est liée à la préoccupation des secteurs soumis à la concurrence internationale de maintenir un niveau de compétitivité suffisante pour pallier les pressions de l’inflation interne et le ralentissement de la dynamique générale de la demande internationale. La caractéristique essentielle de la structure des exportations s’orientant vers une augmentation des produits bruts et semi-finis et une diminution de produits très achevés, les variations de prix permises à l’exportation s’inscrivent dans des limites compatibles avec les hausses de prix enregistrées dans les principaux pays concurrents. Le maintien relatif des taux de pénétration sur les marchés mondiaux n’a donc pu être obtenu que par des gains de productivité considérable de la main-d’œuvre – et donc au détriment du plein-emploi –, gains indispensables pour compenser une croissance des coûts salariaux liés à la hausse des prix intérieurs.

 

Les prix

 

Malgré l’attention constante et prioritaire accordée à la stabilité des prix, en raison notamment du caractère de plus en plus ouvert de l’économie belge, une dégradation continue des performances se manifeste au cours de la période analysée, suivant d’ailleurs en cela un processus constaté à l’échelle mondiale. Il convient également de signaler que si, en début de période, les prix du commerce extérieur étaient restés relativement stables, ils augmentent, ensuite, progressivement à un rythme qui tend à se rapprocher de celui de l’inflation intérieure. Comme dans tous les pays occidentaux, la hausse des prix de détail est nettement plus forte que celle des prix de gros ; elle s’explique principalement par le relèvement des prix de services, les prix des produits alimentaires augmentant aussi davantage – au détail – que ceux des autres produits. Tout ceci montre que les hausses se sont opérées davantage dans les types d’activité les moins soumis à la concurrence étrangère (services, agriculture, distribution), et que la performance d’ensemble des prix belges ne devrait pas handicaper sérieusement l’équilibre de la balance des paiements.

 

L’équilibre extérieur

 

C’est effectivement ce qui apparaît à l’examen des soldes successifs des opérations courantes de la balance des paiements, tout au moins durant la période de 1953 à 1987 (tabl. 1). Au cours de ce quart de siècle, les comptes extérieurs de la Belgique ne s’écartent pas systématiquement de la position d’équilibre. Ce résultat a pu être obtenu avec l’aide précieuse d’une politique monétaire polarisée sur la recherche de cet équilibre. Cependant, à la veille du premier choc pétrolier, l’apparition de surplus importants à caractère permanent traduit une sous-évaluation de la parité du franc belge. Si cette sous-évaluation a permis dans un premier temps d’amortir l’impact du premier choc pétrolier sur les comptes extérieurs de la Belgique – qui sont relativement équilibrés durant la période 1973-1977 –, elle a également accentué les tendances inflationnistes au cours de cette période et explique notamment l’accélération nettement plus forte de l’inflation constatée en Belgique par rapport à l’évolution observée dans les principaux pays concurrents. La dégradation de la position compétitive des exportations belges qui s’ensuivit et la forte détérioration des termes d’échange subie par l’économie belge au cours des années quatre-vingt, à la suite du second choc pétrolier et de l’appréciation du dollar américain, sont à l’origine du renversement rapide des résultats des comptes extérieurs dont le déficit représente en moyenne 5,3 p. 100 du produit national brut pour 1980-1982.

L’évolution des avoirs extérieurs nets de la Banque nationale de Belgique et la position du franc belge au sein du système monétaire international ont été en étroite corrélation avec cette rupture nette de tendance. Au cours de la période 1953-1973, les réserves de change du pays connaissaient une augmentation substantielle, du même ordre de grandeur que celle des importations en valeur, et la solidité extérieure du franc belge était largement assurée ; la Banque nationale pouvait résister sans difficulté aux quelques vagues de spéculation qui ont secoué le franc belge lors des événements du Zaïre et lors des premiers soubresauts monétaires européens de la fin des années soixante. À partir de la dévaluation de 1949, le taux de change officiel ne subit aucune modification au cours des trois décennies qui suivent, et les variations du taux de change sont contenues sans difficulté à l’intérieur des limites fixées par les accords de Bretton Woods tout d’abord, des accords monétaires européens ensuite. Cependant, la dégradation de la situation économique générale et des comptes extérieurs en particulier nécessitent des interventions de plus en plus importantes et quasi continues de la Banque nationale pour contenir le franc belge dans les limites fixées par le système monétaire européen. Finalement, en février 1982, le gouvernement décide de dévaluer le franc dont la parité est abaissée, avec l’accord de ses partenaires européens, de 8,5 p. 100.

Ces changements de cap de politique économique intérieure, combinés au nouvel environnement international de la période 1985-1987, nettement plus favorable grâce à la baisse du dollar et au contre-choc pétrolier, facilitent la réalisation des objectifs externes de la politique économique. Cela se traduit par un retour rapide à l’équilibre de la balance des paiements courants et même, en fin de période, à l’apparition d’un surplus important. En outre, la rapidité de transmission des fluctuations des prix internationaux sur les équilibres de prix intérieurs permet, dans un contexte de baisse des prix internationaux, de réduire le taux d’inflation qui se situe à nouveau à un niveau comparable à celui qu’on observe en moyenne dans les principaux pays concurrents et permet de préserver l’essentiel de l’avantage compétitif obtenu lors de la dévaluation de 1982.

 

Origine sectorielle du produit national brut

 

Pays d’industrialisation ancienne, la Belgique en connaît l’évolution sectorielle fréquemment décrite : déclin de la part du produit national représentée par les activités de type primaire, au bénéfice d’abord de la part du secondaire et ensuite de celle du tertiaire. Il est habituel de comparer, à des intervalles de dix-sept ans, la composition sectorielle du P.N.B. sur l’ensemble de la période. Le recul des industries extractives y est particulièrement net, de même que celui de l’agriculture, de la sylviculture et de la pêche. Au cours de la première sous-période, le transfert de valeur ajoutée s’opère encore partiellement au bénéfice du secondaire, notamment de la construction et des fabrications métalliques, et en faveur de l’ensemble du secteur tertiaire. Entre 1970 et 1987, le repli des activités de type primaire s’effectue au seul bénéfice des services. Les pertes de compétitivité subies par l’ensemble des secteurs industriels font apparaître en fin de période un processus de désindustrialisation qui affaiblit l’importance relative des valeurs ajoutées d’origine industrielle. Ce processus est encore plus accentué au niveau de la répartition de l’emploi : en 1980, l’emploi industriel ne représente plus que 35 p. 100 de l’emploi total contre 42 p. 100 dix ans auparavant et 45 p. 100 en 1960.

Un examen plus détaillé de la ventilation de la production industrielle par secteurs d’activité permet de dégager une caractéristique essentielle de cette structure, à savoir une orientation vers la production de produits bruts et semi-finis et une déficience dans la production de produits très achevés. Les branches comme la sidérurgie, l’industrie des non-ferreux, la cimenterie, le verre, qui concernent essentiellement des produits bruts ou semi-finis sont plus développés en Belgique que dans les autres pays industrialisés. Une situation inverse se présente pour la chimie et l’industrie des fabrications métalliques qui produisent des biens plus élaborés. Cette situation se retrouve au sein de chacune des branches d’activité où les sous-secteurs de première transformation des produits sont en général plus développés que les autres. Cette spécialisation de la production – qui se répercute sur la structure du commerce extérieur – constitue un handicap dans le contexte international actuel caractérisé par un net ralentissement de l’expansion de la demande mondiale pour ces demi-produits. D’autre part, les efforts d’industrialisation de plusieurs pays du Tiers Monde portent sur ces mêmes produits, de telle sorte que le taux de pénétration de la Belgique sur ses marchés traditionnels a baissé sous l’effet combiné d’une substitution à l’importation dans les pays sous-développés et de la concurrence de ces nouveaux produits sur les marchés des pays industrialisés.

 

Affectation du produit national

 

D’autres caractéristiques importantes de l’économie belge se dégagent à l’examen de l’importance relative que prennent les grandes catégories d’affectation du produit national, à savoir : la consommation (privée et publique), la formation intérieure brute de capital (c’est-à-dire l’investissement), les exportations et importations de biens et services.

Un premier trait significatif est le degré croissant d’ouverture de l’économie belge au commerce extérieur, cela se traduisant par l’accroissement de longue période qui représente la part tant des exportations que des importations dans le produit national : d’un tiers au milieu des années cinquante, cette part passe successivement à la moitié avant le premier choc pétrolier pour s’élever à 80  p. 100 en 1988. Par habitant, la Belgique présente le montant de biens exportés le plus élevé des pays industrialisés.

La Belgique est la dixième puissance commerciale du monde, ce qui est évidemment remarquable, même si l’on tient compte que l’étroitesse du territoire conduit nécessairement l’industrie des petits pays à trouver à l’étranger une part importante de ses débouchés.

Cela constitue un des aspects majeurs de la politique économique poursuivie par tous les gouvernements, et qui consiste à rechercher au maximum les avantages de croissance et de productivité résultant de la division internationale du travail, elle-même conséquence d’un libre-échange plus intensif. À ce titre, la Belgique s’est généralement classée en tête des pays européens, en ce qui concerne tant la diminution des droits de douane que l’élimination des restrictions quantitatives et des obstacles à la circulation des capitaux. Cette politique a été poursuivie de façon intensive dans le cadre d’un espace restreint (Benelux, C.E.C.A., Marché commun), de façon moins accentuée vis-à-vis d’ensembles plus vastes (pays membres de l’O.E.C.E. ou du G.A.T.T.). Cependant, c’est surtout avec les pays partenaires du Marché commun que se sont développés les échanges extérieurs de la Belgique : les exportations de marchandises à destination de ces derniers représentaient, en 1988, 74,2 p. 100 du total des exportations belges contre 51,0  p. 100 en 1950 et 58,1  p. 100 en 1960  ; l’évolution était similaire pour les importations. Quant à la structure par produits du commerce extérieur – et plus particulièrement celle des exportations –, elle correspond assez bien à celle de la répartition sectorielle de la valeur ajoutée : par rapport aux autres pays industrialisés, on observe des indices de spécialisation élevés pour les produits bruts ou semi-finis (acier, verre, fils, etc.), normaux pour les produits alimentaires et chimiques, mais bas pour les biens d’équipement.

Parmi les trois modalités d’affectation interne du produit national, seule la consommation publique présente une évolution constante tout au long de la période d’observation. La hausse continue de la part relative des dépenses publiques courantes ne présente pas de différence notable par rapport à l’évolution constatée dans les autres pays industrialisés. Par contre, l’affectation du produit national entre la consommation privée et l’investissement évolue différemment selon les périodes observées. Dans une première phase, c’est-à-dire entre 1953 et 1973, un déclin quasi continu de l’importance relative de la consommation privée correspond à l’accroissement sensible de la part de l’investissement. Cette augmentation de la propension à investir de l’économie belge permet à la part de l’investissement dans le produit national, structurellement faible en début de période, de s’établir au début des années soixante-dix à un niveau comparable à celui qui est observé chez les partenaires du Marché commun. D’aucuns attribuent à cette évolution la cause principale de l’accélération imprimée tant à la croissance du produit qu’à celle de la productivité depuis 1960. Cette augmentation de la part des investissements doit tout d’abord être liée à l’action des pouvoirs publics. D’autre part, les investissements des pouvoirs publics se sont fortement développés, tant au niveau de l’État qu’à celui des autres collectivités publiques ; la progression a été, dans les deux cas, nettement plus forte que celle du produit national et a connu quelques variations conjoncturelles qui furent en partie la résultante de contraintes budgétaires, mais pour partie aussi l’effet d’une politique délibérée d’équilibre conjoncturel. D’autre part, la réalisation de projets d’investissement a été facilitée par les lois d’expansion de juillet 1959 et décembre 1970, destinées à favoriser le développement économique et qui ont amplifié et élargi, de façon considérable, les avantages offerts par les pouvoirs publics aux investissements privés. Tout au long de cette période, la forte progression de la propension à investir des entreprises a été d’une façon générale favorisée par le développement rapide des diverses sources de financement. Dans ce contexte, deux facteurs explicatifs spécifiques à cette période méritent d’être soulignés. En premier lieu, le volume de l’épargne dégagée par les ménages s’accroît non seulement en raison de la hausse des revenus disponibles mais également sous l’influence d’une hausse continue de la propension à épargner. Ainsi, la proportion des revenus épargnés – qui ne représentaient que 7 p. 100 des recettes des ménages en 1950 – double au cours du troisième quart du XXe siècle pour s’établir à 14  p. 100 à la veille du premier choc pétrolier.

Le développement et la diversification des systèmes de collecte de l’épargne par les institutions financières ont permis une plus forte mobilisation des capacités d’épargne des ménages. D’autre part, les variations du patrimoine ont élargi le pouvoir d’achat du revenu disponible des particuliers – indépendamment de la croissance de leur revenu courant – sous l’action conjointe des gains en capital obtenus sur les plus-values immobilières et de la valorisation des actifs financiers.

En second lieu, un apport étranger a renforcé la capacité de financement de l’investissement en Belgique. Cet apport est dû notamment aux retombées de la création du Marché commun qui incitait les investissements étrangers, américains principalement, à importer des capitaux en Europe plutôt que d’exporter des biens réels. Cette tendance a d’ailleurs été amplifiée par la surévaluation du dollar au cours de cette période.

Depuis le premier choc pétrolier, un renversement complet des évolutions des parts relatives entre la consommation privée et l’investissement est observé. L’appauvrissement de l’économie belge n’étant pas dans un premier temps répercuté sur le revenu disponible global des ménages, les dépenses de consommation privée augmentent plus rapidement que le produit national. Simultanément, les conditions favorables qui avaient précédemment stimulé l’investissement se dégradent. La situation des finances publiques ne permet plus l’accroissement des investissements publics et empêche la mise en œuvre d’une politique d’aide à l’investissement privé. Les entreprises sont confrontées au tarissement de leurs principales sources de financement. Sous l’action conjuguée d’une offre de fonds propres moins dynamique du fait de la réticence de l’épargne vis-à-vis des placements à risque, le recours massif aux fonds de tiers est progressivement rendu plus malaisé par les besoins de financement des pouvoirs publics et le resserrement de la politique monétaire nécessité pour la défense du franc belge. Depuis 1978, les taux d’intérêt nominaux se maintiennent à des niveaux largement supérieurs à celui des anticipations inflationnistes et des attentes de rentabilité des investissements. Ainsi, progressivement, l’affectation interne du produit national revenait à sa structure du début des années cinquante, caractérisée par une proportion élevée de dépenses de consommation privée et une faiblesse de la propension à investir.

Les politique des revenus et des finances publiques rendues plus restrictives depuis 1982 ont permis de freiner ces évolutions structurelles, se traduisant notamment par un recul des composantes tant publiques que privées de la consommation globale. Par contre, en matière d’investissement, le regain d’initiatives prises par les entreprises privées n’a pu, dans un premier temps, que compenser, en matière d’investissements en actifs fixes, le recul des investissements publics et des constructions de logement.

 

L’équilibre spatial des activités économiques

 

Au cours des années soixante-dix, les problèmes régionaux ont pris une acuité croissante en Belgique. Progressivement, ils ont conditionné les choix de politique économique. Cette préoccupation est liée à la juxtaposition en Belgique de facteurs plus ou moins traditionnels à l’origine des prises de conscience régionale – tels le refus des disparités économiques ou la volonté d’accroître l’efficacité du pouvoir en modifiant la structure politico-administrative –  à un élément linguistique primordial jouant un rôle de catalyseur et se traduisant en termes d’antagonisme entre deux communautés. La différence culturelle, linguistique et, à certains égards, administrative entre la Flandre, la Wallonie et la région bruxelloise, conduit à examiner l’évolution économique comparée de ces trois régions. Les indices de niveau de vie comparés, montrent qu’un renversement complet des positions relatives de la Flandre et de la Wallonie s’est opéré entre 1955 et 1976. Grâce à un taux de développement constamment supérieur à la moyenne nationale, le retard économique de la Flandre a pu être annulé, tandis qu’à l’inverse la région wallonne, qui dépassait la moyenne nationale en 1955, accuse en fin de période un sous-développement relatif comparable à celui de la Flandre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le phénomène s’explique pour partie par des raisons sectorielles (déclin des activités dominantes de la Wallonie), pour partie par des facteurs de localisation d’investissements, notamment la localisation maritime et portuaire de la Flandre. Il est possible enfin que d’autres éléments – telles la répartition spatiale des dépenses publiques, l’expansion démographique ou l’existence de facteurs sociologiques plus ou moins propices au développement – contribuent à éclairer cette modification du poids économique relatif de ces deux régions. Quelles qu’en soient les causes, le phénomène se traduit par un déplacement du chômage structurel en direction du bassin industriel wallon et par une paupérisation relative du sud du pays.

La position privilégiée qu’occupe en termes relatifs la région bruxelloise doit être tempérée par le fait qu’une partie importante de l’activité économique de la région est effectuée par des non-résidents. Durant la décennie soixante-dix, l’emploi disponible à Bruxelles était occupé à concurrence de plus de 40  p. 100 par des navetteurs, en majorité originaires de Flandre.

 

Les finances publiques

 

Au début des années quatre-vingt, la Belgique présente, parmi l’ensemble des pays industrialisés, les finances publiques les plus obérées  : le solde net à financer de l’ensemble des pouvoirs publics s’élève à 12 p. 100 du produit intérieur brut, soit une proportion trois fois plus élevée que la moyenne européenne. L’ampleur de ce déséquilibre ne s’explique pas uniquement par référence à la phase de récession économique récente, mais par des causes plus lointaines. Pendant les années soixante, le déficit public atteignait annuellement plus de 2 p. 100 du produit intérieur brut ; toutefois ce déficit concernait uniquement les investissements publics. Depuis le début des années soixante-dix, la situation se détériore rapidement, même avant le premier choc pétrolier. Cette détérioration trouve essentiellement son origine dans l’accélération des dépenses du pouvoir central. Dans un système de dépenses étroitement liées à l’évolution des prix intérieurs, en raison du système d’indexation généralisée des rémunérations des fonctionnaires, la croissance inflationniste de l’économie entraîne une augmentation nominale des dépenses publiques relativement plus forte que celle des recettes plus dépendantes de la croissance réelle des activités économiques. De plus, l’ajustement rapide opéré par le marché de l’emploi, suite au ralentissement de l’expansion économique, a provoqué une véritable explosion des charges résultant du chômage et des programmes de promotion de l’emploi : celles-ci représentent, en 1981, 4,3  p. 100 du produit intérieur brut. Au début des années quatre-vingt, un processus cumulatif se manifeste avec l’augmentation considérable des charges d’intérêt, le budget de la dette publique devenant le budget le plus important de l’État central. Les difficultés de financement du déficit ont provoqué un glissement vers les modalités de financement à court terme et d’emprunt à l’étranger. Afin de reprendre le contrôle de la situation, plusieurs plans d’assainissement des finances publiques ont été appliqués au cours des dernières années, limitant dans un premier temps la croissance des dépenses à la seule augmentation des prix ou imposant ensuite, en 1987, une réduction de la valeur nominale des engagements de tous les départements ministériels – 8,5 p. 100 en moyenne –. L’ensemble de ces mesures, combinées à un rééchelonnement partiel du service de la dette publique, s’est traduit par une sensible réduction du solde net à financer qui se situe en fin de période à 6 p. 100 du produit intérieur brut. Cependant, l’ampleur de la dette accumulée, qui représente 125  p.  100 du produit intérieur brut et le service de la dette publique qui en résulte – 10 p. 100 du produit intérieur brut  – n’ont pas rendu aux autorités publiques la marge de manœuvre économique et sociale nécessaire pour une utilisation des instruments budgétaires non uniquement liée à des préoccupations de gestion purement comptable.

L’économie belge apparaît donc tributaire des avantages et des difficultés de sa vocation internationale et de son industrialisation ancienne. Ces deux caractéristiques expliquent la forte sensibilité conjoncturelle de l’activité économique, de même qu’elles entraînent d’importantes adaptations structurelles traduites par un taux de chômage particulièrement élevé. La politique d’ouverture croissante vers l’extérieur – trait dominant de la politique de croissance de la Belgique à moyen et long terme – a été largement payante dans le cadre de l’environnement international dynamique de l’après-guerre, stimulé par une libéralisation des échanges. Mais les perturbations de l’économie mondiale, provoquées par l’accumulation des déséquilibres internationaux et l’atténuation des effets positifs liés à la création du Marché commun, ont rendu beaucoup plus malaisée la réalisation des objectifs de politique économique belge. Cette dégradation est liée aussi bien au manque de maîtrise des variables constitutives de la demande finale mais également à la perte d’efficacité et de contrôle dans l’usage des instruments de politique économique.

L’économie belge se trouve confrontée à quatre déséquilibres importants  : celui de l’emploi, des comptes extérieurs, des finances publiques et de la répartition spatiale des activités économiques.

Dans un premier temps, la résorption de ces déséquilibres a été liée à un redressement de la demande mondiale, sans ajustement interne profond. Ensuite, l’approfondissement des déséquilibres a fait apparaître la nécessité d’une réaffectation plus profonde des ressources disponibles  ; mais l’assainissement des finances publiques et la répartition de la charge d’appauvrissement relatif de l’économie belge posent des difficultés politiques qui freinent l’action publique en ce domaine.

 

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