Les mystères de l'Inde. L'Inde du Nord.
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Avertissement: j'écris ce commentaire quelques années après notre traversée de l'Inde dans une auto-caravane. J'invite le lecteur à comprendre derrière les impressions journalières pas toujours raisonnables et pondérées, les frustrations d'un voyageur soumis aux difficultés quotidiennes et imprévisibles d'un voyage effectué dans des conditions souvent irrationnelles. Être sorti vivant, avoir ramené le véhicule à la frontière, ne pas avoir cessé d'aimer ce pays étonnant, conserver un souvenir impérissable des peuples qui l'habite, voila ma récompense et celle de Marie ma compagne. |
(pour profiter au maximum du voyage, attendez patiemment l'éclosion des images et de la trame musicale)
Carte montrant notre itinéraire à travers l'Inde, le Népal et le Sri Lanka (à ce moment appelé Ceylan): entrée par Ferozopore le 9 février 1969, sortie par Madras en direction de la Malaisie le 10 mai 1969.
9 février, Ferozopore
Nous sommes entrés la veille, venant du Pakistan. Après un lever tôt et un rapide déjeuner, nous quittons le rest house de Ferozopore pour nous
diriger vers Amritzar. Nos compagnons de caravane australiens qui nous accompagnent depuis Istambul et un couple américain recueilli à Kaboul, prennent la direction de Delhi. Les adieux
sont courts et peu chaleureux. Il semble que, des deux côtés, nous soyons heureux de nous séparer.
La sensation de liberté ne prendra pas longtemps à se faire sentir. Elle est si réconfortante qu'on a peine à croire que le ménage a pu durer si longtemps. En effet, pour cette étape de l'Inde nous voulons être seuls. Nous avons supporté le difficile mais nécessaire concubinage avec d'autres voyageurs à travers les cols enneigés de Turquie, les déserts du Sud de l'Iran, les routes dangereuses d'Afghanistan, et les traquenards du Pakistan, nous abandonnons nos compagnons avec joie pour ce périple en Inde.
9 février, Amritzar
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Amritsar capitale du Punjab; foyer du sikhisme religion fondée par le Sage Nanak. Le temple doré (Darbar Sahib) est le principal monument d'Amritsar et un lieu sacré pour les sikhs. C'est un bâtiment carré aux murs incrustés de marbre au toit en plaques de cuivre recouvertes de feuilles d'or sis au centre d'un bassin d'eau dit le "Bassin de l'Immortalité", il est relié à la rive par un long corridor voûté en marbre. Sous son dôme, on peut contempler le "Granth Sahib", le livre sacré des sikhs. |
Le pays sikh est merveilleux. Les gens sont agréables et d'une grande beauté. Nous atteignons Amritsar à midi et avons peine à trouver nos directions dans la ville. Nous circulons à travers une foule dense et indisciplinée vers le temple doré où l'accès nous est rendu difficile par des rites inconnus de nous et qui nous surprend. Il faut entrer pieds nus, se laver les pieds et porter un turban sur la tête. La visite du temple sera toutefois impressionnante. La musique rituelle est
d'une grande beauté et la dévotion des fidèles exemplaire.
Notre visite d'Amritsar sera courte, mais suffisante pour se voir rapidement scrutés comme des êtres étranges par des gens qui, s'ils sont plus jeunes, vous gratifient joyeusement de leur amitié: des fillettes élégantes dans leurs vêtements traditionnels "le salvar-kamiz", leurs chemises amples aux couleurs vives fendues sur les côtés s'étalent lâchement jusqu'aux genoux cachant à peine leurs pantalons bouffants de satin rattachés aux chevilles; leurs longues écharpes "dupatta" virevoltent au gré du vent, elles sont belles et fières; un jeune homme d'une beauté presque féminine, il ne porte pas encore le turban autour de ses cheveux enroulés en chignon sur son crâne; c'est avec fierté qu'il dénoue pour nous cette longue crinière d'un noir luisant, il la laisse s'étaler jusqu'au niveau des hanches; devenu adulte, il enroulera ses cheveux et sa longue barbe et les protégera d'un long turban; il ne coupera ni ses cheveux ni sa barbe de toute sa vie. Et que dire de l'étrange beauté des enfants, garçons et fillettes portant tous le chignon caractéristique! Hélas nous devons quitter Amritsar et le Punjab et rallier Delhi au plus tôt.
9 février, Jullupur (Jullundur)
Nous sommes à la porte du Cachemire et Srinagar la cité qui meuble nos rêves. Entreprendrons-nous la difficile escalade vers ce pays légendaire dont les routes sont enneigées et difficilement praticables en ce temps-ci de l'année?
Comme ce fut le cas à Ferozopore, nous bivouaquons pour la nuit sur les vastes terrains d'un "bungalow". Ces endroits sont aménagés dans les villes et sites importants du pays au service des fonctionnaires du gouvernement. Nous souhaitons les utiliser lorsque cela sera possible; ils sont protégés, clôturés, accueillants et gratuits et nous pourrons nous y ravitailler en eau fraîche, que nous agrémentons de quelques pastilles désinfectantes achetées à Londres, heureuse initiative qui nous évite de pénibles diarrhées. La nuit, les chiens se dévergondent, ils nous tiennent compagnie agglutinés autour du camping-car.
10 février, Chandigahr
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Chandigarh ville nouvelle et capitale du Punjab, l'ancienne capitale était Lahore avant le partage de celui-ci entre le Pakistan et l'Inde; ville dessinée par l'architecte français LeCorbusier de renommée mondiale, il a conçu les bâtiments gouvernementaux: la législature, la haute cour, le secrétariat. |
Nous faisons route sur Chandigarh. Les indications latines sont rares et il est facile de prendre la
mauvaise route. Nous souhaitons ne pas avoir ces difficultés à la grandeur de l'Inde. Chandigarh nous déçoit, y compris les édifices de Le Corbusier, ils sont été construits d'une façon assez cavalière.
Les finis sont mal exécutés. Les formes architecturales sont généralement séduisantes mais le site est incomplet et très mal entretenu ce qui lui enlève beaucoup de son intérêt. L'architecture et l'urbanisme importés d'occident, les larges avenues et les grands dégagements disposés en damier, ne s'intègrent pas aussi facilement que les monuments issus des anciennes civilisations indiennes plus respectueuses de la mentalité et du tissu social des populations et qui font appel aux techniques artisanales locales ce qui n'est pas le cas des ouvrages modernes.
11 février, Chandigarh, Delhi
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Chandigarh: le Gandhi Bhawan conçu par Pierre Janneret architecte suisse neveu de LeCorbusier. |
Une autre visite de Chandigarh nous permet d'apercevoir des choses insoupçonnées. L'université
construite par le neveu de Corbu et qui ressemble étrangement à un campus universitaire américain. Les finis des bâtiments laissent également à désirer. Le
musée est toutefois d'une grande beauté, une construction conçue par LeCorbusier, il abrite des oeuvres magnifiques.
Nous quittons Chandigarh à midi pour une longue route en direction de Delhi que nous atteindrons à 16 heures.
Ville immense que nous traversons par les vieux quartiers. Nous aboutissons sur Connought Place, comme il semble tous les Européens de passage dans cette ville, c'est là que nous bivouaquons pour la nuit. Une tournée rapide nous fait envisager un Delhi rempli de mystères, de charmes et aussi, pleins de pièges.
12-17 février, Delhi
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Delhi: le fort rouge qui domine l'ancienne ville fondée par l'empereur moghol Shah Jahan, le Qutb Minar le minaret de la mosquée Qutb-ud-Dîn, la grande Mosquée Jama Masjid. |
Nous visitons Delhi pendant ces quelques jours dans cette ville immense et animée: le fort rouge, le Diwan-i-khas sur les murs duquel sont gravés ces mots: "Si le paradis existe sur la terre, il est ici, il est ici, oh il est ici!", la mosquée Jama Masjid, la mosquée Qutb-ud-Dîn et son fameux minaret le Qutb Minar, l'Observatoire Jantar Mantar érigé au 18ème siècle par Jai Singh II bien avant l'émergence des connaissances astronomiques en occident.
Mais soyons rassurés, "le paradis s'il existait n'est plus ici, n'est plus ici, oh n'est plus ici!"
18 février, Delhi
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Delhi: l'Observatoire Jantar Mantar érigé au 18ème siècle par Jai Singh II. Le temple Lakhsminarayan. Lakhsmi (Shrî Devî ou Bhou Devî) est la déesse de la Terre et l'une des épouses de Vishnu. |
Puis nous nous promenons à pied, en pousse-pousse (rickshaws) ou dans notre auto-caravane dans les rues animées et encombrées de la vielle ville. Nous visitons les échoppes de Chandni Chowk, ou Marie achètera ses premières jupes indiennes, légères, translucides et colorées qu'elle portera tout le reste du voyage sur ses pantalons blancs à la manière indienne. La nuit nous bivouaquons le long du Connought Circle. Quelques fois, les odeurs d'urine viennent nous hanter: c'est sur ce long mur de ciment qui borde le trottoir, toujours le même mur, près des boutiques de souvenirs, que les indiens indolents exposent leur lingham impatient de soulager la vessie de leur maître.
18 février, Alwar et Amber
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Alwar: les jardins et le palais du lac Sagar. Amber: le temple jaïn Jagat Shiromani et le Sheesh Mahal devant lequel Marie tente de déchiffrer les hiéroglyphes.
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Départ de Delhi au matin en direction de Jaipur au Rajasthan. Le parcours ne nous déçoit pas. Les paysages sont changeants, très imprévisibles et les gens d'un grand pittoresque. Nous entrons dans le
Rajasthan aux coutumes amusantes. Des défilés bigarrés encombrent les routes. Ce sont des mariages:
l'homme est sur un cheval en habits d'apparats, il va rejoindre sa fiancée au son des fanfares et du tintamarre de la multitude. Durant le parcours vers Jaipur, nous traverserons les villes d'Alwar et d'Amber qui possèdent des joyaux imposants de l'architecture de l'époque Rajpoute. Alwar est dominée par un fort imposant au pied duquel sont aménagés des jardins et un basin aux eaux calmes dans lequel il se reflète.
18-19 février, Jaipur
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Jaipur: le Hawa Mahal ou palais des vents, bâtiment en pierre rose et aux fenêtres en moucharabieh. Scènes de rue montrant un défilé de mariage avec éléphants décorés, fanfares et tintamarre. |
Nous atteignons Jaipur avant la fin du jour. La ville est animée et pleine d'allégresse. Les défilés de mariage proviennent de partout, plus colorés les uns que les autres. L'un des mariés est transporté sur un éléphant merveilleusement maquillé pour la circonstance. La foule est sophistiquée et composée de gens riches et célèbres sinon princiers. L'un des invités nous invite à partager la fête avec eux. Nous entendrons les fanfares jusque très tard dans
la nuit. Un perpétuel carnaval qui nous envoûte.
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Jaipur capitale du Rajasthan: le palais du Maharaja et ses jardins situés au coeur de la ville, l'observatoire Jantar Mantar édifié par le maharaja Sawai Jai Singh. |
Visite de Jaipur. D'abord le City Palace où nous faisons la découverte d'un musée rempli de
miniatures exquises. Nous y demeurons une heure dans l'euphorie la plus totale. Nous marchons
ensuite dans la ville rose, un peu moins belle et moins animée qu'hier soir. Nous découvrons le "palais des Vents", en pleine lumière et sans reliefs à cette heure de la journée. Les boutiquiers ne nous lâchent pas. Nous entrons dans une boutique d'artisanat où nous découvrons une magnifique peinture de 2 par 4 mètres intitulée "le voyage de Pabuji" qui trône désormais avec majesté dans notre salon. L'observatoire de Jantar Mantar, le pendant de celui de Delhi est d'un grand raffinement et l'expression d'une connaissance astronomique insoupçonnée. Il n'est pas facile d'imaginer une si grande sophistication à cette époque dans ce pays que nous découvrons et qui nous apparaît dans la plus totale anarchie. Nous retournons à Amber pour faire la visite du Fort et d'un petit temple jaïn.
Vers 15 heures, nous prenons la route d'Agra qui sera longue et difficile et remplie d'obstacles. Je n'aurai jamais juré autant en un si court espace de temps contre les vicissitudes de la conduite sur les routes des Indes. L'attitude des indiens dans leur commerce avec la voie publique commence à m'indisposer et je devrai changer d'attitude avant qu'il n'y ait drame. Je me résigne à rouler au ralenti, à contourner les obstacles avec une patience qui m'est inhabituelle pour éviter de renverser quelqu'un, de tuer une bête ou de démolir un attelage hétéroclite. La voie publique est plus un prolongement des dépendances domestiques qu'une voie pour la circulation des véhicules.
Nous entrons dans Agra très tard et nous dirigeons vers le bureau touristique à la recherche d'un endroit pour garer pour la nuit.
20 février, Agra
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Agra, siège du gouvernement d'Akbar. Son petit-fils Shah Jahan la rendit célèbre par la construction du Taj Mahal pour son épouse bien-aimée Mumtaz Mahal. |
Visite matinale du Taj Mahal. D'une beauté assez irrationnelle, il faut quelque temps d'exploration pour l'apprécier vraiment. C'est un bijou, un immense écrin qu'il faut revoir plusieurs fois. Chose certaine, les gens s'y laissent prendre et c'est le plus achalandé des sites touristiques. Au centre, ciselé dans le marbre, les tombeaux du Shah Jahan et de son épouse bien-aimée, Muntaz Mahal. Des bougies allumées sont déposées là par des hindous de tous âges, en hommage à l'amour. Derrière le purdah, les voiles, les moucharabiehs, les interdits, la séquestration qui afflige la femme, n'y aurait-il pas beaucoup, beaucoup d'amour et une manière de le protéger?
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Agra: autres monuments: le fort d'Akbar dont les murailles font deux kilomètres de circonférence, le palais Jahangir Mahal, la tour orthogonale Saman Burj, la mosquée de la Perle et la tombe Itmad-ud-Daulah. |
Les nuits sont merveilleuses en Inde et elles vous font oublier la chaleur accablante du jour. Ce soir sur notre campement, nous n'arrivons pas à dormir, envoûtés par la douce fraîcheur de la nuit naissante, le bavardage des criquets et le son d'un mystérieux tam-tam qui traverse la nuit comme un appel lointain et envoûtant. Nous décidons de nous déplacer à la recherche des ces mystérieux échos de fêtes qui prolongent la veille, et nous partons à la recherche de ces mystères sonores au hasard de la nuit indienne. Nous croisons un mariage somptueux de gens riches. La maison et les jardins sont illuminés par des ampoules aux milles couleurs, les haut-parleurs déversent leurs musiques atonales dans la nuit, c'est réjouissant. Nous continuons notre exploration dans les faubourgs de la ville. Nous suivons avec peine les plaintes d'un tam-tam qui nous entraînent dans des quartiers d'apparence malsaine. Les tambours, les musiciens, les assistants déjà éméchés rythment leurs danses et accompagnent ainsi une gitane émaciée et endiablée qui, en m'apercevant, entreprend de me séduire. Le marié, un peu hébété regarde la scène avec désarroi. Sur les conseils de Marie, je n'accepterai pas les avances lascives de cette déesse Durga, terrible Kali aux noirs desseins qui pourrrait bien être la mariée et qui n'a pas les attributs nécessaires à me séduire. Nous quittons avec peine cet endroit malsain craignant déjà les débordements d'intérêt envers nous, visiteurs venus d'un autre monde.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Voyages et photos de l'auteur, 1969) © 1999 Jean-Pierre Lapointe