Chroniques d'un voyage sur les traces de Marco Polo
La Turquie

cols enneigées d'Anatolie Les trois camping-car immobilisés sur une route enneigée d'un col de montagne en Haute Anatolie, entre la mer Caspienne et Erzurum.


(pour profiter au maximum du voyage, attendez patiemment l'éclosion des images et de la trame musicale)

Carte montrant la traversée des pays de l'Asie Centrale, de la Turquie à l'Inde en passant par l'Iran, le Pakistan et l'Afghanistan).

sur les traces de Marco Polo en Asie


26 décembre, frontière de la Turquie
villageTurquie

Nous passons en Turquie par le poste frontière d'Ipsala. Aucune ressemblance avec ce qu'avait été notre entrée en Turquie par Edirne en 1964. Nous sommes reçus avec hospitalité dans un bâtiment moderne, et des fonctionnaires accueillants. En ces autres temps, nous avions été conditionnés par la haine séculaire des grecs envers les Turcs. Au poste frontière, rien pour nous enlever l'inconfortable sensation d'entrer dans un continent plein de dangers; sur la table du douanier moustachu et à l'air patibulaire, un immense couteau à portée de main, un sentiment d'insécurité face au regard d'avidité des officiels sur les formes de cette belle occidentale qui m'accompagne, ma femme.

La route jusqu'à Istambul est maintenant pavée. Istambul n'a pas changé. Le même horizon de mystère marqué par le profil des minarets dans l'atmosphère vaporeux du Bosphore. Il y a beaucoup plus d'autos, et moins d'impertinence irrationnelle de la part des automobilistes, mais les Klaxons fonctionnent toujours allègrement comme s'ils existaient comme seuls éléments de propulsion. Les taxis font la navette sur la rue et appellent les clients de leurs Klaxons. Ils s'immobilisent n'importe où, en quadruple rangée, pour recueillir leurs clients. Nous échangeons l'argent de poche dans la rue, face au Hilton. Dans nos efforts pour préparer notre passage vers les Indes, nous sommes a la recherche d'essence pour notre réchaud. Nous aboutissons ainsi au siège-social de la compagnie Shell, dans le bureau de l'ingénieur, qui nous offre de nous préparer le "liquide" tant convoité, dans les laboratoires de la raffinerie situés à Izmit sur la route d'Ankara (cette raffinerie fut détruite ultérieurement, lors du tremblement de terre de la fin du siècle). Nous acceptons cette offre d'une délicatesse bien orientale. Nous serons au rendez-vous de la raffinerie ce samedi. Nous avons du mal à imaginer qu'un tel signe de générosité soit possible en Occident et nous pouvons plus facilement oublier les expériences plus négatives qui choquent nos réflexes d'occidentaux mal-appris.

27 décembre, Istambul
IstambulIstambulIstambul

Nous redécouvrons le mystérieux Bazar d'Istanbul. Cette fois-ci, nous sommes initiés par notre connaissance des souks nord-africains, un peu plus ouverts aux objets folkloriques et jouissons d'un budget plus grand. En 1964, nous vivions sur une base de $5.00 par jour pour les dépenses. Ainsi, nous voyons les choses différemment et nous sommes moins conditionnés par le seul objectif de se déplacer d'un lieu à un autre. Nous pouvons penser utiliser nos minces économies à autre chose que nourrir le ventre de l'auto-campeur ce qui n'était pas le cas lors de notre aventure de 1964. Nous sortirons du Bazar avec une couverture multicolore, une pipe, des chaussettes et de multiples babioles.

Sainte-Sophie, Istambul

Nous rencontrons un couple d'australiens, Peter, un jeune homme déguinguandé, typiquement australien et Jenny, sa jeune épouse eurasienne. En route vers l'Australie, ils craingnent d'entreprendre seuls ce voyage et nous acceptons qu'ils se joignent à nous pour cette expédition vers les Indes. Nous fixons nos termes et conditions, pour assurer la sécurité et la bonne marche du voyage. Nous les rejoindrons à Ankara où nous fixons le rendez-vous. Un anglais à l'accent incroyable et difficilement compréhensibe, autant des australiens que de nous, se joint à nous. Le soir , nous faisons la tournée des restaurants dans le vieux Istanbul, sombre, mystérieux et un peu louche, une atmosphère qui nous imprègne de l'Orient tout proche.

28 décembre, Ankara
Mausolée d'AtaturkAnkara

Nous prenons la route d'Ankara. Nous faisons un arrêt prévu à la raffinerie d'Izmit où l'on nous attend pour le café. Dans les laboratoires, nous participons à la préparation de la potion magique qui alimentera notre réchaud pour le reste du voyage. Le temps nous manque. Nous partons avec 15 litres d'essence, gracieuseté des ingénieurs de Shell. La route vers Ankara est belle et bondée de bus et de minibus. Les gens voyagent beaucoup. La neige apparaît soudain, abondante, dans les environs de Bolu. En 1964 lors de notre première traversée du haut plateau d'Anatolie, il y avait de la neige sur les routes comme au Canada. Nous entrons le soir à Ankara et allons bivouaquer sur les terrains d'un immense campus que nous croyons être l'Université; à la lecture des panneaux identificateurs, nous découvrons que nous sommes plutôt sur les terrains des ministères et du nouveau parlement. Nous pensons être sous une protection rassurante dans un pays où l'armée et la police parsèment les trottoirs et les rues, en attendant un hypothétique mais improbable soulèvement.

29 décembre, Ankara
Nous visitons les musées d'Ankara que nous avions découverts en 1964 dont le merveilleux petit musée sur l'art ancien des Hittites. Nous y avions d'ailleurs rencontré le conservateur qui nous avait donné de magnifiques photographies des oeuvres que nous conservons toujours. A ce moment, nous faisions partie des rares visiteurs étrangers le pays étant très peu fréquenté par ceux-ci. La journée nous semble interminable dans cette ville sans âme. Nous devons rencontrer les amis à 18 heures à la poste centrale. Ils nous aperçoivent par hasard dans les rues et nous irons ensembles, finir la journée sur les terrains des ministères.

30 décembre, Ankara
La journée se passe à faire la navette des consulats, pour obtenir les visas et "permis de passage" nécessaires pour le "camping-car" de nos amis australiens. La méconnaissance des conditions de circulation en Asie leur ont fait oublier des formalités d'une impérative nécessité et nous leur épargnons ainsi de bien désagréables surprises aux diverses frontières qu'ils auront à traverser. C'est l'inexpérience des premiers voyages, un peu de ce que nous avons vécu en 1964. La chance les a fait nous rencontrer et leur voyage qui semblait compromis pourra se réalisier finalement. Le "carnet de passage" leur sera envoyé à Téhéran.

31 décembre, Ankara
Ce matin, nous partons très tôt d'Ankara pour une dernière traversée de la ville et de ses taudis qui s'étendent à perte de vue. La musique des Klaxons nous accompagne tout le long de la traversée des proches banlieues de la ville, à nous rendre fou. La brume est dense. Elle nous accompagnera pour la majeure partie du voyage. L'effet est assez étrange dans ce paysage désertique et montagneux. Nous prenons une route secondaire afin de visiter des sites archéologiques hittites, à 200 kilomètres d'Ankara. Plus nous avançons, plus la route devient impraticable. Nous plongeons dans des rigoles profondes de terre meuble et de boue, nous labourons littéralement le sol. Les indications sont mauvaises sinon inexistantes. Devant une mer de boue presqu'insurmontable, nous décidons de rebrousser chemin et d'abandonner notre recherche du site archéologique. Nos compagnons de route ne sont d'ailleurs pas enthousiasmés par les vestiges des anciennes civilisations. Leur culture semble se limiter aux artéfacts modernes de la civilisation anglo-saxonne, et ils n'ont pas la curiosité de sortir de ce seul et unique horizon. Ma vitesse de croissière est supérieure à celle des australiens et je dois les attendre à plusieurs reprises. Durant l'un de ces arrêts pour faire le plein d'essence, un cotoyen turc me demande l'hospitalité pour ce que je crois être 1 kilomètre de route. Sitôt embarqué, j'apprendrai bien candidement qu'il me fera le plaisir de sa compagnie jusqu'à Samsun puis bien au-delà jusqu'à Trabzon, si le coeur m'en dit. Je me contenterai des 80 kilomètres jusqu'à Samsun, où je le dépose finalement. Ce fut une compagnie agréable avec un personnage très sympathique.

1 janvier, Samsun, Trabzon et la Mer Noire
GoremeCappadoce

Nous quittons Samsun ce matin en direction de Trabzon. Nous longeons la mer Deniz ou mer Noire sur cette côte qu'à longée Jason, en des temps anciens, à la recherche de la Toison d'Or; on croit qu'il était accompagné de la mystérieuse Atalante, championne à la course en ces temps anciens. La route est défoncée, un véritable enfer. La brume recouvre les paysages. Les routes sont bondées de voyageurs dans des véhicules hétéroclites. Les habitations ressemblent à celles rencontrées en Iran le long de la mer Caspienne. Nous faisons rapidement la traversée de Samsun puis d'Ordu. Passé Ordu, nous ajoutons à notre caravane, un couple de britanniques en route vers l'Australie. Décidément, les voyageurs anglo-saxons ont le même réflexe, limiter leur horizon à ce qui peut le mieux ressembler à leur propre pays. Nous roulons en caravane jusqu'à Trabzon. Nous visitons les rues de la ville d'ou l'on peut percevoir les signes d'un héritage byzantin et Ottoman. Nous découvrirons très tard, les fameuses échoppes des artisans du cuivre. C'est un véritable enchantement. Demain, il nous faudra revenir; les objets sont magnifiques. Nous parquons nos 3 véhicules sur un terrain, face à la mer. Nous nous réunissons avec Peter et Jennie dans notre camping-car pour parler, écouter de la musique et regarder des diapositives. Quand nous mettrons les yeux dehors, nous apercevrons un quatrième camping-car, arrivé là inopinément.

2 janvier, Erzurum, la route des montagnes.
passage des cols en hiverhaute Anatolie

A notre réveil, c'est la foire autour de notre campement. Les vendeurs de poissons, les enfants, les soldats contemplent notre équipage avec consternation. Nos moindres mouvements se transforment en gestes fantastiques pour les curieux. La levée du toit de notre camping-car Westfalia crée tout un émoi. Nous faisons connaissance avec nos nouveaux voisins, un jeune couple britannique qui revient des Indes. La description qu'il nous font de leurs aventures nous laissent mal à l'aise. Nous envisageons avec appréhension les obstacles que nous auront à surmonter, autant physiques que culturels. Ils ont été littéralement engloutis par l'eau entre Meshed et l'Afghanistan, tout a été ruiné dans leur véhicule, y compris les appareils photographiques. Nous retournons au marché pour de menus achats avant de prendre la route vers l'intérieur en direction d'Erzurum.

Nous quittons la mer en direction des montagnes. La route du bord de mer mène droit en Géorgie soviétique d'où nous ne sommes qu'à quelques heures mais dont l'accès nous est interdit.

Nous n'atteindrons jamais Erzurum ce soir-là, il faudra bivouaquer à Bayburt, après 200 kilomètres de route lente et une dangereuse ascension dans les montagnes enneigées et glissantes. L'auto de Peter a des problèmes mécaniques et de la difficulté à négocier les dénivellations, puis il perdra un pneu de secours. Nous devrons l'attendre souvent, et pendant de longues heures. Puis c'est à notre tour de déraper sur le verglas. Heureusement je dirige l'auto du côté de la falaise évitant ainsi une culbute impardonnable de plus de 1000 mètres dans un ravin. Nous en serons quitte pour la peur et ferons le reste du trajet en montagne, à une vitesse de 30 kilomètre/heure et en deuxième vitesse. A Bayburt, nous couchons chez un pompiste à qui nous offrons un paquet de cigarettes en guise de paiement. Les dernières heures de clarté nous permettent de faire de menus travaux sur nos voitures.

3 janvier, Erzurum et le mont Ararat.
Médressa d'Erzurum

Au petit matin, hors du lit, il fait 25 degrés sous le point de congélation. Les vitres sont givrées. Nous allumons le réchaud et avant peu, il fera 60 degrés et nous serons plus que confortables. Pour les amis, la nuit aura été effroyable. Il leur sera impossible de réchauffer le véhicule à cause du trop grand nombre d'infiltrations à travers les parois.

Nous roulerons à pas de tortue oar le passage du col qui offre des vues magnifiques du haut plateau. Le ruban de nuages s'étale à nos pieds, laissant percer les pics des montagnes. Nous entrons à Erzurum où nous faisons un court arrêt avant de filer en direction d'Agri et de la frontière iranienne.

Erzurum est une ville dévastée, victime d'un terrible tremblement de terre il y a à peine quelques mois. Les fameux minarets jumeaux du Medressé sont toujours debout défiants et intacts.

Parti d'Agri nous longeons les flancs arides du mont Ararat là où l'arche de Noé se serait posée, et dont le sommet est recouvert de neige. Nous fabulons naïvement sur la présence de l'arche de Noé là-haut au faite de la montagne. Est-ce fabulation de la part de voyageurs exténués, mais une tache noire visible au faite laisse supposer qu'il y a un vaisseau déposé là. Personne ne serait jamais revenu de là-haut pour authentifier ce fait.

Des routes glacées nous attendent. Je dois mettre mes chaînes (chaines de marque "Canada" achetées à Paris), finalement, après être passé par quelques glissades. Mais comme d'habitude, je les mets pour les quelques kilomètres de glace qu'il reste à couvrir. John fait une crevaison et arrivé à Agri, c'est autour de Peter qui se précipite sur une pierre immense, alors qu'il me suivait de trop près. Les deux amis passeront la soirée chez le pompiste, à ingurgiter du thé.

exemplaire du journal de bordjournal de bord

4 janvier, traversée en Iran.
Lever tôt et départ vers l'Iran. La route est belle outre une section glacée où je dois mettre les chaînes. Nous abordons l'Iran à 11 heures 30, il est 13 heures à l'heure iranienne. Nous quittons le poste frontière après être passé par une fouille complète, un étourdissant processus de formalités, d'innombrables papiers à remplir, tout cela après avoir attendu les douaniers qui prenaient calmement leur repas. Cela nous aura convaincu d'utiliser dorénavant le "carnet de passage" pour accélérer le processus. Nous filons sur Marand à 200 kilomètres, dans l'espoir de nous arrêter à la première station d'essence. Il fait nuit, et nous roulons pendant 150 kilomètres sans voir ni villes ni villages, ni postes d'essence, ni âme qui vive. Peter est en panne d'essence à 500 mètres de notre premier poste d'essence et de notre campement de nuit.

Marco Polo ou le voyage imaginaire (Voyages et photos de l'auteur, 1964 et 1967) © 2001 Jean-Pierre Lapointe

Suite du voyage en Iran


RETOUR À MARCO POLO Page d'Accueil du Site Principal OU LE VOYAGE IMAGINAIRE


Hébergé par Geocities My Host

1