Chroniques d'un voyage sur les traces de Marco Polo (suite)
L'Iran

dôme de Sultanieh Arrêt à l'ancienne mosquée de Sultanieh au Kurdistan iranien, sur le route de Tabriz à Téhéran.


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Carte montrant la traversée des pays de l'Asie Centrale, de la Turquie à l'Inde en passant par l'Iran, le Pakistan et l'Afghanistan).

sur les traces de Marco Polo en Asie


5 janvier, Tabriz au Kurdistan iranien
Ce matin, le froid est intense en quittant Khoy où nous avons passé la nuit. Les autos ont du mal à démarrer. Nous roulons vers Tabriz que nous atteignons vers 10 heures. Nous visitons la mosquée bleue et un souk où les gens nous regardent avec étonnement comme si nous étions venus d'une autre planète. Nous ne roulons pas plus de 80 kilomètres. Le vent est énorme et le froid très intense. La neige recouvre les montagnes et les champs. Les paysages sont beaux, ils rappellent un peu le sud marocain avec ses casbahs. À Zandjan, nous faisons halte pour la nuit, toujours à un poste-essence. Puis nous faisons la visite rapide et amusante des bazars. Les attroupements se forment autour de nous. Un policier disperse les gens et il nous accompagne partout où nous allons, et il écarte les curieux devant nous.

6 janvier, Zanjan
dôme de Sultaniehdans les rues d'Isfahan

Nous couchons sur les terrains d'une station-essence à l'entrée de Zanjan. La nuit est glaciale, le matin, la température est sous le point de congélation. L'auto refuse de démarrer, il faudra la remorquer. Nous quittons les lieux brusquement pour permettre à l'auto de se réchauffer. Marie n'est pas contente, elle fera son lavage tout en roulant. A Sultanieh, nous faisons un arrêt imprévu. John n'est pas visible au loin. Nous décidons de visiter l'ancienne mosquée quitte à le rattraper plus tard. Au retour, John n'est toujours pas en vue. Je roule à vitesse maximum, 100 kilomètres/heure dans l'espoir de le rejoindre puis je m'arrête à Gazuin après 1 heure et demi de route infernale. Je n'ai pu rattraper John que je croyais âtre en avant de nous. Je me résigne à penser qu'il est resté derrière à Zanjan, peut-être en panne. Peter arrive 20 minutes après nous à Gavzin. Nous nous arrêtons pendant 1 heure pour le dîner. John n'apparaît toujours par et nous décidons d'entrer à Téhéran par la route de Karaj, gelée et glissante. J'installe les chaînes, la neige commence à tomber. Nous trouvons le camping où les prix sont excessifs, nous décidons de coucher dans les rues de la ville. La ville ce soir-là, est enfouie sous la neige. Nous circulons à moins de 20 kilomètres/heure. Le moindre freinage vous envoie dans le paysage. On a peine à croire que nous sommes en Iran, on se dirait plutôt à Montréal, à la différence qu'ici, la neige est là pour rester ou fondre au printemps. On ne l'enlève pas comme à Montréal. On risque d'être bloqués ici pour longtemps. Les voies de sorties de la ville sont bloquées. Nous allons parquer l'auto dans une rue calme du quartier des ambassades. Un iranien, propriétaire de la villa d'en face et marié à une anglaise nous invite à manger. Nous remettons la rencontre à plus tard car nous sommes en pleine bouffe. Mais plus tard, fatigués, nous nous coucherons sans répondre à cette aimable invitation.

7 au 12 janvier, Téhéran
bazar de Téhéranrue de Téhéran

Nous venons de passer 6 jours à Téhéran, 6 jours forcés ou nous avons du passer par toutes sortes d'expériences. D'abord, nous n'avons pas pu prendre contact avec John qui nous semble perdu pour toujours. Il est passé par Téhéran puisqu'il aurait passé la première nuit au camping, mais aucune affaire importante ne le retenant ici, il a du filer, malgré la température extrême. Le malheur, c'est qu'il aura sûrement pensé que nous l'avons laissé tombé.

Quelques visites au consulat pakistanais nous convaincrons de l'impotence des fonctionnaires. Pour eux, nous ne sommes que des transitaires en direction des Indes. Que nous voulions visiter leur pays ne les intéresse nullement. Les routes sont pré-définies, comme en Union Soviétique, et toute déviation nous est interdite. Nous voulons procéder rapidement en vue d'obtenir les permis, mais peine perdue. Il nous faudra attendre jusqu'à Samedi, après le congé du Vendredi. Les bureaux ferment à midi, et chaque opération prendra une journée: visa Afghan, permis de passage au Pakistan, carnet de passage en douanes, prolongation de visa. Nous sommes donc retardés pendant 7 jours à Téhéran, en grande partie pour permettre à Peter de régler ces différents problèmes avant de s'engager vers les Indes. Nous décidons définitivement de prendre la route du Sud suite aux diverses informations qui nous sont fournies par d'autres voyageurs, sur l'état de la route Nord par Meched et la traversée de l'Afghanistan par la rouge centrale. La route sud est plus longue, plus difficile, moins pittoresque et évite l'Afghanistan, tous désavantages que nous préférons à la neige et au froid. Au consulat de l'Arghanistan, nous rencontrons un couple hippie qui se dirige vers les Indes. Nous les reverrons deux autres fois durant notre séjour. Les gens que nous ne voulons pas voir sont constemment sur notre chemin, mais John, qui était un ami, est toujours introuvable. Nous revoyons le hippie au touring club où il vient d'acheter à grands frais, un carnet de passage en douanes. C'est un hippie riche, sans problèmes apparents, ou peut-être inconscient. Il fait la route en Land Rover et fréquente les hôtels, et se permet de nous faire la morale sur tout sujet, de traiter les gens avec un masque de compassion, de politesse, d'amour feint. Serait-il "Jésus-Christ"?.

Nous nous rendons par 2 fois chez Volkswagen pour se retrouver devant des portes closes. Aujourd'hui, samedi, nous sommes enfin reçus. On mettra moins de 15 minutes à réparer l'auto mais j'attendrai deux heures pour finaliser la paperasserie, la compilation des frais, les papiers d'expédition, la retranscription des factures, devant une sorte de fonctionnaire moustachu, au sourire vinaigre, et une gueule sur quoi on aimerait taper. La réputation de Volkswagen n'a rien à gagner dans de tels pays.

13 janvier 1968, Téhéran et Isfahan
Lutfullah, IsfahanIranmosquée d'Isfahan

Nous quittons finalement Téhéran avec un plaisir indéfinissable. Les diverses réparations à mon auto n'ont pas été effectuées. La route est belle, mise à part le neige qui la recouvre à certains endroits et que le printemps seul viendra faire disparaître. Ici, on ne connaît pas le système de déneigement des routes. Nous n'avons vu qu'une machine à l'oeuvre, et elle faisait plus de dommage que de bien. Nous arrivons à Isfahan à 17 heures. Les australiens ne semblent pas plus impressionnés qu'il le faut. Cela nous déçoit nous qui leur avions promis toutes ces merveilles découvertes lors de notre premier voyage en 1964. Nous parcourons le bazar, revisitons quelques mosquées splendides dont les dômes sont étrangement recouverts de neige, puis allons à la recherche d'un terrain vague pour passer la nuit.

Médressé Sheikh HotfollahMaidan-E-Shah, Isfahan


Nous levons le camp un peu tard ce matin, nos amis se mettent à des réparations d'auto qu'ils auraient pu entreprendre alors que j'étais moi-même au garage. Nous ferons une autre halte d'une heure chez ces derniers essayant de trouver le mal qui agite mon Klaxon, l'instrument le plus utile d'une voiture dans ces pays. Comme c'est l'habitude, c'est moi et non le garagiste qui trouve la cause du mal. Nous en serons quitte pour l'achat d'un Klaxon dont le son est d'une vulgarité toute asiatique. Je ne m'habituerai jamais à ce son, à ce manque de finesse. Nous faisons une visite rapide d'Isfahan. Sur la grande place, la vue d'une impériale londonienne attire notre attention. Ce sont des australiens qui se rendent en Angleterre. Nous parlons à l'un d'eux, ils sont treize en tout; ils nous font découvrir le plaisir de ce qu'ils appellent voyager "overland", c'est-à-dire au-dessus des paysages.

Chahar Bagh, IsfahanIsfahanChahar Bagh, Isfahan


14 janvier, Yazd
village Shames-Chadle long de la Caspienne

Le départ pour Yazd sera à nouveau retardé par un arrêt chez le garagiste. Cette fois-ci, je suis décidé à régler le problème promptement. Nous expliquons exactement au garagiste ce qu'il doit faire. Il en est un peu indigné et pour nous démontrer sa compétence mécanique, il nous montre des photos prises alors qu'il travaillait à Volksburg. J'espère que ce brin d'amour propre aura pour effet de faire fonctionner mon véhicule. Il semble consciencieux, exécute l'ajustement des pointes, il découvre une faille au carburateur qu'il démonte et répare, me fait faire le test de la route. Cette fois-ci, je crois que tout ira rondement. Nous partons finalement à 11 heures, par la route qui nous est suggérée par les responsables du bureau touristique. Pendant une heure, nous serons engloutis dans une mer de boue, presque en danger de noyade, avant d'aboutir à la route asphaltée, qui nous aurait menée ici en 5 minutes. Nous ne pouvons que maudire l'employé du bureau touristique qui ne sait pas encore qu'une route moderne couvre la distance entre Isfahan et Yazd.

Nous atteignons Nein très rapidement par une descente de 30 kilomètres qui nous rapproche d'une plaine moins enneigée, et où le soleil est plus chaud. La route de Nein à Yazd est moins mauvaise que prévue et nous roulons à 80 kilomètre/heure. Le parcours est d'un pittoresque extraordinaire. Les villes et villages sont remplis de formes fantastiques, qui rappellent la nouvelle architecture moderne. A Yaz, nous ne passons pas inaperçus. Le moindre arrêt crée un attroupement des plus amusants. Il faut un certain sang-froid, et laisser tomber tous les complexes de supériorité un peu "anglo-saxon" que nous portons en nous pour pouvoir s'amuser de ce jeu de cirque, et éviter de bousculer les gens devenus trop curieux. Je dois maîtriser Peter continuellement, pour qu'il ne se fâche pas, et excite ainsi la colère des gens du pays. En Inde, il aura besoin de tout son sang-froid. Des étudiants nous abordent et nous guident jusqu'au camping, qui se trouve être l'usine de filature de Monsieur Agha qui accueille gratuitement les voyageurs du monde entier:des canadiens, des américains, et des anglais qui le lui rendent très mal en critiquant, dans le livre de visites, les installations hôtelières de Monsieur Agha. Ce sont de pauvres types, qui corrompent la route des Indes, des malappris qui voudraient exporter à la planète leur culture de dépravés. Derrière eux, les frontières se referment de plus en plus, ou deviennent plus difficiles à traverser.

Nous prenons notre première douche chaude depuis un mois. Nous en sommes très reconnaissants à notre hôte et il ne nous viendrait jamais à l'idée d'émettre par écrit la moindre critique à l'endroit de celui-ci. Nous avons eu peine à nous débarrasser des jeunes iraniens dont l'âge mental semble s'arrêter aux déchets de la propagande américaine: le twist, la rock, le chewing-gum, le Coca-Cola, le cinéma western. Je les reconduis à la ville pour les entendre me débiter leurs vieilles sornettes sexuelles, qu'ils sont supérieurs en amour, supérieurs à l'homme blanc, à l'européen, qu'ils sont médusés que nous n'ayons pas d'enfants après 5 ans de mariage et tout le tralala.

16 janvier, Kerman.
Ce matin, il y a un certain froid entre nos deux "familles", que je n'explique pas encore. Toute la journée, sur la route menant à Kerman, les rapports seront au minimum et il semble même que le mariage des deux groupes va éclater. A Kerman, nous stationnons dans les quartiers riverains, face à des ruines Zoroastriennes. Un jeune homme discute avec nous, durant des heures, et nous apprend d'intéressantes choses sur Kerman et sur la route que nous allons prendre.

17 janvier, Kerman et Fahraj.
Départ de Kerman. En route, visite d'un mausolée à Mahan, intéressant village où nous lions amitié avec un professeur du Lycée. Après Mahan, la route devient mauvaise. C'est le désert qui commence Nous roulons à 40 kilomètres/heure. Impossible d'éviter les corrugations de la route. Nous traversons Bam pour se ravitailler en essence. A Fahrcay, j'attends nos compagnons pendant une demi-heure avant de rebrousser chemin à leur recherche. Ils sont immobilisés par une panne du générateur, il semble bien que les vrais pépins commencent. Nous bivouaquons pour la nuit à Fahraj et pour réparer l'auto de Peter. Nous découvrons qu'un fusible à sauté, mais le reste de l'auto n'inspire plus aucune confiance.

17 janvier, Zahedan.

Nous partons tôt au matin de Fahraj. Nous traversons le désert. La route est excessivement mauvaise. Nous la quittons pour filer sur le sable durci. Après le passage de la tour de Chah Shirgaz, le vrai désert s'installe. Je m'embourbe à quelques mètre de la route. Il faudra beaucoup d'efforts pour me tirer de là. Le sable est très mou. Nous continuons la route sur Zahedan. En route, le moteur du véhicule de Peter rend l'âme. Nous sommes littéralement entourés par des enfants et des jeunes filles. Ils sont gentils, charmants, les jeunes filles sont belles. Peter découvre un autre pépin, sa batterie est cassée, l'un des éléments est vide. L'auto tombe littéralement en pièces: les pare-chocs, le tuyau d'échappement, les caoutchoucs de suspension, tout s'effrite. A Zahedan, l'arrivée crée une certaine euphorie parmi la foule. Peter n'a plus d'essence, la poussière nous recouvre entièrement, notre arrivée à l'air d'un débarquement sur la lune. L'effort à été surhumain, j'ai fait une crevaison et perdu l'un de mes bons pneus, Zahedan nous apparaît comme une délivrance.


18 janvier Zahedan
Nous passons la journée à Zahédan, pour réparer l'auto de Peter. J'en profite pour faire réparer mon pneu. J'assiste là, à une pitoyable démonstration d'incompétence. On me prépare une espèce de galette faite de trois épaisseurs de caoutchouc, le tout est collé, sans réchauffement. Peu de temps après, le tout s'enlèvera sans aucun effort et j'aurai beaucoup de peine à récupérer mes 50 rials. Finalement, nous sommes en route vers la frontière où nous coucherons, protégés dans l'enceinte du poste-frotière iranien.



Marco Polo ou le voyage imaginaire (Voyages et photos de l'auteur, 1964 et 1967) © 2001 Jean-Pierre Lapointe

Suite du voyage au Pakistan


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