Chroniques d'un voyage dans les pays de l'Est
L'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Comecon

Prague


(appuyez ici pour retourner au début du récit ou attendez le chargement des nombreuses images et des sons)

A lire absolument un conte à caractère érotique de l'invasion de la Tchékoslovaquie par les troupes du Comecon, sujet du présent récit de voyage.

Plan de la ville de Praque.

plan de Prague


Prague, le 20 août 1968
Prague

Dès notre arrivée à Prague venant de Pologne, nous sommes à la recherche de l'échangeur qui nous procurera les quelques couronnes nécessaires à notre passage en transit à travers la Tchécoslovaquie. Nous arpentons les endroits touristiques avec anxiété. Il n'y a pas de changeur! Dire qu'à notre dernier passage, on nous accostait toutes les 10 minutes pour nous proposer d'échanger de l'argent.

Puis, devant Orbis, des jeunes nous abordent. Un petit échange de $5.00 contre 150 Krs, et nous pourrons nous approvisionner, à bon compte, de saumon, de pois, de vin, etc. Nous recevons finalement une carte des copains de Vancouver, Keitch & Jay Bradlanny, qui reviennent de Moscou. Ils sont "fini", c'est-à-dire, exempts de tout embarras avec les autorités russes. Ils sont réconfortés que nous les ayons rassurés lors de notre rencontre sur la route de Kiev. Nous nous étions alors croisés sur la route allant de Kharkov à Kiev. Ils étaient paniqués et disaient être pris en chasse par les services secrets soviétiques. Au camping de Kiev, ils avaient parlé politique avec les responsables du camping, argumentant sur les bienfaits du système capitaliste. Ils avaient avec eux des livres américains de propagande anticommuniste. Nous leur avions promis d'aviser l'ambassade du Canada à Vienne, de leur problème avec les autorités soviétiques, mais nous avions profité de l'occasion pour leur faire connaître toute l'incongruité de profiter d'un tel voyage pour faire du prosélytisme politique.

21 août Prague
Cette nuit sur la capitale, il y a un déploiement inusité d'avions de combat au-dessus de la ville. Nous mettons ça sur le compte du militarisme habituel des pays socialistes, nous venions de vivre ce phénomène en Pologne. Ce matin, la radio a une tonalité différente des autres jours, elle semble alarmiste. Des groupes de gens sont regroupés autour de leur poste récepteur. Nous sentons que quelque chose de grave vient de se produire. Une invasion, une guerre peut-être? A 8,45hrs, la radio autrichienne Austerreich Eins nous apprend, en langue française, que la Tchécoslovaquie a été envahie par les troupes soviétiques, polonaises, est-allemandes, hongroises et bulgares. À Prague, il y aurait eu résistance de la population devant l'édifice de la radio. Les "leaders" tchèques dont Dubcek, l'initiateur du Printemps de Prague, seraient en état d'arrestation. Nous expliquons ainsi le déploiement militaire qui nous a accompagnés durant tout notre séjour en Pologne. Nous faisions nous-mêmes partie, de l'invasion, puisque, sans le savoir, nous avions accompagné les troupes venant de Pologne.

À 9 heures, nous quittons le camping. Les tramways ne circulent plus. Nous faisons monter, dans notre camping-car, 5 jeunes allemands de l'Est qui ont l'intention de quitter Prague au plus tôt et qui voudraient se diriger vers la gare du chemin de fer. DNous apercevons déjà quelques tanks qui patrouillent dans les rues de la banlieue praguoise. Arrivés au pont de du Plalackeno Most qui enjambe le fleuve Vltava, il y a un barrage militaire. Nous ne passerons pas. Je réussis à contourner l'obstacle en me faufilant dans les petites rues transversales et nous aboutissons au centre de la vieille ville de Prague, sur la place Václavské námêstí. On nous interdit de passer, les tanks sont là, omniprésents. Une foule immense arborant beaucoup de drapeaux nous entoure. Nous faisons descendre nos hôtes et allons garer l'auto dans une rue secondaire puis nous revenons sur la place. Nous sommes dans le feu de l'action. Tout est calme pour le moment. Les tanks ne circulent pas. Ils obstruent les artères principales. Les jeunes sont regroupés autour des tanks. On discute avec l'occupant. Plus loin, un camion circule à vive allure, rempli de jeunes portant l'étendard tricolore tchécoslovaque. Sur les tanks, des graffitis, des svastikas, des slogans "go home" peints sur l'acier.

PraguePrague

La foule est très calme. Cela ressemble jusqu'ici, a une occupation touristique. Nous faisons plusieurs photos. Nous quittons la place, trop calme à notre goût, en direction d'un autre point stratégique, la place de la vieille ville, le Staromêstské námêstí. L'occupation est complète. Les rues sont bloquées par les tanks. Des canons-mitrailleurs sont braqués sur le bâtiment de l'Hôtel de Ville. Jean Hus est impassible sur son monument, bardé d'affiches, les yeux bandés, comme refusant de voir et de croire à ce déploiement. Ici et là, des images pathétiques: des hommes, des femmes, discutant avec les jeunes soldats russes, essayant vainement d'expliquer la position de la Tchécoslovaquie, en leur démontrant, à coup d'arguments et d'articles de journaux, que toute la situation est issue d'un malentendu, que la contre-révolution, ce ne sont pas eux mais les Russes qui la font.

PraguePrague

De jeunes soldats, l'air pitoyable, écoutent, sans broncher, la tête baissée, comme s'ils avaient du remords. Ailleurs, on se serait entretué, ici, c'est la patience exemplaire des tchèques qui semble triompher de la bêtise. Et je me mets à penser que ce pourrait être ainsi, qu'ils réussiront à vaincre les Russes.

PraguePrague

Hier, sur la même place, nous étions à la recherche des vendeurs de devises; aujourd'hui, nous trouvons l'armée russe, bien ancrée dans ce qui était une ville en route vers la liberté. Nous quittons le centre-ville en direction de la colline du château.

Nous traversons les barrages de tanks installés aux ponts et aux carrefours. Nous arrivons sur la place Pohotelec où nous stationnons le camping-car pour manger. Le Wavel est coupé. Impossible de passer. C'est là que les chefs d'état sont en état d'arrestation. Du haut de la colline, nous apercevons une fumée noire venant de la place Václavské námêstí, probablement du musée national. Il est 13 heures lorsque nous entreprenons la descente par Marianske Hradby. Nous rencontrons un défilé de tanks et de canons en direction du palais. Il faut littéralement faire du slalom à travers l'armée russe, pour passer. Ici, ça sent l'occupation. Nous retournons au centre-ville. Cette fois, nous laissons l'auto devant les bureaux de Cedox, près de la place de l'ancienne ville. Ici, c'est le calme plat. Nous entendons pour la première fois, venant de la direction du musée, des crépitements de mitraillettes; nous apercevons une fumée noire s'élevant au-dessus des toits. Il semble que la bataille soit engagée. Le coeur gros, nous nous dirigeons vers l'endroit. Avec la foule, nous nous approchons du lieu d'où viennent les tirs. Les ambulances sillonnent la place. Des femmes en déshabillés sont dirigées vers les hôtels adjacents.

PraguePrague

Derrière le musée national, face à l'édifice de la radio, un tank russe brûle, ses réserves de munitions sautent. Autour de nous, les maisons et le musée sont criblés de balles. Les vitres des appartements sont fracassées. Ici, il y a eu bagarre il y a peu de temps. Les jeunes, sur des camions bardés de drapeaux tricolores, continuent à manifester, en levant le poing et en scandant des slogans: "Go home", "Gestapo". Les tanks recommencent à circuler. Nous rebroussons chemin, puis, sur la rue du 28 juillet, la parade des blindés devient plus menaçante. Ils circulent maintenant à vive allure, écoutilles fermées. La foule est désemparée, elle se bouscule en direction des rues transversales qui sont rares le long de la place, ou dans les embrasures des portes, ou derrière les colonnades. Nous sommes, Marie et moi, surpris dans un pâté de maison alors que la cadence des tanks s'accentue dans notre direction. Nous nous blottissons derrière un pilastre. Un tankiste, passant près de nous, décharge sa mitraillette sur les fenêtres au-dessus de nos têtes. Maintenant, nous avons peur pour vrai. Ce n'est plus un jeu. Les Russes semblent devenir furieux, nerveux. Ils s'affolent. La foule aussi. Les caméras ne fonctionnent plus. La guerre touristique est terminée, il y aura bientôt de la casse. Nous décidons de partir en lançant au-dessus des têtes, cette parole en direction des tanks: "fascistes".

PraguePrague

Nous déplaçons notre auto dans le quartier Malà Strana. Il est 14 heures. Marie s'installe en file devant un magasin pour s'approvisionner en nourriture. Le magasin n'ouvre qu'à 15 heures. Déjà une centaine de personnes attendent en ligne. Il en est ainsi devant tous les magasins. Pendant ce temps, je saisis des instantanés des chars qui circulent à vive allure et des jeunes nationalistes qui les haranguent, le point levé. Les chars sont maculés d'inscriptions, de signes, écrits à la hâte par les assiégés. Les Zvarsikas prédominent. À l'Intersection Kirova et Holeckova, alors que nous quittons la ville en direction de Plzen, des chars soviétiques bien armés, entourent un autre char soviétique, celui là bien ancré sur un socle de granit, monument, il a servi à libérer ce même pays, d'Hitler et de ses nazis. Triste coïncidence que les libérateurs d'hier soient les fascistes d'aujourd'hui et que les fleurs lancées hier deviennent, aujourd'hui, des poings levés.

PraguePrague

Sur Plzenska, nous sommes à l'intérieur d'un convoi de blindés russes, en direction des points stratégiques. À la sortie de Prague, nous nous arrêtons à un poste à essence. On ne nous accorde que 10 litres d'essence. Je fais monter deux tchèques qui se rendent jusqu'à Plzen. L'un d'eux est journaliste, il est communiste depuis 30 ans. Nous discutons de la situation. Il paraît, lui aussi, atterré et définitivement opposé à cette intervention. Il nous assure de l'unité du peuple derrière ses dirigeants. Nous devons interpréter les réticences des gens âgés comme des appels à la jeunesse pour ne pas provoquer les Russes.

Prague

Ce journaliste nous parle des points chauds. Kocise où il y a eu 10 morts, les Russes faisant irruption au siège de la radio. Nous traversons Budejovice. Nous filons vers Plzen à une allure réduite, constamment dérangés par les convois stationnés sur la voie, ou faisant des manoeuvres de retournement. La chaussée est partout mutilée par les blindés. Dans les villes, partout, l'occupation est apparente. Les jeunes peignent la rue et les routes de slogans pro-Dubcek, quelquefois à quelques mètres seulement des tanks. Partout on nous salue. À la sortie de Plzen, un jeune homme nous arrête pour nous remettre une lettre destinée à des résidents des USA. Nous faisons monter 2 jeunes filles. Avant la frontière, nous nous approvisionnons à nouveau en essence, l'occupation est ici, également très apparente. Un blindé et une machine agricole sont en conflit à un carrefour. Le conducteur de la machine agricole semble engueuler le conducteur du tank lui disant peut-être que son travail est plus important que de faire la guerre. Un tchèque qui me précède à la pompe à essence me parle des événements. Il est atterré et me demande d'annoncer à l'extérieur ce qui se passe ici. Il revient d'un service militaire de 3 mois. Je lui raconte ce qui se passe à Prague et lui souhaite que le pays puisse s'en sortir. Un autre homme vient me parler. C'est toujours le même discours. Ils sont contre l'occupation, ils n'en démordent pas. Quoique socialistes, ils n'accepteront jamais cette atteinte flagrante à leur indépendance.

Prague


22 août, frontière allemagne
À la frontière, on nous attendait, les journalistes, massés sur la route, sont les premiers à nous recevoir. Nous faisons le récit des événements aux représentants d'UPI et de LIFE. Ce dernier accepte nos photos qui serviront peut-être à un document des événements dans LIFE magasine. Il est significatif que ces journalistes n'aient pas prévu l'événement et qu'ils n'aient pas été sur place, dans les rues de Prague. Je découvrirai plus tard, que les reporters de Paris Match étaient là, présents, et que leurs images, captées là où nous étions nous-mêmes, ont fait le tour du monde.

23 août, Munchen

24 août, Autriche

Marco Polo ou le voyage imaginaire (Voyages et photos de l'auteur, 1968) ©2001 Jean-Pierre Lapointe
Musique serbe empruntée aux archites du Web.

RETOUR AU CHOIX DES ITINÉRAIRES


RETOUR À MARCO POLO Page d'Accueil du Site Principal OU LE VOYAGE IMAGINAIRE


Hébergé par Geocities My Host

1