Beyrouth, le 20 janvier 1965.
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Beyrouth: La "coccinelle" qui atteint vaillamment les cèdres du Liban durant une tempête de neige. En bas, sur les plages de la méditerranée, les gens se baignent. Ici, la place des canons de Beyrouth. C'est là que se brassent les affaires. On échangera quelques dollars pour de l'argent égyptien. Tout y est permis: la contrebande, le marché noir, le commerce licite et illicite, un comptoir méditerranéen qui fourmille d'affairistes depuis le temps des Phéniciens.
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Nous laissons avec regret la "coccinelle" dans un garage souterrain du centre
de Beyrouth.
Sur le paquebot Algazayer, appareillant de Beyrouth vers Alexandrie le 22
janvier 1964
Le premier jour sur le pont du navire sera froid. Nous n'avions pas
prévu cela lors de notre embarquement à Beyrouth avec des billets de "classe
pont". Les haut-parleurs diffusent de façon inlassable les chansons d'Oum
Kalsum. Nous ne nous en plaignons pas, la connaissant et aimant cette voix
exotique. Nos amis anglo-saxons s'en plaignent, trop absorbés qu'ils sont dans leur
nombrilisme, ils traversent les pays en s'étonnant qu'ils soient différents du leur.
Pauvres ignares qui voudraient imposer leur culture à la planète.
Nous avons notre première rencontre avec le capitaine du navire. Nous sommes
mis en contact avec lui de façon indirecte, ayant profité d'un dîner dont nos
billets ne nous donnaient pas droit. Le capitaine se montre gentil et
compréhensif et il nous offre à boire. Je me sens gêné de cette prodigalité. Les
Canadiennes qui sont sur le même bateau profitent de tout sans vergogne,
habituées qu'elles sont à recevoir et à ne jamais rien donner. Le capitaine
nous assigne des cabines alors que nous n'y avons pas droit.
Désormais, on nous servira les repas. Le barbier, dénommé "Passe-partout", se
met de la partie et il fait, lui aussi, le grand seigneur autour de nous. Nous sommes
comblés d'attention. Il me trouve "correct" et à son goût, il me choisit comme
intermédiaire ou serait-ce parce que je transpire la naïveté. Il me refile en catimini,
cigarettes américaines, whisky, vêtements, autant que je voudrai en prendre.
Il me dira:
"Tu sais, c'est pour le capitaine que tu fais cela, lui ne peut pas, il est surveillé.
Tu passes ce que tu voudras. On ne fouille pas les touristes."
Le capitaine semble gêné. Il me confirme ces faits, mais il ne veut pas que je
mentionne son nom. Quelle Égypte!
Je ne peux prendre de décision. Je veux d'abord en parler aux autres. Je suis
un peu dégoûté par la situation. Je transmet l'information aux autres et je leur dis
d'en faire ce qu'ils voudront. Moi je ne m'en mêle pas. Les salauds, ils nous
comblaient, c'était pour ça. Sale mentalité! Je commence déjà à douter de
l'Égypte, comme entrée en matière, ça me fait peur.
L'algérien du groupe prend le whisky, des cigarettes et des vêtements. Marie,
naïve, veut tout prendre. Je prends finalement des cigarettes. Ça ira. Après tout,
on nous loge et on nous nourrit. Si on se fait piquer, on balance le tout à la
flotte.
Port d'Alexandrie le 22 janvier
À l'arrivée, on nous avait à l'oeil. Nous nous retrouvons chez le capitaine. Un
douanier du port nous fera passer plus vite, c'est l'ami du capitaine et nous
sommes pressés d'aller dormir, il fait déjà nuit. L'officier des douanes remet un
vêtement à Marie "sous vos bras" dira-t-il. C'est à vous. Puis c'est mon tour. Un
"truc de cuir noir" tristement laid, cela ne pourrait être ma propriété, je n'ai pas
ce goût douteux. Je refuse. Je ne me mêle pas aux histoires. Il insiste.
"Pas de difficultés je travaille pour vous" dit-il.
Nous passons. "Les papiers", ça se règle rapidement. Aucune inspection.
Autour de nous, les Égyptiens, les Libanais se font plumer. Partout, on les
scrute. On les déculotte. On cherche le fric jusque sous leurs parties intimes.
Nous.... rien. C'est vache. Et pour un jour, je suis du côté des salauds. Je
m'écoeure. J'ai envie d'ouvrir mes malles et de leur montrer les 36 livres
égyptiennes achetées au marché noir de la place des canons à Beyrouth et que je passe en fraude. Je veux me déculotter, parce que je m'écoeure.
Rien ... je suis un peu plus salaud, je n'en fais rien. Nous passons au hall, un
arrêt prolongé. Nous repartons, nous sommes sept en tout. Nous prenons nos
valises. Il en reste une sur le parquet, seule au milieu du hall déserté, comme
une orpheline. Quelqu'un à oublié? Non, elle n'est à personne. C'est une
intruse, venue de nulle part. Il faut qu'elle appartienne à quelqu'un. Les
douaniers nous courent après. Notre ami officier nous supplie de la prendre. Les
douaniers attendent le dénouement. Marie se décide à la prendre et avec le
fou-rire elle dit: "la valise est à moi". Nous comprenons bien la comédie, cette
valise devait passer quel qu'en soit le contenu, elle passera. Tout le monde le
savait même ceux qui devaient arrêter les fraudeurs potentiels. C'était une
immense comédie. Maintenant tout est en règle.
Belle Égypte. J'élève la voix de dépit. Je me sens tous les culots, maintenant
que je perçois cette comédie. Mes paroles dépassent un peu ma pensée quand
je divague sur cette arrivée burlesque, le pays, l'Égypte alors que j'en ai tant
rêvé.
Un homme bronzé nous court après, dans le taxi. Nous le semons. Nous roulons à
vive allure dans Alexandrie déjà endormie. Une voiture nous suit de trop près. C'est un vrai
roman policier. Puis l'on s'immobilise, la voiture de derrière aussi. Quatre
hommes en sortent, nerveux et menaçants. Notre douanier est du groupe, "la
marchandise" dit-il. Il n'est plus aussi gentil. Il rugit. Je passe ma marchandise.
Je garde un objet, comme paiement dis-je. Il s'affole, Marie me supplie de le lui
remettre et j'acquiesce. Adieu. Nous repartons.
À l'auberge, le bronzé surgit. C'est pour les cigarettes, le whisky et les
vêtements. Nous lui passons la marchandise. Il a sur lui une liste précise de la
marchandise. Les "salauds", ils avaient tout sur une liste, et nous n'en retirerons
qu'une cartouche d'Américaines. Le patron de l'auberge veut des Américaines,
lui aussi. Non! Il en meurt. Non! Il veut trois paquets. Non! Il insiste durant tout
notre séjour, ces maudites Américaines qui ne sont pas meilleures que les
Égyptiennes et plus coûteuses. L'Amérique réussira donc toujours à aliéner les
populations avec les déchets de sa culture.
Alexandrie, 23 janvier.
Visite d'Alexandrie. Nous prenons des photos en catimini. On nous a averti qu'il
est défendu de le faire, héritage stupide des dictatures des pays de l'Est. Les
gens nous regardent, pourquoi pas!
Nous passons devant l'Université. Il y a des jeunes filles au balcon, fort
appétissantes et enjouées. Nous faisons ce qu'il est d'usage de faire en Occident, avec les filles. Puis
nous rencontrons des étudiants mâles. Ils nous amènent à l'Université. Nous revoyons
les mêmes jeunes filles. Elles sont plus discrètes en présence des garçons. Nous
sommes le clou de la parade. On nous submerge de partout. Adresses,
questions, mariés? Voyages! Religion, religion, religion? De qu'elle religion,
vous êtes? Mois je suis chrétien. Ah! oui. Mais qu'elle différence. Pour eux oui, il
semble y avoir une différence. La religion! Nous apprendrons qu'elle a une
importance énorme. En d'autres lieux, ce sera la couleur de la peau. Ici, c'est la
religion. Faut-il être musulman, nous ne le savons pas encore. Nous avons
peine à nous débarrasser de ces jeunes devenus encombrants. Ils sont jeunes
et sectaires déjà. Les filles accessibles plus tôt, s'effacent maintenant devant
la prédominance mâle, pour mon grand malheur.
Israël, ils n'aiment pas Israël. Nasser, c'est un Dieu vivant. L'Égypte, c'est le
paradis. La religion, c'est très important. C'est ce dont ils parlent constamment.
Pauvres naïfs, nous les quittons dans leurs certitudes sans les contredire, nous
entretenons d'ailleurs les nôtres pas plus édifiantes d'ailleurs.
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Voici un extrait de mon journal de bord. On peut y voir des croquis illustrant certains éléments de la vie quotidienne et des textes manuscrits décrivant les péripéties du voyage. Ici, un instrument de musique à corde typique du pays nubien, que je voudrais rapporter dans mon pays. Il produit des notes imprécises et douces, des sons mystérieux. |
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Voici d'autres extraits de mon journal de bord. Ici, l'alphabet arabe tel que rédigé par un ami. Là, les nombres arabes dont on peut voir la grande similitude avec les chiffres romains dont ils sont issus. |
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Voyages et photos de l'auteur, 1969) © 2001 Jean-Pierre Lapointe
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