Chroniques d'un voyage en Égypte

Egypte, la vallée du Nil Avertissement: Ce n'est qu'après huit mois de route que je décide de rédiger cette chronique. L'idée m'en est venue, ou devrais-je dire la liberté, sur le bateau en route pour l'Égypte. J'avais les mains enfin libres. Plus d'auto, cet instrument diabolique qui m'aura enlevé mes moyens littéraires. Je n'aurai guère écrit, dessiné, chanté, joué durant ces mois, concentré sur le volant, absorbé à éviter les récifs des routes du monde. Me voilà libéré pour quelque temps, pour ce voyage d'Égypte, et j'espère, pour la fin du voyage, garder les mains libres, le temps qu'il faudra, pour la rédaction quotidienne de ces chroniques.

Je ne veux pas en faire un essai littéraire, mais plutôt un mémorandum, que je pourrai consulter plus tard. J'ai l'impression d'avoir perdu mes capacités intellectuelles et ma facilité à l'écriture. Je pense plus vite et ma main ne peut suivre ma pensée et je ne voudrais pas perdre celle-ci de sorte que j'écris sans me réviser en oubliant l'aspect littéraire du texte, pour le moment du moins. Ce journal est donc conçu comme un réservoir d'impressions qui pourra me servir le jour où j'en aurai besoin.



(pour profiter au maximum du voyage, attendez patiemment l'éclosion des images et de la trame musicale)


Beyrouth, le 20 janvier 1965.
Liban, les cèdres.Beyrouth, la place des canons. Beyrouth: La "coccinelle" qui atteint vaillamment les cèdres du Liban durant une tempête de neige. En bas, sur les plages de la méditerranée, les gens se baignent. Ici, la place des canons de Beyrouth. C'est là que se brassent les affaires. On échangera quelques dollars pour de l'argent égyptien. Tout y est permis: la contrebande, le marché noir, le commerce licite et illicite, un comptoir méditerranéen qui fourmille d'affairistes depuis le temps des Phéniciens.

Nous laissons avec regret la "coccinelle" dans un garage souterrain du centre de Beyrouth.

Sur le paquebot Algazayer, appareillant de Beyrouth vers Alexandrie le 22 janvier 1964
Le premier jour sur le pont du navire sera froid. Nous n'avions pas prévu cela lors de notre embarquement à Beyrouth avec des billets de "classe pont". Les haut-parleurs diffusent de façon inlassable les chansons d'Oum Kalsum. Nous ne nous en plaignons pas, la connaissant et aimant cette voix exotique. Nos amis anglo-saxons s'en plaignent, trop absorbés qu'ils sont dans leur nombrilisme, ils traversent les pays en s'étonnant qu'ils soient différents du leur. Pauvres ignares qui voudraient imposer leur culture à la planète.

Nous avons notre première rencontre avec le capitaine du navire. Nous sommes mis en contact avec lui de façon indirecte, ayant profité d'un dîner dont nos billets ne nous donnaient pas droit. Le capitaine se montre gentil et compréhensif et il nous offre à boire. Je me sens gêné de cette prodigalité. Les Canadiennes qui sont sur le même bateau profitent de tout sans vergogne, habituées qu'elles sont à recevoir et à ne jamais rien donner. Le capitaine nous assigne des cabines alors que nous n'y avons pas droit.

Désormais, on nous servira les repas. Le barbier, dénommé "Passe-partout", se met de la partie et il fait, lui aussi, le grand seigneur autour de nous. Nous sommes comblés d'attention. Il me trouve "correct" et à son goût, il me choisit comme intermédiaire ou serait-ce parce que je transpire la naïveté. Il me refile en catimini, cigarettes américaines, whisky, vêtements, autant que je voudrai en prendre.

Il me dira: "Tu sais, c'est pour le capitaine que tu fais cela, lui ne peut pas, il est surveillé. Tu passes ce que tu voudras. On ne fouille pas les touristes."

Le capitaine semble gêné. Il me confirme ces faits, mais il ne veut pas que je mentionne son nom. Quelle Égypte!

Je ne peux prendre de décision. Je veux d'abord en parler aux autres. Je suis un peu dégoûté par la situation. Je transmet l'information aux autres et je leur dis d'en faire ce qu'ils voudront. Moi je ne m'en mêle pas. Les salauds, ils nous comblaient, c'était pour ça. Sale mentalité! Je commence déjà à douter de l'Égypte, comme entrée en matière, ça me fait peur.

L'algérien du groupe prend le whisky, des cigarettes et des vêtements. Marie, naïve, veut tout prendre. Je prends finalement des cigarettes. Ça ira. Après tout, on nous loge et on nous nourrit. Si on se fait piquer, on balance le tout à la flotte.

Port d'Alexandrie le 22 janvier
Alexandrie

À l'arrivée, on nous avait à l'oeil. Nous nous retrouvons chez le capitaine. Un douanier du port nous fera passer plus vite, c'est l'ami du capitaine et nous sommes pressés d'aller dormir, il fait déjà nuit. L'officier des douanes remet un vêtement à Marie "sous vos bras" dira-t-il. C'est à vous. Puis c'est mon tour. Un "truc de cuir noir" tristement laid, cela ne pourrait être ma propriété, je n'ai pas ce goût douteux. Je refuse. Je ne me mêle pas aux histoires. Il insiste.

"Pas de difficultés je travaille pour vous" dit-il.

Nous passons. "Les papiers", ça se règle rapidement. Aucune inspection. Autour de nous, les Égyptiens, les Libanais se font plumer. Partout, on les scrute. On les déculotte. On cherche le fric jusque sous leurs parties intimes. Nous.... rien. C'est vache. Et pour un jour, je suis du côté des salauds. Je m'écoeure. J'ai envie d'ouvrir mes malles et de leur montrer les 36 livres égyptiennes achetées au marché noir de la place des canons à Beyrouth et que je passe en fraude. Je veux me déculotter, parce que je m'écoeure.

Rien ... je suis un peu plus salaud, je n'en fais rien. Nous passons au hall, un arrêt prolongé. Nous repartons, nous sommes sept en tout. Nous prenons nos valises. Il en reste une sur le parquet, seule au milieu du hall déserté, comme une orpheline. Quelqu'un à oublié? Non, elle n'est à personne. C'est une intruse, venue de nulle part. Il faut qu'elle appartienne à quelqu'un. Les douaniers nous courent après. Notre ami officier nous supplie de la prendre. Les douaniers attendent le dénouement. Marie se décide à la prendre et avec le fou-rire elle dit: "la valise est à moi". Nous comprenons bien la comédie, cette valise devait passer quel qu'en soit le contenu, elle passera. Tout le monde le savait même ceux qui devaient arrêter les fraudeurs potentiels. C'était une immense comédie. Maintenant tout est en règle.

Belle Égypte. J'élève la voix de dépit. Je me sens tous les culots, maintenant que je perçois cette comédie. Mes paroles dépassent un peu ma pensée quand je divague sur cette arrivée burlesque, le pays, l'Égypte alors que j'en ai tant rêvé.

Un homme bronzé nous court après, dans le taxi. Nous le semons. Nous roulons à vive allure dans Alexandrie déjà endormie. Une voiture nous suit de trop près. C'est un vrai roman policier. Puis l'on s'immobilise, la voiture de derrière aussi. Quatre hommes en sortent, nerveux et menaçants. Notre douanier est du groupe, "la marchandise" dit-il. Il n'est plus aussi gentil. Il rugit. Je passe ma marchandise. Je garde un objet, comme paiement dis-je. Il s'affole, Marie me supplie de le lui remettre et j'acquiesce. Adieu. Nous repartons.

À l'auberge, le bronzé surgit. C'est pour les cigarettes, le whisky et les vêtements. Nous lui passons la marchandise. Il a sur lui une liste précise de la marchandise. Les "salauds", ils avaient tout sur une liste, et nous n'en retirerons qu'une cartouche d'Américaines. Le patron de l'auberge veut des Américaines, lui aussi. Non! Il en meurt. Non! Il veut trois paquets. Non! Il insiste durant tout notre séjour, ces maudites Américaines qui ne sont pas meilleures que les Égyptiennes et plus coûteuses. L'Amérique réussira donc toujours à aliéner les populations avec les déchets de sa culture.

Alexandrie, 23 janvier.
Visite d'Alexandrie. Nous prenons des photos en catimini. On nous a averti qu'il est défendu de le faire, héritage stupide des dictatures des pays de l'Est. Les gens nous regardent, pourquoi pas! Nous passons devant l'Université. Il y a des jeunes filles au balcon, fort appétissantes et enjouées. Nous faisons ce qu'il est d'usage de faire en Occident, avec les filles. Puis nous rencontrons des étudiants mâles. Ils nous amènent à l'Université. Nous revoyons les mêmes jeunes filles. Elles sont plus discrètes en présence des garçons. Nous sommes le clou de la parade. On nous submerge de partout. Adresses, questions, mariés? Voyages! Religion, religion, religion? De qu'elle religion, vous êtes? Mois je suis chrétien. Ah! oui. Mais qu'elle différence. Pour eux oui, il semble y avoir une différence. La religion! Nous apprendrons qu'elle a une importance énorme. En d'autres lieux, ce sera la couleur de la peau. Ici, c'est la religion. Faut-il être musulman, nous ne le savons pas encore. Nous avons peine à nous débarrasser de ces jeunes devenus encombrants. Ils sont jeunes et sectaires déjà. Les filles accessibles plus tôt, s'effacent maintenant devant la prédominance mâle, pour mon grand malheur.

Israël, ils n'aiment pas Israël. Nasser, c'est un Dieu vivant. L'Égypte, c'est le paradis. La religion, c'est très important. C'est ce dont ils parlent constamment. Pauvres naïfs, nous les quittons dans leurs certitudes sans les contredire, nous entretenons d'ailleurs les nôtres pas plus édifiantes d'ailleurs.

extrait journal de bord Voici un extrait de mon journal de bord. On peut y voir des croquis illustrant certains éléments de la vie quotidienne et des textes manuscrits décrivant les péripéties du voyage. Ici, un instrument de musique à corde typique du pays nubien, que je voudrais rapporter dans mon pays. Il produit des notes imprécises et douces, des sons mystérieux.

ExtraitsJournal de bord Voici d'autres extraits de mon journal de bord. Ici, l'alphabet arabe tel que rédigé par un ami. Là, les nombres arabes dont on peut voir la grande similitude avec les chiffres romains dont ils sont issus.

Marco Polo ou le voyage imaginaire (Voyages et photos de l'auteur, 1969) © 2001 Jean-Pierre Lapointe


SUITE DU VOYAGE EN ÉGYPTE


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