Chroniques d'un voyage en Égypte (suite)
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Avertissement: Ce n'est qu'après huit mois de route que je décide de rédiger cette chronique.
L'idée m'en est venue, ou devrais-je dire la liberté, sur le bateau en route pour
l'Égypte. J'avais les mains enfin libres. Plus d'auto, cet instrument diabolique qui
m'aura enlevé mes moyens littéraires. Je n'aurai guère écrit, dessiné, chanté, joué durant ces mois, concentré sur le volant, absorbé à éviter les récifs
des routes du monde. Me voilà libéré pour quelque temps, pour ce voyage
d'Égypte, et j'espère, pour la fin du voyage, garder les mains libres, le temps
qu'il faudra, pour la rédaction quotidienne de ces chroniques.
Je ne veux pas en faire un essai littéraire, mais plutôt un mémorandum, que je
pourrai consulter plus tard. J'ai l'impression d'avoir perdu mes capacités
intellectuelles et ma facilité à l'écriture. Je pense plus vite et ma main ne peut
suivre ma pensée et je ne voudrais pas perdre celle-ci de sorte que j'écris sans
me réviser en oubliant l'aspect littéraire du texte, pour le moment du moins. Ce
journal est donc conçu comme un réservoir d'impressions qui pourra me servir le
jour où j'en aurai besoin. |
Le Caire, le 24 janvier.
Départ d'Alexandrie pour Le Caire par le route du delta, paysage d'eau et de plantations. Première vision lointaine des pyramides. Comme toujours, elles nous semblent plus petites que
prévues. Le Caire, ville populeuse, ville poussiéreuse, ville de pyjamas, le
costume national des égyptiens.
Nous faisons notre entrée à l'auberge de Jeunesse du Caire. Le premier contact
est froid avec le Père aubergiste, dénommé Adam. Il est sec et comme
embarrassé par les nouveaux arrivants qu'il ne connaît pas encore. Nous lui causons
des soucis, nous le dérangeons dans ses habitudes. L'auberge est remplie, il
faudra coucher par terre. Ce ne sera que plus tard, après des heures et des
heures de palabres qu'il nous offrira des lits dans la "salle de réserve de
l'administration", où nous pourrons passer la nuit. Adam se détend lentement.
Dans la journée, il nous sourira. Puis il nous dira bonjour, bonsoir. Il parait qu'il
faut d'abord être de la famille pour mériter ses bonnes grâces. Tous les
européens doivent d'abord briser le mur de son humeur. Il fait d'ailleurs payer
ses bonnes grâces en subtilisant des chèques de voyages aux voyageurs trop
naïfs qui les confient à son coffret du sûreté. Charles qui est chassé par
l'aubergiste pour insubordination, ira dormir dans le dortoir des filles en passant
par une fenêtre. Il passera la nuit le chanceux, sous l'agréable protection de
celles-ci.
Le Caire, le 24 janvier.
Départ en direction de la pyramide de Sakkara à dos de chameaux et par voie
du désert. Nous avons rendez-vous à huit heures trente avec Ismaël
Mohammed, contractuel en chameaux . Après de multiples difficultés, avoir payé
5 livres le prix du voyage (une de plus que négocié), et résisté à toutes ses
ruses, nous nous embarquons finalement. Le voyage devait coûter une livre par
tête, il nous aura coûté 7,25 livres, l'entrepreneur prétendant qu'il n'a pas la
monnaie.
Notre intention était de faire le trajet par le désert mais après une heure de
trajet, nous sommes toujours dans les villages, longeant le désert. Nous nous
arrêtons. Il faut régler certaines choses avec le patron. Nous sommes 7 en tout,
2 américains Bill et Charles, 2 finlandais Simn et Jacques, Line, Marie et moi. Il
y a autant de guides et les 7 chameaux. Je discute avec les arabes pour limiter
à un le nombre de guides. Ils refusent, et finalement nous nous entendons sur 3
Nous les avertissons qu'il n'y aura pas de déboursés supplémentaires, les
arrangements étant déjà faits avec Ismaël, que nous prendrons la route du
désert et non les chemins à travers les villages en bordure du Caire, comme font
tous les touristes et comme il se peut être fait à pied où en auto. Je quitte mon
chameau pour terminer le trajet sur mes pieds. Le coulis du chameau m'est
insupportable. Il fait plus chaud dans le désert. Après 4 heures de route, nous
sommes à la pyramide de Sakkara située à 15 kilomètres de Gizeh. Un
restaurant, 200 touristes et 4 autocars nous attendent là-bas. Les touristes sont
attablés, boivent du Coca-Cola, achètent des cartes postales. Dès qu'ils nous
aperçoivent, ils se précipitent sur nos chameaux pour se faire photographier la
binette. Il y a prise de bec entre les arabes du site et nos chameliers. Les
premiers utilisant nos chameaux pour photographier les touristes et en soutirer
ainsi de l'argent ce qui ne plaît pas à nos chameliers.
Nous visitons la pyramide. Nous escaladons les clôtures plutôt que d'utiliser
l'entrée, un garde veut les billets que nous n'avons pas et qu'il est impossible de
se procurer sur place. Il argumente sauvagement. Des touristes nous filent leurs
propres billets que nous présentons à l'arabe. Il est heureux, exhalté, mille
saluts, bonjour. Un guide portant un fusil à pigeons nous amène à l'intérieur de
la pyramide et ouvre un tombeau. Inscriptions, dessins, sculptures colorées
magnifiques. A la sortie il m'accoste, il veut de l'argent. Pas question. Nous
avons les billets. Il me menace et charge son fusil, je me tourne vers Marie et
éclate de rire. Il est ainsi désarmé. Nous nous disons au revoir. Nous visitons
les tombeaux des rois dans les caves sombres de la pyramide. Nous croisons
un père américain et son jeune fils, des touristes typiques qui distribuent les
pourboires à tout vent. Nous épiloguons sur cette contamination
touristique et les effets néfastes qu'elle a sur les "bums internationaux"
que nous sommes.
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Le retour dans le désert se fait...à pied et dans l'obscurité. Les guides ne
cessent de nous importuner, cigarette, argent, pourboires, j'en ai marre. Je les
engueule en français. A l'arrivée, il n'y a pas de discussion orageuse comme
prévu. Un égyptien s'est improvisé gardien de la voiture du finlandais. Il veut
être payé. Pas question.
Le musée archéologique du Caire, le 27 janvier.
Visite du musée archéologique. Indescriptibles les émotions que je ressens
devant la beauté de ces oeuvres anonymes. Promenades dans les rues du
Caire. Je constate avec étonnement la profusion d'affiches en français et je
compare avec Montréal, ma propre ville à majorité française et qui affiche en
anglais, j'en fais la remarque à mes compagnons de route qui ne semblent pas
saisir mes interrogations. Le Caire n'a rien de français sinon quelques familles
chrétiennes qui essaient tant bien que mal de passer inaperçues.
Gizeh le 29 janvier.
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Retour aux pyramides ou nous rencontrons à nouveau Ismaël Mohamed qui
nous remet la monnaie de l'expédition de Sakkara. Il nous attendait depuis deux
jours. Nous sommes impressionnés devant le respect qu'il a envers l'entente
verbale qui nous liait alors qu'il mettait tellement de vigueur et d'âpreté à
négocier cette entente. Nous regrettons un peu nos rapides jugements de
valeur d'occidentaux mal-appris (et c'est bien de cela qu'il s'agit).
Visite de la pyramide de Gizèh. Nous pénétrons à l'intérieur de celle-ci jusqu'au tombeau du pharaon tout en découvrant l'histoire incroyable des voleurs qui ont su se rendre jusqu'ici en évitant tous les pièges.
J'escalade la pyramide sans Marie, par l'angle nord-est. Le tracé est nettement gravé dans la pierre ainsi foulée depuis de siècles par des visiteurs venus du monde entier. L'escalade est à nos propres risques et périls. Au sommet, des inscriptions gravées depuis des siècles, par des "minus habens" incultes qui tentent de compétitionner avec les architectes de l'ancienne égypte.
Nous rendons visite à l'ambassade du Canada en Égypte. Ce n'est pas la
première ambassade canadienne que nous visitons à l'étranger. A chaque fois,
nous nous reposons la question à savoir si cette institution est bien
représentative du pays de nos pères. Au Caire, c'est une jeune secrétaire qui
me reçoit et qui refuse totalement d'utiliser ma langue, c'est aussi une jeune
secrétaire qui tape le document dont j'ai besoin, et qui le tape en sa langue (et
non dans la langue du client), et c'est à un haut commissaire de langue
française, que je dois cet accroc à l'essence même de mon pays, comme si cette
définition n'existait là-bas que pour noyer les rêves nationalistes d'une poignée
de concitoyens d'un autre âge.
J'avais eu le même problème à Beyrouth ville d'expression française et à
l'ambassade d'Athènes tenue alors par son Excellence Antonio Barrette.
Partout, la langue du pays n'est plus l'une des langues officielle du pays, ni celle
de l'ambassadeur mais celle des secrétaires, des réceptionnistes importées ou
locales mais dont le cerveau a d'abord été imprégné du racisme anglo-canadien véhiculé par les fonctionnaires permanents de ces
représentations soi-disant officielles.
A l'ambassade, nous faisons la rencontre de Liliane Saddich, désirant émigrer à Montréal et qui est
d'expression française.
Marco Polo ou le voyage imaginaire (Voyages et photos de l'auteur, 1969) © 2001 Jean-Pierre Lapointe
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