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Les femmes, la mode et l'occupation francaise

Extraits de "Chez les Hova", Jean CAROL


" Depuis notre occupation , en effet, une rage de toilette s’est dechainee, pour le grand benefice des Indiens qui detiennent tout le commerce de luxe. A l’eglise, chez les Peres, les jours de fete carillonnee, ce sont de vrais matchs d’elegance. La messe sert au moins a ca. Aux dernieres Paques, trois femmes y sont venues decolletees. (…) En verite, en verite, je vous le dis, le decolletage malgache est un signe des temps, et si j’appartenais a la Mission, je demissionnerais bien vite. "

| Sur la chevelure | La Venus de Bronze |
Sur les matins a Tananarive | Sur la toilette et l'occupation francaise | Sur une fete de Gallieni

Sur la chevelure :
"Ordinairement, la tete reste nue, paree des seuls cheveux noirs que partage la raie mediane entre deux bandeaux. Reunis  par derriere, ils pendent sur l’echine en une seule natte souvent opulente, dont l’extremite s’ebouriffe assez joliment en maniere de petit balai. Un bon point a ces dames : elles s’indignent encore a l’idee de cheveux postiches et  si elles aiment les frisettes, c’est a la condition que celles-ci soient naturelles. De temps en temps, pour onduler leur chevelure plate, elles la soumettent au faconnage d’innombrables petites tresses, qui font office de bigoudis. Les vieilles ou, parmi les jeunes, celles qui tiennent a garder la veritable coiffure nationale se confient aux mains d’une esclave qui sait faire avec leur toison une resille a mille boucles, petit chef d’oeuvre de patience. Et comme le cheveu houve manque de souplesse, il se consomme en Imerne beaucoup d’huile de Macassar.
Ces Malaises soupconnent-elles qu’elles ont avec l’huile de Macassar une commune origine?"

La Venus de bronze :
"Decapitee, la femme de pur sang houve realise souvent la perfection de formes definie par notre esthetique. On rencontre en Imerne de vivantes statues de bronze, qui feraient prime dans nos ateliers de sculpteurs comme modeles pour le detail et pour l’ensemble. Les plus beaux bustes du monde sont peut-etre a Madagascar. Nous sommes sur ce point d’accord avec les Malgaches. Au sujet des traits du visage, nous differons d’avis. Un nez epate, une bouche lippue, un front plat, sont ici des choses tres estimees. Une certaine masculinite plait egalement dans la physionomie de la femme. Ce caractere a valu la situation de professional-beauty a l’une des innombrables nieces ou petites-nieces de Rainilaiarivoune. Comme Paris, comme toutes les villes de France , Tananarive a sa belle Mme X…
Les femmes houves etant incapables de faire un pas plus vite que l’autre (le plus grand danger les menacat-il), j’ignore si elles sont physiquement aussi peu aptes a courir que nos blanches; mais elles ont le port, la demarche d’une elegance irreprochable. Le dimanche, a la sortie des offices, on a la vision de ces theories de silhouettes drapees qui se deroulent au flanc des vases grecs.(…)
Quant a la couleur de la peau, le melange des sangs produit une infinite de nuances. Le cheveu seul, reste noir d’encre, sans exception. Mais on rencontre des femmes houves n’ayant pas le teint plus fonce que certaines de nos Meridionales. J’en ai vu de beaucoup plus blanches que les Creoles (…) Il n’est pas rare de trouver, dans la meme famille, des differences tres marquees sous le rapport de la couleur. Tous les bronzes peuvent etre freres, toutes les patines peuvent etre soeurs. Ce chocolat et ce café au lait sont la mere et la fille. Le grain de la peau s’affine en raison directe de l’eclaircissement du teint. Les velours de soie sont humilies par la joue d’une Houve claire. De meme l’arome special aux races noires correspond en intensite, au degre de pigment. A ce propos, encore une difference l’indigene et nous : il aime beaucoup sa propre odeur et trouve que nous sentons le cadavre. Qui a raison?"

Sur les matins a Tananarive :
"L’un des tableaux les plus suggestifs de la vie a Tananarive se presente le matin, au lever du soleil. Les rues en pente sont sillonnees de jeunes coureuses qui sveltes, le pied sur, coiffees a la hate, le lamba serre jusqu’aux yeux, regagnent le logis familial. En se croisant, elles echangent des sourires, ou plutot des coups d’oeil, s’interpellent, se donnent des rendez-vous pour la journee, soit a l’eglise, soit chez leurs parents, ou bien encore a la prairie de Mahamasina, qui est un lieu de promenade. La elles se retrouveront, pour chemier en devisant par groupes de deux ou trois, fieres, serieuses avec de temps a autre , une fusee de rire qui  jaillit de leurs belles dents. Elles auront arbore la robe d’etoffe claire dont la queue arrondie ajoute une grace a leur marche trainante, endosse le dernier lamba  de soie legere ou de satinette que le marchand indien de la rue d’Andzouma ler a vendu. Elles tiendront leur bras droit releve, la main seule hors de la draperie, tous les doigts replies sauf l’auriculaire, qui se dresse, l’autre bras se moulant sous les plis nombreux du tissu. Et elles se seront enveloppees avec tant d’art dans ce vetement simple, elles auront si bien colle ces mille plis a leurs formes naturellement elegantes qu’on croira voir un defile de vivantes Tanagriennes.
Certes pour la grace, le lamba vaut bien le peplos, surtout avec la facon dont les femmes houves savent le porter, et ce serait un malheur artistique si jamais elles s’avisaient de renoncer a cet element essentiel du costume national. Le jour ou elles lui substitueraient la confection europeenne, c’est que leur gout serait devenu aussi deprave que leurs moeurs."

Sur l'occupation francaise et la toilette :
"Une question feminine a Madagascar? Mais oui, comme chez nous. Seulement elle est d’une autre nature. Il ne s’agit pas d’accorder a la femme houve de nouvelles libertes : il s’agirait plutot de ne pas abuser de celles qu’elle a. (…) Les indigenes disent – pas bien haut – que les filles de Tananarive etaient legeres, mais que les Francais ont acheve de les debaucher. Depuis notre occupation , en effet, une rage de toilette s’est dechainee, pour le grand benefice des Indiens qui detiennent tout le commerce de luxe. A l’eglise, chez les Peres, les jours de fete carillonnee, ce sont de vrais matchs d’elegance. La messe sert au moins a ca. Aux dernieres Paques, trois femmes y sont venues decolletees. (…) En verite, en verite, je vous le dis, le decolletage malgache est un signe des temps, et si j’appartenais a la Mission, je demissionnerais bien vite. (…)
Il est facheux que l’habit soit un criterium insuffisant pour juger du moine : autrement, nous pourrions considerer comme deja resolu le probleme de la totale assimilation des Houves. (…) En moins d’un an, il s’est produit une metamorphose inouie. D’abord, les fameux uniformes dont les dignitaires malgaches avaient coutume de s’affubler ont ete abolis par un general ennemi de la pompe exotique. Il en est resulte, du cote des hommes, une initiation prompte au port du frac. M. le gouverneur general de l’Imerne, Rasanjy,…, est devenu un pur modele de correction selon l’esthetique tailor for gentlemen, et porte avec l’aisance d’un cercleux son habit noir, maintenant orne d’un ruban rouge. (…)
Un journal de langue indigene soucieux d’avoir des lecteurs soigne la rubrique : Lamaody vaovao, la mode nouvelle. Bientot, j’en ai peur pour ces dames elles obeiront aveuglement a tous les caprices de la grande Fee.
Encore fideles au lamba, dont elles comprennent la grace, les femmes houves introduisent deja dans la robe d’inquietantes modifications. La robe nationale, tres ajustee, moulant le corps, comporte pour seuls ornements quelques broderies ou dentelles au col et aux poignets. Elle est tout entiere taillee dans la longueur de l’etoffe et rappelle la robe classique de Beatrix, moins la fente sur le cote. "

Sur une fete donnee par le General Gallieni:
"Le jour de la Mi-Careme, j’assistai a une fete donnee par le General Gallieni dans l’hotel de la Residence. On joua une piece de theatre, un a-propos ou les auteurs, deux officiers, avaient mis un esprit du diable. Toutefois le clou de la soiree fut un ballet danse par douze jeunes femmes houves, habillees et coiffees a l’europeenne. Presque toutes jolies, notamment celle qui est bien connue a Tananarive sous le nom de la “Belle Esther”. Les metteurs en scene avaient eu la bonne pense de regler ce ballet sur les donnees fondamentales de la danse malgache : des figures de marche, tantot par rangs, tantot par files, accompagnees de chants que les chanteuses rythmaient avec des battements de main. Faisant le moins possible de mouvements, raide, mais gracieuses dans leur raideur, elles me rappelerent le style de leurs soeurs oceaniennes, les danseuse javanaises de la derniere Exposition. Je fus abasourdi de l’elegance avec laquelle elles portaient les robes de bal que, tres galamment, le General leur avait payees. Et ce que je ne saurais exprimer, c’est le charme qui resultait de l’opposition du caractere de leur danse avec celui de leur toilette. Les officiers les plus implacables pour la race inferieure durent convenir que le spectacle avait du “montant”."

 

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