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sens, sensations dans le bouddhisme

question 8




Est-ce que la production conditionnée implique une coupure totale de tout contact et de toute sensation ? ("Ça serait pénible !", ajoutez vous).
Réponse :

Tout d'abord, je voudrais vous dire que je ne vois pas comment vous pouvez faire la corrélation entre ce qui est dit de la production conditionnée et cette idée de coupure ou rupture totale d'avec les sens, les contacts et les sensations. Il me semble plutôt que cette idée est une idée que l'on prête souvent au bouddhisme et que l'on peut résumer comme suit : "pour éviter dukkha (la souffrance), évitons de sentir et de ressentir". Cette démarche a un nom, elle s'appelle globalement le nihilisme : "puisqu'on ne sait pas supprimer dukkha (la souffrance), nions la par tous les moyens possibles et par tous les chemins imaginables".

Cette idée prêtée au bouddhisme est caricaturale, erronée et fausse.

Je suis bien d'accord avec vous, cette négation créerait pour celui qui s'y adonnerait bien des dommages. Il n'y a nulle part dans le bouddhisme l'idée qu'il ne faut pas ressentir, l'idée qu'il faut nier le réel, l'idée qu'il faut couper les liens vitaux entre l'homme et les choses. Au contraire. (Des telles idées appartiennent d'une manière moins explicite mais tout aussi désastreuse dans d'autres courants de pensée).

Votre question est intéressante car vous semblez prêter aux sensations plus de vertus et de qualités qu'elles en ont. En effet, il y a bien une difficulté quelque part entre le monde qui se manifeste à l'homme au travers de ses sens et ce même sujet qui ressent et perçoit. Cette difficulté, c'est qu'il est soumis au caractère éphémère, temporaire, changeant et parfois illusoire de ces (ses) sensations. Cette difficulté, c'est l'attachement à ces (ses) sensations, c'est cette attente de ces (ses) sensations, c'est cette recherche de ces (ses) sensations, c'est ce désir porté à ces (ses) sensations. Cette difficulté, c'est cette définition de soi à partir de ces (ses) sensations ("j'ai ceci ", "je peux me procurer ceci ", "je peux accéder à ceci " ...) qui apparaissent comme une fin.

On pourrait dire que le bouddhisme défend l'idée selon laquelle, si les sens sont indispensables à la construction et à la préservation du sujet dans son environnement et notamment vis-à-vis de ses besoins vitaux, ces sensations ne lui appartiennent pas.

La connaissance vis-à-vis des sensations est celle là, la rupture dont il est question est celle là : les sens jouent un rôle fondamental, mais ne nous trompons pas sur les informations qu'ils nous donnent.

Dans la vie quotidienne, en fonction de l'environnement personnel, chacun sait que la sensation qui nous arrive est toujours accompagnée d'une certaine interprétation (une combinaison heureuse ou malheureuse avec un projet, un vécu positif ou négatif, un jugement positif ou négatif …). La sensation n'arrive donc pas seule, tous ces éléments arrivent ensemble et sont généralement non dissociés, non perçus et parfois non conscients.

Vous voyez bien qu'à ce stade, il ne s'agit plus de sensation seule, mais d'un ensemble complexe imbriqué dans le passé et le devenir du sujet.

Les douze étapes de la production conditionnée sont simplement une explication qui permet de démonter les assemblages que nous sommes amenés à faire au travers de nos perceptions, au travers de nos réactions ou de nos prises de décision et au travers de nos conclusions sur le vécu au quotidien. Les douze étapes de la production conditionnée montrent comment cette fabrication d'interprétations s'autogénère et se reproduit perpétuellement.

Enfin, on voit également qu'on ne peut pas comprendre le bouddhisme sans prise en compte des conceptions philosophiques ou psychologiques qui le sous-tendent. De même, si on aborde le bouddhisme sans avoir mis de côté une vision égocentrée où le sujet sentant et percevant serait durablement tout puissant, on ne peut pas comprendre de quoi on parle. La question de savoir si on peut (ou doit) choisir entre sentir ou ne pas sentir est absurde et n'appartient pas au bouddhisme. La question, c'est de savoir ce qui est fait de ces sensations.

J'espère avoir répondu à vos questions. N 'hésitez pas à me faire part de vos remarques.




P.S. Vous trouverez dans le Lalitâvistara (Cf. Bibliographie), au chapitre IV intitulé "Les portes évidentes de la loi", une déclinaison éminemment poétique reposant sur le principe de répétition abondant et redondant, des multiples chaînes d'effets et de causalités. Ceci peut consister en un développement (ici, il s'agirait plutôt d'un préambule) de ce principe de production conditionnée (également appelée "origine dépendante").







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