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Lettre à Marc Labelle Par Manuel de Diéguez |
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Le 17 sept. 02 Cher Marc Labelle, Puisque vous avez rédigé une autobiographie cryptée du cheminement de
votre esprit et puisque vous m’en demandez la lecture, je vous remercie de
votre confiance et je vous rends la pareille par cette longue lettre. Il y a, en
effet, deux ans que je vous ai écrit, et votre envoi du 9 septembre me fait
comprendre que votre silence, depuis lors, se nourrissait d’un
riche itinéraire, mais sur une route difficile. Je vais vous livrer
quelques observations générales sur le vrai sujet dont vous traitez, puisqu’à
« débroussailler », comme vous l’écrivez,
le ça et le surmoi selon Freud , vous vous posez, en réalité, la
question du statut de la pensée et de la condition du penseur. 1 – Le vide temporaire
2 – Le ça et le surmoi de Freud
3 – Le leurre du spectateur
4 – La voie appienne du tragique5 – Où sont passées les noces du moi et du surmoi ?
6 – La corde et la flèche
7 – Une histoire de la distance8 – L’aube d’un nouvel humanisme
9 – L’œil du vide10 – La simiohumanité de Dieu11 – Les noces de la
philosophie avec le surmoi
1 – Le vide temporaire
Sur le plan existentiel - il
affleure tout au long de votre réflexion - vous voudriez bien ne jamais
traverser qu’un « vide temporaire » et pourtant, vous désirez
renouveler ce vide par une « fécondation perpétuelle ».
Cette démarche divisée témoigne
de ce que j’avais raison de faire confiance à votre vocation intellectuelle
et à votre patience , mais elle démontre également la nature du problème
que vous affrontez avec inquiétude; et puisque vous m’écrivez que je fais
fonction de « guide » à vos yeux, demandons-nous ensemble quelle
est l’origine de ces embarras d’anthropologue à la recherche de ses outils.
Pour cela, examinons, primo, si la « catharsis de la conscience »
dont vous parlez peut se
trouver entrecoupée par un vide seulement monotone, secundo, si le ça
et le surmoi sont des autorités trop branlantes pour fonder la recherche sur la
nature de la conscience, et tertio, s’il peut exister un rivage sur
lequel le peseur de l’évolution de notre entendement peut espérer arrimer sa
barque. 2 – Le ça et le surmoi de Freud
Vous cherchez encore le trésor de l’identité de l’intelligence qui
appartiendrait en propre à la pensée ; et vous traquez le secret de la
vocation du philosophe tantôt dans le surmoi, tantôt dans le ça. En « incarnant
le surmoi de la France, le général de Gaulle l’a guidée de la Résistance
à la Libération ; sous l’impulsion d’André Breton, le mouvement surréaliste
a eu recours au ça découvert par Freud comme arme de combat contre
l’obscurantisme, la répression sexuelle, le dogmatisme et le cléricalisme
protégés par l’Église catholique. » Le destin de la raison et de sa « tête chercheuse » se réduit-il
à observer – mais à partir de quelle hauteur ? - les pôles en
apparence opposés des valeurs en provenance du ça ou du surmoi dont
s’alimentait autrefois la conscience et à décrire, du haut de l’aéronef
du concept, la topographie générale qui fractionne le génie humain et le
divise entre de multiples territoires? Certes, ce voyeur supérieur savourera
« l’inquiétude du hasard » ;
et il se gardera bien, dit-il, de « saisir définitivement »
le « vide » et le « plein ».
Mais osciller entre la « dissolution » et
la « coagulation » et y afficher seulement « une
impassibilité souriante », n’est-ce pas une « catharsis »
à la fois « éthique » et
« ludique » dangereusement placée entre le Charybde de la
liquéfaction et le Scylla de la pétrification ? Je crains qu’entre ces
deux périls, le « vide temporaire » n’illusionne
l’examinateur panoramique de notre histoire et ne le conduise sur des
« Holzwege », des « chemins qui ne mènent
nulle part », donc vers la ville sans boussole que Zarathoustra
appelait la « vache multicolore ». 3 – Le leurre du spectateur
Quel beau jardin d’innocence, direz-vous, que celui des surmois
individualisés et triomphants ! Les Pères de l’Église et tous les
saints ne se présentent-ils pas dans ce vaste espace culturel ? N’y côtoient-ils
pas les poètes et toutes les catégories de chantres de la nature et du ciel ?
Quant aux damnés du ça, présentent-ils
des parures moins superbes ? Derrière Breton, je vois se profiler le
Marquis de Sade et la silhouette précieuse de l’auteur des « fleurs
du mal ». Que de tapis odorants ! Les agonisants dont les rages
sont des vœux de sainteté font un beau spectacle. Mais que vaut la moisson si
le penseur rêve de se rendre le souverain des envols et des délires de
l’humanité ? Il est inquiétant de fuir les idoles figées dans la pierre ou le bois pour
leur en substituer d’autres, magnifiquement intériorisées. La France, de
Gaulle la voyait en héroïne romantique , « telle la princesse
des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente
et exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a
créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. » Et si
le royaume de l’esprit s’étendait par
delà les idoles trompeuses du narcissisme humain ? Vous ne cessez de le
dire, et vous y mettez une saine vigueur . « Statufiées dans le bois,
le bronze ou la matière cérébrale, les idoles sont consacrées par les
discours sacerdotaux. Les clergés
assurent le transfert narcissique des fidèles aux supports
des Eternels ou des universaux fantasmés. » Je persévère
dans la conviction que vous êtes fait pour les plus solides nourritures. Mais
pour suivre la voie appienne de la pensée , il faut passer par l’école du
tragique. « Si le grain ne meurt… » 4 – La voie appienne du tragique
Vous courez vers le trépas des résurrecteurs puisque les idoles idéalisées,
vous en connaissez les ficelles. N’appartiennent-elles pas tour à tour au ça
et au surmoi ? Vous avez appris que le cosmos n’est qu’un gros objet
aveugle, sourd et muet et qu’il ne s’est pas mis à parler à la place du
Dieu qui lui servait autrefois de ventriloque. Vous rejetez également le déisme
inconscient de Freud – vous voyez bien que la science de son temps jouait le rôle
d’un nouveau proférateur de la « délivrance » . Vous
connaissez sans doute le « Discours du Christ mort »
de Jean Paul , qui prête au crucifié ces paroles :
« Dieu est mort ! Le ciel est vide… Pleurez, enfants, vous
n’avez plus de père » Nous approchons d’un foyer brûlant. En vérité, vous brûlez déjà ;
mais vous vous gardez de vous jeter pas dans le feu. Vous avez raison, le
penseur doit se consumer à coup sûr s’il entend renaître de ses cendres. Je
me demande en quoi vous jouiriez du
luxe de cultiver le demi vide contemporain, qui est si confortablement aménagé.
Que devient le ludique, que devient l’éthique, que devient l’ « impassibilité
souriante » si vous n’avez pas froid aux yeux
et si vous êtes déjà engagé jusque-là ? Impossible, n’est-ce
pas, de battre en retraite. L’avant-poste que vous occupez vous l’interdit 5 – Où sont passées les noces du moi et du surmoi ?
Au reste, vous n’êtes pas homme à tourner casaque. Mais où vous rendre ?
Où se cache-t-il, « l’enchantement du projet humain » ?
Où se trouve-t-il, le penseur qui négocierait sa place entre le ça et le
surmoi et qui en tirerait des avantages ? Non, vous n’avez pas raconté
les « noces du ça et du surmoi ». J’ai déjà dit que vous
cherchez le chemin de votre pensée et que vous avez habilement masqué votre
autobiographie intellectuelle sous un apparent débroussaillage de la
psychanalyse transfreudienne. J’aime
le masque inquiet des créateurs et les beaux alibis des philosophes me sont précieux,
parce que leur angoisse habite un autre vide que celui des entremetteurs de la
connaissance, qui vous mettent toutes choses en relations les unes avec les
autres. Mais détrompez-vous, je n’ai pas débaptisé la « nescience »
pour l’appeler «le vide ». « Nescience »
renvoie à nescire , ignorer,
au sens où Nicolas de Cuse invoque la « docte ignorance » de
Socrate. Mais le maître de Platon métamorphose le statut de la pensée quand
il court vers la mort, parce que sa « voix intérieure »
s’est tue, dit-il, le jour où il a décidé de défier le verdict des
bourreaux et parce que ce silence intérieur lui donne une autre liberté
que celle de l’ignorance : celle qui fera de lui un martyr joyeux,
parce que la pensée respire dans
un vide vivant. Qu’y a-t-il derrière le refus du peuple et de son tribunal ?
Quelle est la ciguë que les majorités de la sottise font boire au
suicidaire de l’intelligence? Si
Dieu existait, il serait le vide ; mais ce ne serait pas à lui de
l’habiter, ce serait à nous seuls. La pensée
vivante dit : « Dieu est mort ! Le ciel est
vide… Réjouissez-vous, vous n’avez plus de père. » Il faut
attendre que les hommes aient perdu leur père pour qu’ils sortent de
l’enfance. 6 – La corde et la flèche
En vérité, vous ressemblez à la « corde tendue sur l’abîme »
de Frédéric Nietzsche . Mais quelle étrange corde que celle-là ! Je me
demande bien, à supposer qu’elle ne soit pas tendue seulement sur un vide en
miniature, à quels pitons elle est attachée à ses deux bouts, puisqu’elle
ne saurait se trouver tendue, même à titre « temporaire », sans
disposer d’un ancrage à chaque extrémité . Mais Nietzsche ajoute
aussitôt que cette prétendue corde est, en réalité, la « flèche du
désir vers l’autre rive ». Que nous voilà mal tirés d’embarras ! La flèche semble libérée
d’une autre corde, celle de l’arc, et elle paraît traverser le vide
librement, mais elle est flanquée de deux tuteurs, le départ et l’arrivée
qui veillent sur elle et auxquels elle s’arc-boute. Où est-elle, la volonté
protégée par un double parrainage ? D’un côté, l’arc du désir qui
l’envoie, de l’autre, la rive censée la recevoir la prennent en otage.
Encore un vide malencontreusement enchaîné et que la flèche ignore ! La
rive sur laquelle elle va se ficher m’inquiète encore davantage que
l’adroit appareil qui l’a propulsée dans le rien: comment Nietzsche peut-il
évoquer une « autre rive » si le vide n’a pas de rivage et
s’il est ridicule, quatre siècles après Giordano Bruno et un siècle après
Kant, d’assigner une frontière à l’infini? Décidément, ce vide au petit
pied se fait encore admonester comme un bambin par un père putatif vers lequel
il est censé se rendre confusément. Quel est donc le désir de l’archer pour
qu’il envoie une flèche chargée de franchir un espace étriqué, mais plein
d’espérance, celui qui la sépare d’une vague « terre promise » ? En vérité, le génie de Nietzsche s’arrête en ce lieu. Lui aussi achève
sa course sur l’image d’un enfant innocent et joueur . Mais ce marmot
se contente de rire : « Dieu est mort », dit-il joyeusement ».
Vous citez une phrase de mon Freud et l’athéisme de la philosophie :
« Il ne suffit pas de jeter le croyant dans le vide – encore faut-il
féconder le néant. » Mais
comment une telle fécondation serait-elle la récompense d’une « flèche
du désir » vers une « autre rive » si celle-ci
n’est pas au rendez-vous? Pourquoi Nietzsche n’a-t-il pas spectrographié
l’animal au cerveau biphasé qui se promène aux côtés des effigies qu’il
a dérisoirement dressées dans
l’immensité ? 7 – Une histoire de la distance
L’œil avec lequel le vide regarde le réel est l’aube d’un nouveau
"Connais-toi", lequel commence d’écrire une histoire du recul de
l’esprit à l’égard de lui-même, donc un rappel des étapes de la conquêtes
d’une intelligence de plus en plus distanciée de l’animal dont elle a déserté
les arènes. Nous avons commencé de quitter la boîte osseuse que nous
partagions avec nos congénères quand nous avons écarquillé les yeux, ouvert
davantage nos oreilles et donné tout son éclat à notre voix, afin d’allouer
à une divinité notre ouïe, notre vue et notre langue amplifiées de la sorte.
C’est ainsi que nous avons conquis la distance et les décibels d’une
intelligence naïve et qui se contentait d’obtenir
de nous l’obéissance vénératrice, la discipline terrorisée et la morale punitive sans lesquelles notre espèce ne
pouvait ni s’étendre ni s’installer solidement dans la durée. La seconde étape de notre recul à l’égard de nous-mêmes a commencé
avec l’entrée de notre raison dans le temple du vide. Alors le soleil
s’est changé en un lumignon perdu et nous avons vu un laquais prétentieux
tourner autour de sa maigre lumière. Quant à l’infini, il nous a privés de
domicile fixe ; car il est impossible de se faire un habitat d’une étendue
peuplée de naufragés. Ce recul nouveau
de notre conscience nous a remplis d’une angoisse diffuse ; et notre
errance s’est poursuivie dans les soubresauts de nos théologies et de nos idéologies
jusqu’au jour où notre intelligence s’est
vue contrainte de se donner le vide pour son seul interlocuteur véritable et
digne de nous mettre debout. Qu’en est-il de cette troisième étape de la
distanciation de notre cerveau depuis notre semi sortie du règne animal ?
8 – L’aube d’un nouvel humanisme
Il nous est bientôt apparu que si nous prenions le vide au sérieux, il
fallait nous armer d’un autre globe oculaire. La science classique nous observait encore comme des captifs des
rets que tissaient nos univers relationnels. Elle nous peignait entourés
d’acteurs qui nous imposaient leur présence. Le plus puissant de tous, nous
l’appelions notre père ; mais maintenant l’infini l’a réduit à une
minusculité d’insecte. Le cerveau de notre créateur microscopique est celui
d’un animalcule schizoïde. Nous observons son capital psychogénétique
biphasé. Le milieu bipolaire dans lequel il se démène, il l’administre de
son mieux. Depuis que nous observons la psychobiologie de « Dieu »,
nous sommes entrés dans un autre espace de la pensée, nous avons changé de
planète mentale. Nous sommes les explorateurs d’un monde cérébral inconnu
des ancêtres et dans lequel l’œil du vide est seul habilité à entrer. 9 – L’œil du vide
Naturellement, nous demeurons modestes, parce que beaucoup d’entre nous se
trouvent encore enchaînés au personnage titanesque que nos pères
avaient chargé de les dédoubler et qu’ils avaient engendré afin
qu’il les fasse osciller entre l’ordre et le chaos. Du coup, ils étaient
tour à tour endormis et furieux, iréniques et justiciers. Tantôt on les
voyait se pavaner dans le ciel,
tantôt ils rôtissaient sous la terre. Le
11septembre nous a tous réveillés. Seul le vide nous permet désormais de
spectrographier la psychophysiologie que le simianthrope et ses dieux se
partageaient. Nos théologies sont devenues nos plus fidèles greffiers. Mais
aussi longtemps que nous ne nous serons pas armés du globe oculaire qui nous
permettra de raconter l’histoire de la dichotomie cérébrale dont notre espèce
était affligée, nous ignorerons que nous n’avons jamais eu de père
consolateur et que nous nous fabriquions un Dieu sans père sous le soleil afin
de nous mettre sous la protection d’un géant orphelin de personne. C’est pourquoi le vide ne sera jamais qu’un nouvel habitat de notre stérilité,
de notre piétinement et de notre
harassement si nous nous cherchons une autre corde, une autre flèche, une autre
rive. Seules sont moissonnières les révolutions qui livrent notre intelligence
à des paysages entièrement nouveaux et qui conduisent notre espèce tout entière
vers des découvertes de mutants. Que voit l’œil qui s’est ouvert dans nos
têtes, l’œil né par delà le vide copernicien, l’œil qu’aucune
civilisation n’a connu avant nous ? 10 – La simiohumanité de Dieu
Cet œil-là ne se porte plus sur des aveugles aux prises avec des théologies
aveugles: il se fait un spectacle du singe-homme tout entier en tant qu’il se
fabriquait sa propre image d’insecte divisé entre lui-même et son maître.
Nous embrassons du regard la tragique entreprise de nos ancêtres, qui se
livraient à des entretiens fantastiques avec leur propre doublure cérébrale.
Jusqu’au XVIIe siècle, leur physique était loquace. La pesanteur y exprimait
l’ « appétance » de la matière pour le centre de la
terre, auquel elle « voulait s’unir » et leurs aimants
exprimaient leurs désiderata dans leurs cervelles. A partir du XVIIIe, leurs
calculs des forces et des contreforces sont devenus muets sur la scène de
l’univers. Mais nous seuls nous disposons maintenant des gigantesques
documents cryptés qui ont servi de miroirs mentaux à notre espèce pendant des
siècles et que nous appelions des
théologies. Il nous faut conquérir sans cesse davantage l’œil capable de filmer les
noces théologiques du moi de nos pères avec leur surmoi, parce que ces noces-là
étaient théologiques. Depuis que la physique s’est tue, elles nous livrent
les seuls documents anthropologiques qui se sont si profondément gravés dans
notre histoire d’hier que le 11 septembre a démontré combien ils se
graveront encore dans l’histoire de la simiohumanité d’aujourd’hui et
dans celle de demain. La conscience de soi qui braquera la nouvelle caméra
socratique sur notre encéphale bloqué n’a pas encore trouvé son identité,
parce que la pellicule de notre évolution devra enregistrer la simiohumanité
de « Dieu ». 11 – Les noces de la
philosophie avec le surmoi
Vous êtes à la croisée des
chemins parce que l’heure a sonné, pour la pensée, de prendre la relève
de la théologie. Mais la philosophie a oublié le véritable héritage de la
fausse science des dieux. Car cette discipline disposait d’un trésor :
elle n’ignorait pas le poids de la vie et la gravité des enjeux de la raison.
Son tort était seulement de monter la garde aux portes de son château-fort et
de présider la garnison de ses certitudes. Mais si, dans l’écroulement de
cette forteresse, nous devions oublier les responsabilités qu’elle croyait
assumer à dresser ses tours vers le ciel, nous perdrions le courage de prendre
le relais des rêves et de l’encens et de porter le fardeau le plus lourd. La
philosophie porte seule, désormais, la charge de conjurer notre chute dans le péché
de légèreté. Pour avoir jeté aux oubliettes le passé théologique du monde, la France a
perdu jusqu’au souvenir de
l’histoire de sa propre tête. Comment retrouver la trace de nos pas, comment
rebrousser chemin sur vingt-quatre
siècles encombrés d’autels, comment apprendre à peser notre cerveau de siècle
en siècle ? Il nous faut retrouver une cargaison perdue dans les sables,
la charger sur nos épaules , la placer sur les plateaux d’une balance
nouvelle. Vous ne reprendrez pas tout seul la route du "Connais-toi".
Mais le Québec est un gardien de la mémoire de la terre. De cette vigie des
retrouvailles de la France et de l’Europe avec la pensée, vous êtes une
avant-garde inquiète et vaillante. A travers votre attente, la belle Province
aidera non seulement la France, son aînée, à reprendre le collier, mais à préparer
les épousailles nouvelles du pays de Descartes avec le réveil de la raison du
monde. Il est pourtant un royaume où vous pouvez précéder la bête de somme
qu’est devenue une Europe sans feu; car, dans le morne attelage des théologies
raisonneuses d’autrefois, je vois des hommes brûlants se détacher de la
caravane, je vois des profanateurs,
des blasphémateurs, des hommes du sacrilège creuser le sillon des lucidités
à venir. Ces accompagnateurs des chameliers de l’esprit, on les appelait des
prophètes. Écoutez-les, éclairez-les, braquez sur eux la lumière de la
raison de demain. Si vous décortiquez Isaïe , si vous disséquez Ézéchiel,
si vous autopsiez Daniel, vous ferez de la belle Province l’annonciatrice des
incendiaires et des éveilleurs. Les iconoclastes d’hier mêlaient leur foudre
au lourd harnais de la théologie de leur temps. Ils étaient patients avec les
fatigues et les lassitudes de leur siècle, mais ils croisaient le fer avec la
pesanteur du monde. Ils savaient que les suicidaires de l’intelligence ont
rendez-vous avec les fauves. Je salue d’avance votre combat pour le surmoi de
la philosophie . Manuel de Diéguez Texte de Marc Labelle, mai 2003 Retour
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