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Malheureux l'an, le mois, le jour, l'heure, & le poinct,
Et malheureuse soit la flateuse esperance,
Quand pour venir icy j'abandonnay la *France :
La *France, & mon *Anjou dont le desir me poingt.
Vrayment d'un bon oiseau guidé je ne fus point,
Et mon coeur me donnoit assez signifiance
Que le ciel estoit plein de mauvaise influence,
Et que *Mars estoit lors à *Saturne conjoint.
Cent fois le bon advis lors m'en voulut distraire,
Mais tousjours le destin me tiroit au contraire :
Et si mon desir n'eust aveuglé ma raison,
N'estoit ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le sueil de l'huis, d'un sinistre presage,
Je me blessay le pied sortant de ma maison ?
Si celuy qui s'appreste à faire un long voyage,
Doit croire cestuy la qui a ja voyagé,
Et qui des flots marins longuement oultragé,
Tout moite & degoutant s'est sauvé du naufrage,
Tu me croiras (*Ronsard) bien que tu sois plus sage,
Et quelque peu encor (ce croy-je) plus aagé,
Puis que j'ay devant toy en ceste mer nagé,
Et que desja ma nef descouvre le rivage.
Donques je t'advertis, que ceste mer Romaine
De dangereux escueils & de bancs toute pleine
Cache mille perils, & qu'icy bien souvent
Trompé du chant pippeur des monstres de *Sicile
Pour *Carybde eviter tu tomberas en *Scylle,
Si tu ne sçais nager d'une voile à tout
vent.