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47

Si onques de pitié ton ame fut atteinte,
Voiant indignement ton amy tormenté,
Et si onques tes yeux ont experimenté
Les poignans esguillons d'une douleur non feinte,

Voy la mienne en ces vers sans artifice peinte,
Comme sans artifice est ma simplicité :
Et si pour moy tu n'es à pleurer incité,
Ne te ry pour le moins des souspirs de ma pleinte.

Ainsi (mon cher *Vineus) jamais ne puisse-tu
Esprouver les regrets qu'esprouve une vertu,
Qui se void defrauder du loyer de sa peine :

Ainsi l'oeil de ton Roy favorable te soit,
Et ce qui des plus fins l'esperance deçoit,
N'abuse ta bonté d'une promesse vaine.



48

O combien est heureux, qui n'est contreint de feindre
Ce que la verité le contreint de penser,
Et à qui le respect d'un qu'on n'ose offenser,
Ne peult la liberté de sa plume contreindre !

Las pourquoy de ce noeu sens-je la mienne estreindre,
Quand mes justes regrets je cuide commencer ?
Et pourquoy ne se peult mon ame dispenser
De ne sentir son mal, ou de s'en pouvoir pleindre ?

On me donne la genne, & si n'ose crier,
On me voit tormenter, & si n'ose prier
Qu'on ait pitié de moy. Ô peine trop sugette !

Il n'est feu si ardent, qu'un feu qui est enclos,
Il n'est si facheux mal, qu'un mal qui tient à l'os,
Et n'est si grand' douleur, qu'une douleur muette. 1