Extrait de Instincto Magazine n° 40-41, avril-mai 1991, Chronique par G.-C. Burger
La diététique en arrivera décidément à toutes les extrémités. Les nutrologues américains en sont maintenant à prescrire les viandes de lion, de kangourou et d'ornithorynque à leurs patients, atteint d'allergies de plus en plus inquiétantes à leurs aliments habituels...
II y a vraiment quelque chose qui ne va pas dans la cuisine. Celle d'outreAtlantique n'est certes pas la meilleure ni la plus saine, nous ne nous étonnerons pas de voir apparaître prioritairement dans le Nouveau Monde toute une symphonie de bobos et de malaises, voire de grandes maladies. Notre propre expérience de l'alimentation et de la santé, avec la foule d'observations personnelles que nous pouvons faire jour après jour, nous met en bonne position pour comprendre les causes que d'autres mettent des années à démasquer, nous apparaissent évidentes, et s'il ne s'agissait de maladies et de souffrances, le spectacle pourrait être qualifié de comique. Au même titre que le malade imaginaire de Molière : le malade alimentaire, allergique malgré lui, et malgré la médecine...
On sait aujourd'hui beaucoup mieux ce qui se passe dans les allergies dites alimentaires (du moins on le croit...). Certaines protéines apportées par les aliments déclenchent la formation d'IgE, anticorps qui se fixent sur les mastocytes de la paroi intestinale; lorsque l'on remange le même aliment, les mêmes protéines déclenchent une nouvelle production d'IgE qui en s'accrochant à celles déjà fixées sur les mastocytes, provoquent la rupture des membranes de ces cellules et la libérations des granules d'histamine dont elles regorgent; cette histamine, principale hormone liée aux mécanismes inflammatoires, déclenche alors toute une série de réactions désagréables : irritations, rougeurs, catarrhes, urticaires, etc. voire des réactions dangereuses comme l'oedême de Quinck ou les chocs anaphilactiques (collapsus dû à une brusque dilatation du système artériel et à une baisse de tension qui peut être rapidement fatale). Remarquons a contrario que la médecine signale des manifestations allergiques sans IgE, et même sans histamine : la réalité n'est encore une fois certainement pas aussi simple que la théorie !
Il semble que de plus en plus d'Américaine souffrent de ce genre de troubles. C'est du moins chez eux que l'on prend les mesures les plus radicales et les plus spectaculaires pour lutter contre le fléau. Puisque la consommation répétée de protéines est la cause du mal, il suffit de changer de sources de protéines. On défend alors aux malades de manger tout ce qui constitue leur nourriture habituelle, et on va chercher des sources de protéines qui n'ont jamais figuré dans leur menu : justement des viandes originales, si ce n'est originelles, comme la viande de kangourou, de serpent, voire de lion. Malheureux roi des animaux, même La Fontaine n'avait pas prévu de le voir finir si lamentablement dans nos assiettes...
Mais les ennuis ne sont pas terminés : la théorie veut que la répétition suffise à induire l'état d'allergie, les mesures prises ne devraient être, en conséquence, qu'un remède temporaire. Il faudra bientôt renouveler le tableau de chasse. Il y aura peut-être les insectes chers à ****(1) : mangeurs de grillons ou mangeurs de lion... Puis les représentants d'une quelconque faune extraterrestre, à importer en soucoupes réfrigérantes pour respecter les exigences des services sanitaires, pour autant qu'on trouve des formes de vie suffisamment appétentes sur un astre pas trop éloigné afin de limiter les frais de transport...
II y en a un, làderrière, qui doit bien s'amuser. C'est Prométhée. Et peutêtre le dieu Apis, inventeur de la vache et de l'industrie laitière. Tous les ennuis viennent certainement de la mythologie.
Ce ne sont tout de même pas les merveilles de l'agriculture et de l'art culinaire qui peuvent être responsables de nos ennuis de santé. De toute manière, seule une infime minorité de gens, de malchanceux prédisposés, finissent par se tordre de douleurs intestinales, par se sentir le thorax en feu, ou par faire des hallucinations pour avoir ingéré ce que tant d'autres ingèrent impunément. Ce ne sont donc pas les aliments qui sont en faute, mais ces malades en mal d'originalité qui refusent d'obéir aux règles universelles de l'accoutumance...
Ne nous laissons pas prendre aux bons stéréotypes de notre mère médecine. Il est intéressant de lancer un petit coup d'oeil à la liste des aliments allergènes (où il y a de l'allergène, il n'y a pas de plaisir...) on trouve là, parmi les meilleurs challengers des éternuements et des coliques ici concernées, le blé et le 1ait. Ils sont accompagnés de toutes sortes d'aliments que nous considérons comme beaucoup plus originels, qui, selon nos thèses, ne devraient pas provoquer de troubles directs, mais viennent à point pour embrouiller les affaires. Par exemple le crabe, l'arachide, la noisette, le melon, la carotte, le thon, les oeufs, la banane et bien d'autres fleurons de la table naturelle. Les malheureux naturologues qui n'ont pas la grille de déchiffrage de l'inadaptation génétique, ne peuvent évidemment qu'en tirer cette conclusion: que la nature est allergène, et que l'allergie est naturelle. De quoi entreprendre des recherches aussi passionnantes que durables !
Les immunologistes parlent pourtant depuis longtemps de réactions croisées. Ils savent que, si l'on est allergique à une protéine donnée, on peut l'être à une protéine voisine. Si l'on s'est allergisé au lait, à coups de protéines "vaches" par exemple, on peut fort bien réagir allergiquement à une protéine du poisson. La première a induit une sensibilité anormale qui provoque une réaction exagérée à la seconde, alors que celleci se serait peut-être révélée incapable d'induire cette hypersensibilité par ellemême. On comprend ainsi que des aliments aux quels on n'est pas adapté, comme le lait ou le blé, peuvent installer un terrain qui rende ensuite insupportables d'autres aliments pourtant naturels.
Pourquoi le fontils ? Est-ce une affaire de terrain ? Là encore, nos hypothèses de base tombent à poin t: un aliment auquel notre système digestif n'est pas adapté se digère moins bien. La Palisse l'aurait deviné. II laisse de ce fait beaucoup plus de protéines incomplètement coupées en tronçons, c'està dire de peptides (petites chaînes comprenant plusieurs acide aminés) qui pourront jouer le rôle d'antigènes et, à f orce de répétitions, mettre en route toute la mécanique allergique. Celleci, une fois exacerbée, se relancera sous l'effet d'une molécule naturelle qui ne l'aurait sinon jamais mise en branle. Et nous voilà mûrs pour faire un urticaire généralisé après l'ingestion d'un morceau de thon de trop...
C'est en effet le morceau de trop qui sera le déclencheur de la débâcle : l'aliment, même naturel, consommé audelà de l'appel instinctif, ne digèrera pas parfaitement, justement parce qu'il dépasse les possibilités ou les volontés du tube digestif. II laissera donc davantage de protéines mal digérées et de peptides capables de déclencher la fabrication d'IgE, lesquelles iront chatouiller les mastocytes et provoquer l'avalanche d'histamine tant abhorrée.
Ces quelques spéculations scientifiques de mon "cru" sont les seules qui permettent, à ma connaissance, d'expliquer un fait de notoriété instincto : que les anciens mangeurs de produits laitiers ne réagissent au melon ou au poisson que dans les premiers temps de leur changement d'alimentation, ensuite leurs allergies disparaissent totalement. De même pour les anciens mangeurs de pain et de pâtes, alias de blé : la banane, par exemple, leur déclenche d'abord quelques réactions intestinales, puis tout disparaît.
La théorie officielle voudrait que le melon ou la banane deviennent allergisants par la répétition. or, il n'en est rien même chez les instinctos les plus boulimiques, qui devraient en principe se sensibiliser davantage. Parole de crudivore : je n'ai jamais vu la consommation répétée de bananes ou de melon, ni d'aucun aliment "originel", induire une allergie. Bien au contraire, je peux dire que l'instincto est venue à bout de toutes les allergies, même des plus coriaces.
Alors il faudra que nos allergologues changent leur fusil d'épaule. Plutôt que de partir à la chasse au lion, ou de bondir après les kangourous, ils devraient s'en aller pourfendre les éleveurs de vaches laitières et raser les champs de blé... Gageons qu'il ne faudrait pas longtemps pour que l'Amérique se porte mieux !
****(1) Nom propre supprimé le 28-01-2002, à la demande de l'intéressé.