Extrait de Instincto Magazine n° 43-44, juillet-aout 1991, Chronique par G.-C. Burger

Tout bio or not tout bio ?

"Ah ! la belle Èpoque où les primeurs poussaient grace aux déjections de nos contemporains, et propageaient des colibacilles pathogènes... la belle époque où les nourrissons avaient tous la diarrhée verte et où il était habituel qu'un bébé ait la gourme, avec toutes ces croûtes sur la figure, qui étaient, sans doute, le signe d'une hygiène naturelle et pourquoi pas écologique... Excusezmoi, le profère les engrais chimiques."

Rassurezvous, ce texte n'est pas de moi. Il est extrait d'un ouvrage intitulé "Mes conseils de santé, publié par un certain Dr Blouin aux Èditions du Rocher. Je l'ai trouvé en première page d'un dossier paru récemment dans la revue "Pleine forme magazine", consacré au problème de l'alimentation naturelle: "Fautil manger bio ?". La campagne lancée depuis quelques années pour démanteler le mouvement des médecines et des diététiques naturelles bat son plein. Avec l'instinctothérapie, qui est la plus naturelle de toutes les médecines et de toutes les diététiques, nous nous trouvons évidemment en première ligne. Ne nous étonnons pas que les attaques les plus virulentes soients dirigées contre nous. Comme par hasard, une bonne partie de ce dossier est consacrée à nous démolir. C'est pas grave, on a l'habitude...

Mais ce que je trouve intéressant, c'est que les arguments utilisés se raffinent avec le temps et nous font mieux voir les points sur lesquels va s'organiser la résistance de nos contemporains contre un message qui, bien sûr, dérange.

C'est cette fois un certain Docteur Curtay qui était interviewé et dont les réponses méritent toute notre attention: il est en effet de première importance que nous connaissions les arguments utilisés par nos détracteurs, soit pour savoir mieux leur répondre le jour où quelque circonstance nous donne le droit à la parole, soit pour prendre conscience des manquements qui peuvent s'être glissés dans notre théorie ou dans la manière de l'exposer. Egalement pour nous amuser à décortiquer les contradictions internes et les sophismes auxquels doit recourir l'argumentation adverse pour arriver à ses fins. Car il n'est pas évident non plus de démolir une théorie construite selon les règles de la science avec des arguments tirés de la même science...

On remarque d'abord, dans l'ensemble de ce dossier, un procédé rhétorique savamment utilisé : l'auteur commence par se montrer impartial, voire par endosser l'habit de l'adversaire en faisant mine de cautionner son point de vue, pour gagner la confiance du lecteur et berner son sens critique au moment du coup final. Par exemple: "...avec le biologique, on a nécessairement un certain équilibre vital." Voilà qui ouvre toutes grandes les oreilles de tous les consommateurs tant soit peu portés sur le naturel. Puis on consacre plusieurs pages à démontrer que le vital n'a aucun sens en matière de nutrition: "le vitalisme est une superstition tenace dont la biologie moléculaire actuelle se débarrasse tant bien que mal"... "On a découvert récemment qu'il n'y a pas de distinction scientifique précise entre la vie et la matière"... Et un peu plus loin, cette petite merveille: "du point de vue littéraire, il y a une différence entre la vie et la chimie; mais du point de vue scientifique, il n'y en a pas." Faut-il que le public soit stupide pour que ceux qui prétendent lui forger ses opinions croient pouvoir recourir de semblables affirmations...

Si la science d'aujourd'hui ne parvient pas à définir une limite claire entre l'aliment de synthèse et l'aliment vivant, cela peut tenir à deux prémisses : soit qu'il n'y ait effectivement pas de différence, soit que la science n'ait pas les moyens nécessaires pour faire apparaître cette différence.

Monsieur Curtay ne semble pas avoir envisagé la deuxième éventualité ! En fidèle représentant du corps médical, il part du principe que la science d'aujourd'hui sait tout. Je croyais que la médecine moderne commençait à guérir de ce genre de maladie, mais apparemment, il n'en est rien.

Une autre perle de raisonnement, concernant la leucocytose digestive (le fait que l'ingestion d'aliments cuits provoquerait une montée du taux des globules blancs, alors que l'ingestion d'aliments crus n'en provoquerait pas, d'où l'on conclut généralement que les aliments cuits sont moins bien acceptés par le corps que les crus) : "Si c'était vrai, j'en tirerais plutôt la conclusion inverse. Plus il y a de leucocytes, mieux on est protégé. Les aliments crus semblent donc nous protéger moins bien contre les intoxications, ce qui est un fait banal qui justifie depuis des millénaires la cuisson des aliments."

Pas mal non ?

Je rassurerai d'ailleurs le Dr Curtay en lui disant que j'ai participé, il y a une quinzaine d'années, à une expérience d'assez grande envergure sur cette fameuse leucocytose, et que les résultats n'ont montré aucune corrélation significative entre l'ingestion d'aliments soit crus soit cuits et une modification de la formule sanguine. Celleci restait désespérément stable aussi bien chez les instinctos que chez les nombreux étudiants qui avaient servi de cobayes. Nous pourrions d'ailleurs en tirer la conclusion, pour aller aussi vite que le Dr Curtay, que les aliments cuits et les aliments crus sont identiques...

Il est toujours étonnant de constater à quel point les cerveaux même les plus éclairés sont incapables de raisonner objectivement dès qu'il s'agit de nourriture.

Au passage, une citation du Professeur Guy Grant, nutritionniste qui me parait pourtant de grande envergure, nous laisse pantois : "Une plante qui résiste naturellement à la maladie, à la différence d'une plante qui n'y résiste que parce qu'on la traite, c'est bien évidemment une plante qui génère ellemême les produits qui la protègent contre la maladie. En fin de compte, la chimie naturelle de la plante, comme la chimie artificiels de l'industrie, se rejoignent au niveau de l'effet biologique sur le consommateur." D'où l'on conclue en toute logique que le DDT n'est pas toxique...

Le court-circuit est évident : M. Guy Grant part du point de vue que les plantes n'ont jamais su inventer, dans le but de se protéger contre leurs prédateurs, autre chose que des substances toxiques pour l'homme. Ce qui découle tout bonnement du fait que la nature n'a jamais pu faire mieux que la science : pouisque la chimie nous propose des substances dangereuses comme seuls remèdes contre les maladies de nos plantes alimentaires, ces plantes, beaucoup moins intelligentes que nous, n'ont certainement jamais pu faire autre chose pour assurer leur survie que de produire des substances dangereuses.

Que faire alors du pyrêtre, petite fleur jaune qui produit une substance mortelle pour les insectes,parfaitement inoffensive pour les vertébrés ? L'éminent Professeur doit pourtant bien savoir que les espèces vivantes s'adaptent les unes aux autres, et que l'homme a pu faire plus de chemin que l'insecte pour devenir insensible à certains poisons naturels, ou a contrario, que les plantes ont eu plus de temps pour lutter contre les insectes que contre les hommes. La démonstration culmine, quelques paragraphes plus loin, en affirmant que les pesticides de synthèse ont été calculés pour leurs effets bénéfiques et que, donc, ils ne peuvent être nocifs... Comme le clame le Dr Blouin déjà cité : "C'est une chance inouïe, presqu'un miracle que nous puissions échapper aux substances toxiques naturelles présentes dans les aliments naturels. Halte aux campagnes obscurantistes, à ces formes de régressions moyen-âgeuses face à une science qui ne fait peur que parcequ'elle est mal comprise !" De même, les médicaments résultent de la "création intelligente de substances extrêmement utiles et bienfaisantes. " Quant aux colorants, ils ne sont qu'une "continuation plus moderne de l'art culinaire : depuis que l'homme existe, il a cherché à agrÈmenter ses repas avec des épices, des aromates et autres condiments ; au nom de quelle superstition refuserait-il maintenant les colorants, les édulcorants ou les arômes artificiels ".

Vous voulez qu'on vous embrouille encore un peu plus ? Pas de problème, le Dr Curtay s'en charge avec bio... pardon : avec brio, quand il entame le thème cuisant entre tous de l'instinctothérapie.

Sa démonstration est introduite par une question bien calculée de l'intervieweur : Est-il possible de se rééquilibrer en consommant uniquement des aliments naturels ?"

Réponse: "ll est possible qu'on y arrive un jour. Pour l'instant, on n'y est pas du tout. La question du naturel et de l'artificiel, c'est comme si on discutait du sexe des anges... Surtout, ce qu'il faut dire, c'est que la nature est truffée de poisons: vous vous trompez de baie, vous prenez une belladone, et vous allez voir l'empoisonnement que vous allez attraper... C'est d'ailleurs pour cela qu'on explique qu'on soit si attiré par le goût sucré, qui était à l'origine une manière de nous permettre de sélectionner les non poisons. On n'aime pas l'amer, par instinct C'est dans nos gènes de refuser ce qui est amer, ou trop acide..."

Là, on ne sait trop que penser : ou bien il existerait un instinct qui protège contre les poisons, ou bien il n'en existe pas puisque seule la connaissance des plantes vénéneuses peut nous éviter la mort. Sur ce fond d'incertitude, il suffit alors d'une petite tautologie rappelant les vices de la nature pour emporter l'adhésion : "Aujourd'hui, on nous parle de manger naturel, que ce soit des viandes ou des légumes, du poisson et le reste, mais malheureusement, dans ces alimentslà, il y a des choses qui sont désirables, parfaites, mais d'autres qui sont complètement indesirables. Par exemple dans la viande rouge, il y a beaucoup trop do graisses saturées. Mais il faut reconnaître que la "nature" entre guillemets, a aussi évolué : il semble qu'en trente ans, en France, le taux de graisse dans le boeuf soit descendu de manière considérable."

C'est donc, si je comprends bien, parce que le boeuf avait ou a encore un taux de cholestérol trop élevé que l'instinct ne marche pas avec les plantes sauvages... Et maintenant que le lecteur ne sait plus où il en est, le champ est libre pour attaquer dans le vif du sujet: "Ceux que j'ai vu le plus gravement atteints, ce sont ceux qui font des régimes du style "ne manger que du cru", "manger dissocié", etc. C'est eux qui ont les plus gros problèmes: ils arrivent à l'hôpital et il faut les mettre sous perfusion... Par exemple, avec l'instinctothérapie, ou les régimes dissociés, on arrive à un manque de variété qui finit par amener des catastrophes".

Donc, si je comprend bien, mes enfants n'ont pu survivre à leurs années d'instinctothérapie que grâce aux perfusions de jus de noix de coco qu'ils se faisaient par voie orale chaque fois qu'ils se sentaient défaillir...

Mais notre interviewé est habile en rhétorique : s'il enchaînait en alignant les arguments négatifs, on ne le croirait pas. Il faut donc une petite volte-face, juste de quoi éconduire l'esprit critique du lecteur: "Pourtant, dans l'instinctothérapie, il y a d'exelentes choses : par exemple l'idee d'éliminer au maximum la cuisson ; c'est vrai que la cuisson déforme les molécules, et qu'audessus de 120°, on a des altérations qui, à long terme, peuvent être cancérigènes... Mais c'est l'excès de rigidité qui est dangereux, ils ne vont manger par exemple que des fruits. Ils se fient, comme ils disent, à l'instinct ; c'est là que ça commence à aller mal."

Voilà donc où nous voulions en venir. Maintenant que les statistiques ont montré l'importance de l'alimentation et des crudités dans la prévention de nombreuses maladies, la médecine n'a d'autre moyen pour récupérer la situation que de prendre à son compte certaines affirmations des naturistes, sans mentionner bien sûr qu'elle s'ingéniait à les ridiculiser il y a encore quelques années. Mais ce recul n'est fait que pour mieux sauter sur l'adversaire et démolir le point vital celui de l'instinct, qui est évidemment le plus gênant pour elle, vu qu'il remet en cause le fondement de toute médecine et de toute diététique : le principe du diagnostic et de la prescription qui est donnée en même temps.

Là, Monsieur Curtay met le paquet, en glissant habilement de la prémisse vraie à la conclusion mensongère: "lls disent: "si j'en ai besoin, je vais en avoir envie"; donc, aujourd'hui, ils ne vont manger que des bananes au petit déjeuner, et demain, ce ne sera que des noisettes, et là ça devient fou. Car c'est vrai qu'on a des appétits spécifiques... mais vous comprenez bien qu'on ne peut pas avoir un instinct pour tout, à tout moment... Tout cela devient complètement subjectif, et ils finissent par faire des folies ; et là, on les retrouve à l'hôpital. J'en ai vu plusieurs."

Un peu plus loin, on peut encore lire dans un encadré titrant "Instinct ou intelligence ?" le subtil raisonnement que voici: "Notre cerveau n'est pas sensible aux à-coups alimentaires, s'ils ne sont pas toxiques. On ne peut donc pas compter sur un instinct nous permettant de nous alimenter intelligemment sans avoir besoin d'être intelligent. Le rêve de tous les imbéciles !"

Cette fois notre compte est bon: seuls imbéciles peuvent s'imaginer régler le problème alimentaire par l'instinct. La preuve, c'est qu'ils finissent leur course à l'hôpital. De plus, l'instinct ne peut en aucun cas exister chez l'homme dont le cerveau est, par prédestination, à l'abri des chocs gastronomiques. Quant au chimpanzé, nous découvrons enfin la clé du mystère : s'il a pu développer son instinct alimentaire (ce qui est forcément le cas vu qu'il sait parfaitement s'équilibrer sans avoir jamais lu de traité de diététique), cela tient au fait que, chaque fois qu'il mangeait une banane de trop, un à-coup glucidique lui provoquait un choc cérébral et qu'ainsi sa génétique a pu enregistrer peu à peu la quantité de fruits correspondant à son besoin de calories. Parfaitement logique, non ?

Admirons tout de même cet art subtil de construire le sophisme, avec toutes les apparences de l'évidence et de la bonne foi, en mêlant astucieusement les vraies et les fausses affirmations, en agitant les épouvantails de dénutrition et de mort que la tradition culinaire a installés dans les esprits, pour mieux canaliser l'esprit du lecteur dans la direction où on veut le faire aller. Autrefois, cet art servait sans doute à éconduire les angoisses et les culpabilités que la désobéissance aux lois naturelles pouvait faire surgir dans les consciences. Aujourd'hui il trouve un renouveau d'inspiration dans la nécessité de protéger les intérêts que pourrait menacer une conception trop révolutionnaire de l'alimentation et de la maladie.

Il est urgent de vacciner les foules, car le retour à la Nature est une maladie contagieuse dont les conséquences pourraient être bientôt catastrophiques pour les tenants du système qui s'est édifié sur l'artifice.

II faut donc repartir d'un pied neuf, effacer tout ce que ces imbéciles d'écoles, de natures et d'instinctos ont pu lancer dans le public, enfoncer le clou jusqu'à ce que les croyances dans les merveilles de la technologie, qui remplissaient si bien les poches au début du siècle, se réimplantent dans les esprits et, comme ça, les affaires iront mieux.

Comprenons bien ceci: la médecine a pu récupérer l'homéopathie, par exemple. Avec ce qu'elle rapporte, il est normal qu'elle l'ait officialisée.. Mais l'instincto, il n'y a pas, et il n'y aura jamais moyen de la récupérer. Les malades se responsabilisent, reprennent leur indépendance, savent tout à coup prévenir les maladies, trouver par euxmêmes les médicaments naturels dont ils ont besoin, qui par comble de malchance ne rapportent rien aux pharmaciens. On ne pouvait pas inventer pire...

Il est grand temps de remettre les pendules à l'heure, et pour cela on attaque le problème à la base: "Les aliments naturels ou organiques ontils une valeur nutritive supérieure à celle des aliments conventionnels ? La réponse est non : leur valeur nutritive est la même. Les tenants des aliments organiques et naturels affirment fréquemment que leurs produits sont plus sains et plus nutritifs que les aliments conventionnels. Toutefois, la majorité de leurs affirmations n'a aucune base scientifique...ll n'y a pas de raison d'avoir peur ou de ne pas faire confiance aux aliments habituels..." Sic...

Alors, quand est-ce qu'on se retrouve au Mac Donald du coin ? Vous préférez le Burger King ? Avec toutes ces vitamines synthétiques, ça va vous remettre en pleine forme !


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