Adagio
Ottawa, janvier 1989
La Capitale, terre des mandarins, me paraît un village. Les plaques rouges diplomatiques sont les seules à indiquer la puissance ici cachée. Ici doit se jouer mon avenir. Face au Parlement se dresse le vrai pouvoir : l'ambassade américaine. Devant elle s'incline toute l'Europe, ainsi que ses anciennes colonies toujours faméliques.
On raconte qu'Ottawa est un poste perdu. On donne aux diplomates étrangers une prime pour y être condamnés. Ici, les gouvernements bannissent leurs serviteurs tombés dans la disgrâce.
Ici, ou au coeur de la Mongolie.
Dans l'édifice du Parlement, les rumeurs se succèdent en valse lente et immuable. Telle ministre est lesbienne. Le professeur Untel joue au golf, le dimanche, avec le ministre de la Défense. Avis aux étudiantes qui ont la moindre ambition.
Devant tout ce pouvoir en sotto voce, je ne ressens que de l'indifférence. Je dois jouer le jeu, mais je n'en ai pas envie.
Je préfère les sentiers des pistes cyclables. Le canal et sa glace inégale, où patinent, malgré le froid, les étudiants, les fonctionnaires et les enfants. Les boutiques de la rue Glebe, s'étalant comme un Cabbagetown en miniature, au coeur de cette ville douce comme une berceuse, qui oublie constamment son pouvoir.
Le mouvement écologiste triomphe dans le quartier du Glebe. Ici, les boutiques d'aliments naturels affichent leurs lentilles et leurs tablettes à l'anisette. Là, les produits du Tiers-monde sont à vendre. Ainsi, on peut sauver les indigènes et les arbres en achetant du savon, ou en dansant aux voix des Maoris, qui nous racontent leurs souffrances enregistrées.
C'est pratique. C'est hygiénique. Ce n'est pas trop dérangeant...
Dans une vitrine, quelques titres provocants sur la bestialité.
Autrefois, on censurait les livres. Aujourd'hui, ce n'est pas la peine. Il y en a trop...
On peut tout savoir. On peut lire 200,000 encyclopédies enregistrées sur une disquette microscopique. On peut tout découvrir. Mais on n'a pas le temps.
De la censure, il reste encore les moues dédaigneuses des gens au pouvoir. Or, le mépris est une arme non-négligeable...
Emportée par le simple désir de la marche, je me retrouve rue des Oblats. À droite, les murs jaunes de l'Université St-Paul. À gauche, le couvent aux murs de pierres grises, retiré à l'ombre des feuillages environnants.
C'est là où ma mère a passé sa jeunesse. L'édifice est immense, le parc bien entretenu. On n'y voit aucun signe des quarantes ans écoulés depuis le départ des écolières. Quelques soeurs se promènent en chuchotant. Elles n'ont pas su perdre l'habitude du silence.
Ma mère détestait ce couvent...
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