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Shri Krishna Chaitanya est l'un
des personnages les plus intéressants de l'histoire de la philosophie
et de la mystique krishnaïte. Sa personnalité ne connut pas
d'équivalent et son charisme atteignit des proportions défiant
toute description.
Dr. K. Goswami coauteur de Krishna, l'Amant divin La tradition vaishnave, la tradition
associée à Vishnu, est imprégnée de cet érotisme,
de cette voie d'amour. Le Christ aussi est amour. Il sera crucifié
par amour. Il est une sorte d'incarnation vaishnavite. On pourrait faire
plusieurs parallèles de ce genre entre le christianisme et le vaishnavisme.
Parmi les très nombreuses personnalités
qui ont illustré l'histoire du Krishnaïsme, celle de Chaitanya
doit retenir spécialement notre attention.
Chaitanya naquit à Nadia, en 1486, au sein d'une famille de brahmanas. On lui donna alors le nom évocateur de Vishvambar "Celui qui contrôle l'univers", auquel on accola affectueusement aussi ceux de Nimaï et Gauranga, à cause, respectivement, de l'arbre Nim sous lequel il est né et de l'éclat de son teint ; Chaitanya est le nom qu'il reçut à son initiation au sannyasa. En réalité, son nom complet était Sri Krishna Chaitanya. Depuis trois siècles, le Nord de l'Inde était alors sous le joug des musulmans turcs de la dynastie dite « des esclaves » lesquels, en 1202, détrônèrent le roi du Bengale, Lakshmana Sen, qui avait fait de la ville de Nadia sa capitale. De ce jour, la culture védique périclita jusqu'à disparaître pratiquement. Les musulmans détruisirent les bibliothèques, les temples, les monuments et toute forme d'art religieux. Les musulmans contrôlaient les décisions administratives et les propriétaires terriens, les zamindars. Ces derniers n'avaient rien à craindre de leurs maîtres en autant qu'ils leur payaient des taxes et leur offraient de riches présents. Pour y arriver, les zamindars n'éprouvaient aucun scrupule à exploiter les travailleurs et allaient jusqu'à les torturer pour leur extirper des biens. Afin de parfaire leur hégémonie, les conquérants tendirent une perche aux castes inférieures opprimées qui surent tirer profit de cette opportunité : celle de se voir offrir « le salut de l'âme » et de leur condition sociale en échange de leur conversion à l'Islam. Par contre, les guerriers musulmans étant des iconoclastes intransigeants et cruels, ce fut le désastre pour ceux qui demeurèrent de fervents pratiquants de la religion "hindoue". Les prêtres, les poètes, les écrivains, les chercheurs et les érudits connurent alors des temps extrêmement difficiles, car ils dépendaient, selon la coutume, de la faveur des princes, riches commerçants et propriétaires, lesquels ne se souciaient guère du bien du peuple, et encore moins de ces "inutiles" intellectuels ; ils furent vite réduits à une vie misérable. S'ils voulaient se tirer d'embarras, ils devaient satisfaire les instincts primaires de leurs patrons et les amuser. Nombreux furent-ils, même parmi les plus grands, qui succombèrent à la tentation de créer des œuvres sensuelles, avilissantes et mineures. On assista à un foisonnement décadent d'ouvrages et de peintures érotiques de signatures soi-disant vaishnavas profanant les divertissements sacrés de Radha et de Krishna. Les autres, les incorruptibles, ceux qui ne s'intéressaient qu'à l'esthétique, au sentiment pur, les sobres et les religieux, dépérirent. Pendant ces trois siècles, les adeptes de la culture védique connurent donc une agonie et une humiliation sans bornes. Mais la puissance dévastatrice de la dynastie « des esclaves » et sa longue domination ne réussit pas à éteindre complètement la ferveur religieuse, et la fin du quinzième siècle laissa entrevoir la lumière au bout du tunnel. Nadia, la ville où Chaitanya grandit, était un lieu de brahmanisme et d'érudition renommé sur tout le sous-continent indien. Les écoles de sanskrit de diverses tendances y abondaient. Les étudiants venaient de très loin pour apprendre les subtilités de la grammaire et de la logique, ce pourquoi Nadia était réputée. Chaitanya était un enfant extraordinairement beau et intelligent. Dès l'âge de huit ans, il maîtrisait la sémantique et la logique. Ses sœurs moururent toutes en bas-âge et son grand frère, Vishvarupe, loué pour sa connaissance des Ecritures et sa dévotion à Vishnu, quitta très jeune le domicile familial pour devenir un moine errant (on dit qu'il mourut peu de temps après). A quatorze ans, pour consoler ses parents qui ne se remettaient pas du départ de leur fils aîné, il se maria avec Lakshmipriya et fonda sa propre école pour subvenir à ses besoins. Il rejoignit ainsi les rangs de la prestigieuse élite de la ville. Sa victoire scolastique sur le célèbre pandit de notoriété nationale, Keshava Kashmir, nous permet de jauger sa valeur précoce. Contre toute attente, et au plus grand désespoir de ses proches, Chaitanya ne montra aucun attrait pour la bhakti, la religion de sa famille, et s'amusait au contraire à ridiculiser tout ce qui s'y rattachait. Envers des dévots respectables comme Shrivas Thakur, qui essayèrent de lui montrer les limites du savoir intellectuel, il gardait cependant une certaine forme de respect, les priant de le bénir afin qu'un jour peut-être il puisse lui aussi emprunter la voie de la bhakti. Le seul signe de dévotion qu'il ait jamais montré alors, fut lorsqu'il était bébé : le chant du mantra Hare Krishna, psalmodié par les visiteurs autour de son berceau, était le meilleur moyen pour arrêter ses pleurs. Mais ce qui était déroutant, c'est qu'au moment de sa naissance, un astrologue de renom avait annoncé qu'il deviendrait un jour un réformateur religieux incomparable. Peu de temps après son mariage, il entreprit un voyage pour visiter le village ancestral de ses parents et ramasser des fonds pour son école. Sa réputation de sanskritiste lui attira beaucoup d'élèves de familles aristocratiques : il venait aussi de publier un livre de grammaire qui faisait autorité. Pendant son absence, sa femme quitta ce monde. Certains disent que sa mort aurait été causée par la morsure d'un serpent, d'autres « par la morsure du serpent de la séparation... ». Sa mère, obsédée par l'idée que le seul fils qui lui restait puisse devenir sannyasi, le remaria tout de suite avec une chaste et adorable fille, Vishnupriya. C'est vers la fin de cette même année, alors qu'il avait seize ans, que son père mourut ( 1502 ). Afin de remplir les rituels appropriés pour le décès d'un proche, il se rendit l'année suivante à Gaya où il rencontra celui qui allait devenir son maître spirituel, Ishvara Puri, et prit l'initiation vaishnava. Ishvara était lui-même disciple d'une sommité de cette tradition, Madhavendra Puri. Depuis ce jour, sa vie changea. Une simple évocation de cette ville sainte ou la simple audition de son nom le jettera hors de lui. Prenant à cœur les instructions de son maître spirituel, il se mit à répéter inlassablement les saints Noms et inaugura le Mouvement du sankirtana, le chant en congrégation dans les rues des villes et des villages ( Cette pratique religieuse, sous son influence, allait par la suite, et tel qu'il l'avait prédit, se répandre à travers le monde entier ). Alors commença une renaissance spirituelle qui métamorphosa tout le Bengale, l'Orissa, le Bangladesh et les provinces avoisinantes. L'Inde entière avait soif de Dieu. En comparaison, le phénomène était inverse en Europe. Grâce à l'imprimerie et aux lunettes que l'on venait d'inventer, la lecture allait désormais bouleverser la pensée : on découvrait notamment les auteurs grecs et le pouvoir du savoir. Sous l'influence de la Renaissance et de ses précepteurs, la tendance s'orientait vers une philosophie humaniste ; Dieu cessait d'être le centre de gravité. La culture occidentale s'essayait au doute qui s'appliquait aux traditions transmises et jusqu'aux doctrines de l'Eglise. Celle-là réagit trop tard ; mais que pouvait-elle faire ? « La réflexion philosophique se sépare alors de la dévotion religieuse, la seconde relevant de l'ineffable et de la grâce, la première de la conscience et de la raison. » L'engouement se propagea aux savants de tous les milieux qui se passionnaient pour maîtriser les forces de la nature et exploiter les pouvoirs latents chez l'homme. On cherchait à subordonner les valeurs spirituelles aux valeurs matérielles et sensuelles. Le bras séculier entamait son schisme définitif avec l'Eglise et finira par la dominer. A partir du moment où Chaitanya s'engagea sur la voie de la bhakti, les choses évoluèrent rapidement. Ainsi, à plusieurs occasions, il dévoila sa nature divine : il est une manifestation égale à Vishnu ! Un grand nombre de personnalités dignes de foi confirmeront ce fait incroyable. Ils utiliseront les Ecritures pour prouver leurs affirmations. Voici quelques-uns des passages tirés respectivement du Padma, Vamana et Matsya Puranas : Kalau sankirtanarambhe bhavisyami sachi-suta. " Il apparaîtra dans l'âge de Kali (Kalau) pour répandre le mouvement de sankirtana (sankirtanarambhe) et prendra naissance comme le fils de Sachi ( sachi-suta )" ; "O Narada, prenant naissance du sein de Sachidevi, Je délivrerai la population de l'âge de Kali recouverte par une profonde ignorance et dont le comportement sera dénué de toutes bonnes vertus"; "Dans l'âge de Kali, Je Me manifesterai sous une forme allongée et élancée, au teint doré et la tête rasée. Je serai miséricordieux envers ceux qui chanteront les saints Noms sur les bords du Gange" . Ces démonstrations et les phénomènes qui entouraient cette réalité demeuraient tout de même le privilège de quelques dévots. Et bien que les caractéristiques exceptionnelles de Chaitanya paraissaient évidentes, il n'acceptera jamais qu'on s'adresse à lui — surtout pas en public — autrement que comme un dévot de Krishna. Quoi qu'il en soit, le fait de l'accepter comme Dieu ou de ne pas le reconnaître en tant que tel n'est pas un réquisit pour apprécier sa doctrine et sa mission, comme le spécifia Srila Bhaktivinode, un des prophètes vaishnavas ( 1838-1910 ) : Nous laissons le choix à nos lecteurs d'adopter la position qui leur convient vis-à-vis de la personnalité de Chaitanya. Les vaishnavas L'ont pour leur part reconnu comme le Seigneur suprême, Sri Krishna, Lui-même... Ceux qui ne sont pas prêts à envisager une telle acceptation peuvent considérer le Seigneur Chaitanya comme un noble et saint maître. En fait, c'est tout ce que nous attendons de nos lecteurs... Nous n'avons aucune objection non plus s'ils ne croient pas à Ses miracles, puisque de toute évidence les miracles seuls n'ont jamais fait la preuve quant à l'existence de Dieu. Des démons comme Ravana et autres ont aussi produit des miracles, mais ils n'ont pas été transformés en Dieu pour autant. C'est plutôt l'amour illimité et son influence subjuguante que l'on devrait percevoir en nul autre que Dieu Lui-même Pourtant, en 1510, lorsque Chaitanya aura vingt-quatre ans, il prendra le sannyasa, laissant derrière lui une ravissante jeune femme, Vishnupriya, âgée alors d'à peine seize ans. Il s'engagea dans cet ordre principalement pour étayer sa mission, car certaines classes de gens, les étudiants notamment, se moquaient de lui lorsqu'il chantait les noms des gopis, et les sannyasis, qui ne voyaient pas non plus d'un bon œil son Mouvement de sankirtana, le critiquaient parce qu'il ne faisait pas de l'étude des Vedas son intérêt principal. A la suite de cette grave décision, il promit à sa mère de ne pas rompre le contact avec elle, comme c'est la coutume lorsqu'on accepte le sannyasa et, par conséquent, il établit son quartier général à Jagannath Puri, d'où elle pourrait recevoir régulièrement de ses nouvelles. C'est là qu'il finira ses jours. Durant cette période, il consacrera six années à voyager d'un bout à l'autre de l'Inde, mais surtout dans le Sud. A Puri, il rencontra le fameux Sarvabhauma Bhattacharya, âgé d'environ quatre-vingts ans, qui était affilié à la succession des maîtres spirituels de Shankara. Il le convertit au vaishnavisme après avoir écouté pendant sept jours son interprétation du Vedanta-sutra. Le débat qui s'ensuivit a été dûment transcrit par les biographes de l'époque, dont Krishna Das Kaviraj. Cet événement est de première importance, car Sarvabhauma, en plus d'être le président du temple de Jagannath, était un érudit notoire, connu à travers toute la péninsule. S'il vivait à présent à Puri, c'est parce qu'il avait dû fuir le Bengale, sous les persécutions d'Hussain Shah, un roi musulman tyrannique. Là-bas, à Nadia, il avait fondé une école, dont l'enseignement était basé sur la logique et la dialectique et qui avait gagné tant de prestige que sa renommée éclipsait la célèbre école de Mithila, le plus important centre de savoir de cette époque dans le Nord de l'Inde. Le roi d'Orissa, qui l'avait en grande estime, le patronna. Peu de temps après s'être installé à Puri, Chaitanya commença à voyager à travers l'Inde. Il fit 6400 kilomètres à pied. Allant de village en village, il prêchait l'amour de Dieu en se servant particulièrement de la Bhagavad-gita et du Bhagavata Purana. Dans le Sud, il trouva deux ouvrages d'une grande importance pour les vaishnavas, car ils décrivent avec un détail inouï le monde spirituel et les activités de Krishna dans celui-ci; il s'agit de la Brahma-samhita et du Krishna-karnamrita. Il ne donnait cependant jamais de discours philosophiques en public. Son apostolat consistait à organiser des chants et des danses en congrégation, méthode par laquelle les participants goûtaient à un plaisir significatif. Si l'on avait à résumer les enseignements de Chaitanya, ce verset du Brihan-naradiya Purana serait le plus approprié, verset qu'il aimait lui-même à répéter : « Dans cet âge de Kali, le chant des Noms de Dieu, le chant des Noms de Dieu, le chant des Noms de Dieu nous reste le seul moyen pour nous sauver, il n'y a pas d'autre méthode, pas d'autre méthode, pas d'autre méthode. » En fait, avant lui, il n'y avait pas de doctrine systématique du saint Nom. Ce genre de pratique existait, mais il faisait partie de tout un ensemble d'activités spirituelles comme la méditation, l'adoration des formes de Dieu, l'écoute de la philosophie et des divertissements du Seigneur, etc. A cette époque, un individu pouvait passer un temps considérable à accomplir ses rituels et ses méditations journalières. Chaitanya ne s'y opposait pas ; il insistait simplement sur le fait de pratiquer le chant des saints Noms ( kirtane ), procédé à la portée de tous puisqu'il ne nécessite aucune condition préalable, alors que pour adorer les Déités, il faut être propre, ne pas avoir de relation sexuelle, être végétarien, et ainsi de suite. Mais pour le kirtane, rien de plus facile. Un enfant, une femme, un intouchable, un malade peuvent chanter, que l'on soit dans une salle de bain ou dans son lit, peu importe le moment et la situation. Et bien qu'il soit d'approche si simple, le kirtane en demeure néanmoins le plus bénéfique des procédés de réalisation spirituelle. Chaitanya ne nous a pas laissé d'héritage littéraire personnel, si ce n'est ces fameux huit versets sanskrits cités ci-dessous qui résument toute sa philosophie et qu'il récita en les commentant peu de temps avant de quitter ce monde. Gloire au sankirtana de Sri Krishna. De nos cœurs il balaie toutes choses impures accumulées au cours des âges, il éteint le feu brûlant de l'existence conditionnée, avec ses naissances et morts sans fin. Le Mouvement du sankirtana répand sur tous les hommes la bénédiction la plus grande, diffusant ses rayons comme la bienveillante lune. Ame du savoir spirituel, il fait croître l'océan de félicité absolue, il nous donne de savourer pleinement le nectar dont nous languissons sans cesse. Ton saint Nom peut seul, ô Seigneur, combler l'âme de toutes les grâces. Or, des Noms sublimes, Tu en possèdes à l'infini, tel Krishna, ou Govinda, que Tu as investis de toutes Tes puissances spirituelles ; pour les chanter, aucune règle stricte. Dans ton infinie miséricorde, ô Seigneur, Tu permets qu'on s'approche aisément de Toi par le chant de Tes saints Noms, mais dans mon infortune, je ne suis capable d'aucun attrait pour eux. Les saints Noms du Seigneur, on devrait les chanter sans prétention aucune, en toute humilité, en se considérant moins qu'un fétu de paille dans la rue, en devenant plus tolérant que l'arbre et toujours prêt à offrir à autrui ses respects. Dans un tel esprit, c'est alors qu'on peut sans fin chanter les saints Noms du Seigneur. O Seigneur tout-puissant ! Je n'aspire nullement aux richesses, je ne rêve pas de jolies femmes, et ne cherche pas de nombreux disciples. Je veux seulement m'absorber sans fin, vie après vie, dans Ton service d'amour pur et absolu. Je suis Ton serviteur éternel, ô Krishna, fils de Nanda Maharaj, et cependant, pour une raison ou une autre, me voilà déchu dans l'océan de l'existence matérielle. Je T'en prie donc, arrache-moi à ces vagues de morts et de renaissances, change-moi en un atome de poussière sous Tes pieds pareils-au-lotus. Quand donc, ô Seigneur, mes yeux se pareront-ils d'un flot incessant de larmes d'amour en récitant Tes saints Noms ? Quand donc mes paroles s'étrangleront-elles en prononçant Tes saints Noms, et quand donc tous les poils de mon corps se dresseront-ils au chant de Tes saints Noms ? Je Te sens si loin de moi, ô Govinda, que chaque instant me semble douze années ou plus, une éternité, et des torrents de larmes jaillissent de mes yeux. L'univers entier me paraît vide en Ton absence. Krishna demeure et demeurera toujours mon unique Seigneur, dût-Il m'écraser sous Son étreinte ou me briser le cœur par Son absence. Totale est Sa liberté d'agir à Sa guise en toutes circonstances, Il n'en reste pas moins l'éternel objet que j'adore, sans y mettre de conditions. Tout comme Krishna, qui sur le champ de bataille de Kurukshetra assigna aux Pandavas le devoir de rétablir les principes de la religion, Chaitanya confia à ses disciples la tâche de promulguer ses enseignements. Ramanuja avait déjà entrepris un travail monumental pour contrecarrer la philosophie moniste de Shankara : « Nous sommes pareils à Dieu, tout en étant différents » avait-il dit, mais il insistait sur la similarité plutôt que sur la différence ( vishishtadvaita ). Madva avait catégoriquement réfuté un quelconque rapprochement entre l'être et Dieu; selon lui, l'être individuel est absolument différent ( dvaita ). Chaitanya maria définitivement ces deux concepts en déclarant que l'être vivant participe de la même nature que Dieu en qualité tout en étant différent en quantité, il est inconcevablement, à la fois, un et différent ( achintya-bhedabheda- tattva ). En d'autres mots, puisque Dieu possède la beauté, le savoir, le renoncement, la puissance, la richesse et la renommée en quantité illimitée, nous en sommes aussi pourvus, mais dans une proportion plus restreinte. Prié par Sarvabhauma, il fit connaissance avec Ramananda Roy, un génie spirituel, avec lequel il discuta des sujets les plus ésotériques, notamment la relation entre Krishna et les gopis. Jusqu'à présent, la tradition vaishnava n'avait pas élaboré sur cette dimension intime, il n'y avait pas de concept théologique à proprement parler, à part quelques rares individus comme Jayadeva Goswami ( XIe ou XIIe siècle ) qui composa le Gita-Govinda, un des plus grands classiques de tous les temps. D'ailleurs, Chaitanya tirait beaucoup de satisfaction à lire cet ouvrage qui était, si on peut dire, son livre de chevet. Il y eut aussi, durant le quinzième siècle, Vidyapati et Chandidas dont Chaitanya appréciait grandement les œuvres. Il rencontra Rupa et Sanatana Goswami, deux frères extrêmement érudits qui devinrent ses disciples. Sur l'ordre de Chaitanya, ils s'installèrent à Vrindavane et se chargèrent de découvrir tous les lieux de divertissements de Radha et Krishna dont on ne retrouvait plus de traces apparentes. Ils écrivirent une profusion de livres concernant la perspective vaishnava spécifique à Radha et Krishna. Ils ne furent pas les seuls d'ailleurs, il y eut également Ragunath Das Goswami, Jiva Goswami, Prabodhananda Sarasvati, etc., et plus tard Sri Vishvanath Chakravarti, Baladeve Vidyabhusana, Bhaktivinode Thakur, son fils Bhaktisiddhanta et enfin, notre vénéré maître spirituel, Bhaktivedanta Swami Prabhupada, pour ne citer que les plus renommés de leur époque respective. Le sujet fort délicat qu'ils traitaient, – les divertissements amoureux du couple divin –, de nature complexe et purement spirituelle, est très difficile à concevoir pour les autres traditions religieuses, les matérialistes, et que dire des athées. Les discussions entre Chaitanya et ses disciples n'avaient pas de limite, comme c'est le cas dans la Bible où Jésus-Christ dit : « Il y a bien des choses que j'aimerais vous dire, mais que vos oreilles ne pourraient supporter » ( Jean 16/ 12 ), et dans le Hadith, où le prophète Mahomet tient le même genre de propos : « Je me suis adressé aux hommes selon leur capacité mentale à assimiler. » Bref, les rapports entre Chaitanya et ces saints hommes, ainsi que leurs écrits, nous permettent de sonder sa personnalité et la raison de sa venue sur terre. Les dernières années de la vie de Chaitanya ne pourraient être décrites sans soulever l'incrédulité chez le lecteur profane. Les symptômes d'extase qui le subjuguaient n'ont jamais été vus ( à ma connaissance ) chez d'autres saints. Un jour, par exemple, on l'a retrouvé dans une étable au milieu des vaches qui flairaient son corps inconscient. Les cuisses et les bras étaient rentrés dans le tronc ! tout comme les membres d'une tortue. De sa bouche coulait de la bave et ses yeux pleuraient. Il avait l'air d'une énorme citrouille. Les dévots, bien sûr, essayèrent de le ranimer, mais, n'y parvenant pas, ils le transportèrent ailleurs. Là, après qu'ils aient longuement chanté à voix haute le mantra Hare Krishna, il revint doucement à lui et au fur et à mesure son corps reprit sa forme normale. D'abord, il se leva et sembla chercher quelque chose, et il regardait ici et là ; puis, quand il s'aperçut qu'il était entouré de ses dévots, il se rassit et leur dit : « Pourquoi suis-je ici ? » et se ressaisissant, il continua : « J'ai entendu la flûte de Krishna et je suis allé à Vrindavane. Et je L'ai vu, j'ai vu Krishna, le fils de Nanda Maharaj qui jouait de la flûte dans un champ. A un moment donné, de la pointe de Sa flûte, Il indiqua à Radha où elle devait se rendre. En catimini, je me suis glissé derrière des buissons et je Les ai épiés. D'abord, je n'entendais que le cliquetis de Leurs bijoux, mais en me rapprochant encore, je Les ai vus ! Ils jouaient ensemble ; Ils Se parlaient et faisaient des plaisanteries. J'étais tellement heureux... et vous êtes venus... vous faisiez tout ce tapage, puis vous m'avez ramené en ces lieux... » C'est dans un tel état d'esprit que Chaitanya passa les douze années précédant sa disparition. Seuls ses disciples intimes pouvaient encore le comprendre et s'occuper de lui. Quant à son départ de ce monde, il est entouré de mystère. C'était en 1534 ; il avait alors 48 ans. |