Femme Actuelle 24/30 mai 1999, page 106
Manger cru guérit les maladies, il faut suivre ses instincts, prétend un gourou même les plus bas... Aujourd'hui il attend d'être jugé et son entreprise est toujours florissante.
Au château de Montramé, près de Provins, Guy-Claude Burger organisait, entre autres, des stages "d'instinctothérapie". Soi-disant, pour guérir ! |
Jérémie*, 20 ans, est triste : son père spirituel, gourou de la secte xxx (nom propre supprimé le 16-10-2002), est en prison depuis juillet 1997, accusé d'avoir abusé d'enfants. Mais le jeune homme n'y croit pas : "Guy-Claude Burger est un ami. II n'a jamais fait de mal à personne."
Jérémie a quitté sa mère médecin il y a cinq ans, pour vivre aux côtés du Maître:
"Et malgré ces persécutions injustes, nous continuons à faire fonctionner la communauté". Avec une trentaine de disciples, il vit au château de Montramé, à côté de Provins, en région parisienne. Les adeptes vendent par correspondance des produits "naturels" : légumes, fruits, viande ou poisson, même pas biologiques, juste crus !
La secte organise aussi des
stages d'instinctothérapie. On y apprend à manger
cru ce dont on a envie, au moment où on le désire.
Pour se protéger et guérir du cancer, sida, leucémie,
sclérose en plaques, etc., il suffit de renifler et de
se laisser tenter par l'odeur d'un fruit, légume, morceau
de viande... et de le dévorer! En un mot suivre son instinct.
A 24 ans, la justice l'a déjà épinglé
pour attentat à la pudeur
Le fondateur de la secte ayant été condamné en 1997 pour exercice illégal de la médecine, personne ne dit plus très fort que manger cru soigne toutes ces maladies. Ce qui n'empêche pas les affaires de continuer: expéditions d'aliments et organisations de stages pour naïfs.
Toutefois, si ce monsieur de 65 ans est en prison, c'est pour une autre raison. Il est accusé d'actes sexuels sur des enfants qui vivaient avec lui et ses disciples. Des pratiques que sa théorie professe. Car, outre le régime alimentaire, Guy-Claude Burger recommande de ne pas brimer les désirs amoureux des enfants, sous peine d'en faire plus tard des délinquants ou des adultes agressifs. Il estime même que le tabou de l'inceste, qui interdit les relations sexuelles parents-enfants, est à la base des maux de la société. Bref, là aussi, faire confiance à son instinct pour "qu'une énergie spirituelle et psychique flotte au dessus de la communauté".
Cette histoire effrayante commence en 1978, quand un tribunal suisse juge Guy-Claude et Nicole Burger, parents de six enfants. Lui vient de Lausanne où il est né en 1934. Un scientifique, docteur en physique, mais aussi musicien de talent qui donne des concerts de violoncelle. A 24 ans, la justice l'a déjà épinglé pour attentat à la pudeur sur mineurs: un an de prison avec sursis. Vingt ans plus tard, en 1978, c'est plus grave: débauche contre nature. Avec son épouse, ils ont mêlé à leurs ébats des adolescents, une fillette de 9 ans et leur fils Christian, âgé d'une dizaine d'années. Les juges le condamnent à quatre ans de prison et sa femme à dix-huit mois avec sursis. C'est peu au regard de la gravité des faits, d'autant que Burger maintient la justesse de sa théorie, tout en promettant de ne pas recommencer, puisque la loi l'interdit !
Après sa libération, la petite tribu, enrichie de disciples, voyage beaucoup, au Mexique, en France. Burger cherche un lieu où installer son centre d'alimentation instinctive. En 1983, il déniche le château de Montramé, une ruine du XIVe près de Provins, que les "stagiaires" remettront vite en état. Car les adeptes, attirés par la méthode diététique miraculeuse, affluent aux sessions de formation, malgré les prix prohibitifs. Viennent aussi des ados, des enfants, avec leurs parents, ou carrément confiés au couple purger.
Des bruits courent dans la région : il y aurait d'étranges pratiques au château
Bientôt, des bruits courent dans la région. Ils évoquent "les étranges pratiques du château". Mais rien de précis. Certains parents disent avoir téléphoné au tribunal de Melun ou à la mairie de Provins. Mais aucun n'est allé jusqu'à dénoncer la secte par écrit. Sauf une jeune fille, soignée et séduite par Burger,qui a été témoin d'un fait: une fillette de 10 ans serait passée dans le lit du gourou. En quittant le château, cette jeune fille le dénonce. La justice organise une confrontation entre elle et la fillette. Mais préparée à l'interrogatoire, la petite nie tout et le dossier est enterré.
En 1988, la Ddass qui a connaissance de "problèmes sexuels au château" dit qu'elle va "saisir le procureur". Un peu plus tard, le maire de Soissy, village où est situé le château, demande à la Ddass de ne pas autoriser de colonies de vacances dans le parc de Montramé. En 1990, Burger publie un livre, Les enfants du crime, où il développe sa théorie habituelle sur les pulsions sexuelles et incestueuses des enfants qu'il serait dangereux de refouler.
On apprendra plus tard que d'étranges événements se seraient déroulés au château durant toutes ces années. Un ancien adepte confiera à une journaliste de L'Express que "des enfants du village qui venaient travailler avec nous pour quelques fruits se faisaient caresser les fesses et embrasser sur la bouche". I1 aurait vu une adolescente "transformée en objet sexuel à son corps défendant", une fillette de 5 ans, un bébé de 2 ans qui "se faisaient constamment embêter..."
En 1995, un jeune scout de 13 ans accuse Christian Burger, le fils aîné de la famille (celui qui a été "initié" par ses parents), d'agression sexuelle lors d'un voyage aux Etats-Unis. En mai 1997, la justice condamne le fils Burger. Mais il n'est plus là pour entendre et subir la sentence: il s'est enfui avec deux jeunes femmes et leurs enfants de 6 et 4 ans, et court toujours malgré un mandat d'arrêt international. Avant de se sauver, il aurait vidé les comptes bancaires que sa famille planquait en Suisse.
En décembre 1995, la commission d'enquête parlementaire répertorie l'association comme secte. En juin 1997, L'Express publie une enquête sur l'affaire. L'article ayant fait grand bruit, personne ne peut plus ignorer ce qui se passe au château. En juillet, Guy-Claude Burger est enfin arrêté et mis en prison en attendant son procès. L'instruction est longue car les juges ont du mal à retrouver les témoins. Et puis les petites victimes n'ont pas envie de remuer de vieux et douloureux souvenir.
L'instruction sera longue, les juges peinent à retrouver des témoins
Aujourd'hui, Jérémie est indigné. Pour lui, cette histoire est une cabale montée par la presse. II ne montre aucun doute sur le comportement de son père spirituel qui a pourtant été condamné dans le passé pour des faits similaires : "Ce n'est pas parcequ'il a fait des choses en Suisse qu'il a récidivé !" Peut-être. "Mais pourquoi a-t-il fait ces choses ?" Réponse: "Parce qu'il est bon de répondre au besoin d'amour - y compris physique - des enfants. Je pense pareil. Seul le codee pénal l'interdit".
Hélène Crié
' Par souci
d'anonymat les prénoms ont été changés.