Extrait du livre de Guy-Claude Burger

Instinctothérapie, Manger Vrai

éditions du Rocher, 1990

(pages 35 à 57)

Première partie

"Dans l'instinct est la seule vérité, l'unique certitude que l'humanité puisse jamais saisir en cette vie illusoire où les trois quarts de nos maux viennent de la pensée". Anatole France

- Aux dernières nouvelles, il parait que la guerre du cru bat son plein: on parle de vous dans les journaux, à la radio, à la télévision. Le gourou scandaleux qui prétend guérir le sida en faisant manger cru, et en suivant son instinct...

J'adore le scandale. Mais je n'ai rien d'un gourou, si ce n'est les cheveux longs.

- Pour ma part, je n'ai jamais ressenti aucun instinct diététique particulier, sanf celui de me jeter sur les chocolats et les petits gâteaux. Mais commencez peut-être par me raconter comment est née votre instinctothérapie

Dans un chou. Un chou rouge plus exactement.

- Sérieusement?

GCB :Tout à fait. Je parle toujours sérieusement. C'était pendant la dernière tournée de concerts que j'ai faite, en 1964, aux Etats-Unis. Un voyage de deux mois, avec une quarantaine de concerts dans toutes les grandes villes de l'Est américain. A cette époque, je me croyais encore fait pour la carrière de concertiste. Vous savez que les Américains sont tenus par la loi d'indiquer tous les produits chimiques dont ils agrémentent leur alimentation. Imaginez l'appétit que vous ressentiriez àvoir dans ce que vous achetez, chaque jour au magasin, une liste de conservateurs, d'édulcorants, de colorants, d'émulsionnants, d'adjuvants, dont on connaît trop bien les vertus cancérigènes...

- Vous aviez déjà eu votre maladie ?

En effet, j'étais joliment sensibilisé au problème. Alors plutôt que de m'empoisonner avec ces ingrédients douteux, je pris la sage décision d'acheter des produits « organic grown» et de faire ma cuisine moi-méme, dans mes chambres d'hôtel. J'avais emporté un petit réchaud, en principe pour me faire du thé, ce qui s'avéra vite impossible, étant donné la quantité de chlore qui parfumait l'eau des robinets. A l'époque, il me fallait deux à trois tasses de thé avant chaque concert, pour être bien en forme. Sans excitant, j'avais toujours des problèmes d'agilité musculaire. J'avais alors pensé qu'avec ce réchaud, je pourrais au moins me cuire un potage ou quelques pâtes de temps à autre, pour compléter mes pique-niques. Mais voilà qu'en essayant de brancher la prise, qui ne correspondait pas au standard américain, je me fis atrocement secouer par le secteur. Je ressentis cela comme un signe du destin et décidai de manger tout cru...

- Vous n'aviez pas peur de manquer d'énergie sans rien de chaud dans l'estomac ? On dit que le violoncelle demande beaucoup d'endurance...

En fait, j'avais plutôt observé le contraire. Chaque fois que je prenais un bon repas bien cuisiné avant de jouer, je n'étais pas en forme, alors qu'en mangeant simplement quelques fruits, j'avais le maximum de rendement. Je me rattrapais généralement sur les petits gateaux dans les après-concerts... J'ai toujours été très gourmand !

J'avisai donc un « health food » (un magasin de régime) où je pus trouver toute une série de fruits, du miel en rayons, des avocats, quelques légumes, des tomates, et ce fameux chou rouge. J'entassai le tout dans ma valise, à côté de mon frac, de ma chemise blanche et de mes souliers vernis...

- Je croyais que vous étiez contre les mélanges...

C'est ainsi que je fus amené à manger cent pour cent cru pendant un temps suffisamment long pour faire une étrange observation: en goûtant une feuille de mon chou rouge, la première fois, je lui trouvai une saveur délicieuse. Je me dis aussitôt: « Fantastiques, ces choux rouges biologiques américains, inutile d'y ajouter du sel, de l'huile et du vinaigre ! » Seulement, le lendemain, quand je goûtai une autre feuille du même chou, voilà qu'elle me piqua la langue avec une saveur parfaitement désagréable. La feuille suivante me parut encore pire. Ma première hypothèse, pour expliquer un changement si brusque, fut que ce malheureux lépume n'avait pas supporté le voyage, qu'il avait rapidement vieilli pendant le transport... Quelques jours plus tard, je me hasardai à le goûter pour voir s'il s'était gâté davantage. Surprise: il me parut aussi bon qu'au premier jour! Mon explication s'effondrait, il n'avait certainement pas rajeuni...ll fallait admettre que quelque chose avait changé en moi, et non dans le chou.

S'agissait-il d'un mécanisme prévu dans mon organisme pour me pousser à absorber un produit répondant à un besoin, et à le rejeter s'il était superflu: une sorte d'instinct diététique, en quelque sorte ? J'écrivis aussitôt la chose à ma femme. Mais cette idée me parut extravagante, et je l'oubliai dès mon retour en Europe.

- Pourtant, c'est bien ce que vous enseignez un quart de siècle plus tard... Franchement, I'instinct peut-il encore nous servir à quelque chose, dans nos sociétés civilisées ?

Il y a des ambiguités dans la notion d'instinct. On parle de l'instinct alimentaire des animaux comme d'une sorte de science infuse qui leur permettrait de découvrir les aliments qui leur conviennent, d'éviter ceux qui pourraient les empoisonner, de savoir qu'ils doivent jeûner quand ils sont malades. En fait, on ne sait pas du tout ce qu'ils ressentent pour les diriger dans ces différentes situations. Mais le fait est que ça marche.

Chez l'homme, en revanche, on croit que tout instinct est perdu, que seule l'intelligence peut encore lui permettre de survivre. C'est faux: I'instinct est prêt à fonctionner. Même l'instinct alimentaire. Il suffit pour cela de placer l'organisme dans les conditions où cet instinct a pu, à l'origine, se mettre au point. On dirait aujourd'hui: se programmer génétiquement.

- Quelles sont ces conditions, d'après vous ?

L'instinct alimentaire s'exprime par des changements d'odeur, de goût, de saveur et même de consistance des aliments. Prenons l'exemple de l'herbe aux chats: quand on voit un de ces petits félins se précipiter sur une touffe de cataire ou de valériane, on a l'impression qu'il s'agit d'une sorte de prescience, d'une intuition qui guide l'animal vers ce qui lui permettra de régler ses problèmes intestinaux. Nous ne pouvons évidemment pas demander au chat ce qu'il ressent. Pour comprendre ce qui lui arrive, il faudrait l'avoir vécu soi-même. En réalité, au moment où le chat a besoin de se purger, c'est très certainement l'odeur de l'herbe qui change pour lui, prenant le pas sur les autres odeurs présentes dans l'atmosphère et l'attirant droit au but.

Dans le cerveau du chat, il y a des centres instinctifs qui répriment les odeurs des aliments dont il n'a pas besoin, laissant émerger l'odeur de l'aliment qui lui est le plus utile. Dans son univers olfactif (chez les félins le sens de l'odorat joue un rôle plus important que la vue), le chat ne perçoit plus que l'herbe dont il a besoin. Il la repère facilement grâce au sens du relief que lui donnent ses deux narines. Arrivé sur place, il la goûte, et si le goût lui parâît agréable, il l'avale.

Le chat ne peut évidemment pas se dire: «Je suis constipé depuis deux jours, j'ai besoin de me purger ! »Il faut que l'herbe ait bonne odeur et bon goût pour lui, sinon il ne la mangerait pas.

Puis, tout à coup, il s'arrête. A-t-il lu dans un manuel de phytothérapie qu'une plante médicinale peut devenir dangereuse au-delà d'une certaine dose ? Non, simplement l'herbe a pris pour lui une saveur désagréable. Observez votre chat la prochaine fois. Vous constaterez que son comportement s'explique parfaitement de cette façon.

L'instinct alimentaire s'exprime principalement par des changements dans la perception des odeurs et des goûts. C'est ainsi que tous les animaux de la création ont toujours su établir quantitativement et qualitativement leur équilibre alimentaire optimal.

Chez l'homme, cela fonctionne encore, mais seulement avec des aliments qui ont existé de tout temps dans la nature.

- Ça ne marche donc pas avec les chocolats et les petits gâteaux ?

Ni avec aucun mets cuisiné. On croit que l'instinct est perdu: en fait, nous le court-circuitons jour après jour à coups d'artifices culinaires. Les recettes de cuisine consistent à camoufler les aliments sous des apparences qui flattent nos mécanismes gustatifs...

- La cuisine ne servirait qu'à embrouiller les organes des sens ? Le feu a pourtant permis à l 'humanité de traverser des périodes de famine, dans les temps préhistoriques...

Permettez-moi d'en douter; personne n'est allé le vérifier sur place ! Mais ça ne change rien au problème: même s'il était démontré que la cuisson ait permis de survivre à la disette, cela ne signifierait pas qu'elle soit sans nuisance pour notre santé. En toute logique...

- Vous ne regrettez pas l'entrecôte aux morilles, les bons fromages suisses, le chambertin... Tout cela fait partie de notre culture !

Sans la santé, à quoi sert la culture ?

- Parce que vous croyez que le fait de tromper l'instinct, comme vous le dites, puisse avoir une influence sur la santé ?

Infiniment plus qu'il ne semble à première vue. Cela compromet, pour commencer, toute la régulation digestive telle qu'elle était prévue à l'origine. Quand on mange une entrecôte aux morilles ou n'importe quel mets bien apprêté (une salade mexicaine, une glace aux fruits de la passion), on ne ressent aucun changement de goût précis qui indique quand la dose est suffisante. On ne peut pas savoir quand le besoin est couvert, ni quand le potentiel digestif risque d'être dépassé. Ni même si le besoin existe. Il y a bien certaines sensations de réplétion ou d'écoeurement, mais c'est tout autre chose.

- J'ai peine à croire qu'un changement de saveur puisse véritablement empêcher de manger un fruit.

La différence de goût entre le moment où l'on a besoin d'un fruit de la passion, par exemple, et le moment où l'on n'en a plus besoin est énorme, quand le corps n'est pas trop perturbé par les désordres culinaires. Dans le premier cas, on le trouvera merveilleusement parfumé, un bouquet qui dépasse de loin les meilleurs crus; dans le second cas, on butera sur une acidité telle qu'il sera strictement impossible de l'avaler. Cette modification du goût ne se produit pas lorsque le fruit a été dénaturé, par exemple une glace aux fruits de la passion parâîtra toujours bonne au palais, autant que vous en mangiez. Le fruit a été écrasé pour en extraire le jus, puis mélangé au sucre et à la crème; les réactions chimiques entrâînées par cette opération provoquent des modifications dans les substances aromatiques qui normalement devraient permettre à nos papilles gustatives de repérer le moment de l'arrêt instinctif.

- A vous entendre, vous ne devez pas porter les restaurants dans votre coeur...

Disons que je ne les porte pas dans mon estomac. Mon coeur n'a rien à reprocher aux restaurateurs, ils font leur métier aussi bien qu'ils peuvent. C'est le phénomène «cuisine» qu'il faut prendre dans le collimateur. Depuis des millénaires, on pense gastronomie, on court après le plaisir gustatif sans se préoccuper sérieusement de sa signification. Je crois, hélas, que la gourmandise se paie au prix de la santé. Cela me parâît un peu cher.

- Sait-on à quelle époque la cuisine est apparue dans l'histoire de l'humanité ?

Je crois que l'on peut faire remonter la pratique culinaire régulière au début de la sédentarisation, soit àenviron dix mille ans avant notre ère. A partir de ce moment-là, on commence à cultiver les céréales; on voit se développer la poterie, les fours à pain, la fabrication des récipients métalliques; la domestication de la chèvre puis de la vache rend possible la consommation du lait animal et des différents produits laitiers; il y a quelque sept mille à huit mille ans.

- Pourtant, si l'on considère les peuplades les plus sauvages, les plus originelles de notre planète, on peut constater que toutes cuisent au moins une partie de leur nourriture. D'aucuns certifient même que toute culture repose sur la cuisson. N'allez-vous donc pas àl'encontre d'un mode de vie intrinsèquement lié à la nature humaine, en préconisant ce retour au .. cru » ?

C'est une question qui m'a préoccupé pendant très longtemps. Tous les animaux mangent cru. Pourquoi l'homme doit-il apprêter sa nourriture ? Comment i savoir s'il n'y a pas là une erreur qui serait cause de beaucoup de troubles ou si, au contraire, cela fait partie intégrante de la condition humaine. Il y a longtemps que le monde de la science aurait dû se pencher sur cette question: c'est la santé de l'humanité entière qui i en dépend, sans oublier celle des animaux domesti- ;, ques. Il me semble urgent de déterminer quelles sont les conséquences réelles de la cuisson et de la cuisine en général; et, si ces conséquences se révèlent néfastes, de comprendre par quels mécanismes nous en sommes arrivés à généraliser ces pratiques.

Il ne suffit pas de se dire: «Il y a des siècles que l'on agit de cette façon, I'organisme s'est certainement adapté », comme on le pense ordinairement. Pour avancer dans la connaissance, il faut être capable de remettre objectivement les choses en question, même s'il s'agit de traditions ancestrales.

Quand je commençai mes recherches, il y a une trentaine d'années, on ne s'inquiétait guère des effets de la cuisson. On affirmait ingénument qu'elle avait une valeur de prédigestion.

- N'a-t-elle pas permis à l'homme d'économiser une énergie digestive qu'il a pu mettre au service de son développement intellectuel ?

Il faut étre préhistorien pour inventer ce genre de canular: croyez-vous que le chimpanzé n'a pas su découvrir les mathématiques par suite d'un manque d'énergie imputable à la digestion des aliments naturels qui constituent son ordinaire depuis des millions d'années ?

- Ce n'est pourtant pas par hasard qu'on trouve le feu à l'origine de toutes les civilisations.

Etes-vous sûre que l'Histoire ne commence pas précisément là où commencent les histoires ?...

- Que faites-vous de tout cet essor de la culture ?  Il y a eu des réalisations fantastiques !

C'est vrai : la pollution, la guerre des étoiles, le sida... On est en net progrès sur l'orang-outan.

Très honnêtement, je ne sais pas si le type de civilisation dont nous sommes les bienheureux héritiers doit être mis à l'actif ou au passif des lois de l'évolution.

- Vous ne pouvez pas nier que l'intelligence s'est développée comme elle ne l'a jamais fait auparavant...

Etrange, alors, que nous ne sachions plus vivre en « bonne intelligence »... Trouvez-vous vraiment que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Candide a déjà deux siècles...

- C'est vrai qu 'il y a beaucoup de choses qui ne vont pas... Il y a des siècles que cela dure, mais ne serait-ce pas pire encore si nous mangions comme des animaux ?

Vous me faites penser à une remarque qu'on m'a faite plus d'une fois dans les débuts: «Avec une nourriture de sauvages, vos enfants ne pourront jamais développer une intelligence de civilisés» !

Les faits ont démontré le contraire tous mes gosses sont devenus des têtes de classe, sans qu'on les pousse d'aucune façon. Le cerveau fonctionne beaucoup mieux avec une alimentation naturelle, comme le reste de l'organisme...

- La cuisson permet tout de même de consommer les aliments qui ne seraient pas mangeables à l'état cru.

Gandhi écrit exactement la même chose dans son autobiographie. Puis il se pose une question qui me parâ~t fort pertinente: « Peut-être faudrait-il justement ne pas manger les aliments qui ne sont pas mangeables sans cuisson... »

Il me semble qu'avec ce qu'on sait aujourd'hui sur les effets biochimiques de la chaleur, il n'y a plus guère àtergiverser. Mais les découvertes scientifiques, surtout celles qui dérangent nos habitudes, mettent longtemps à passer dans le public.

- De quelles découvertes voulez-vous parler ?

En 1916, par exemple, un chimiste aromaticien du nom de Maillard s'était proposé d'isoler les substances qui donnent aux aliments cuits leurs saveurs caractéristiques. Tels les goûts du pain, du chocolat, du café. Après les avoir identifiées, il envisageait sans doute de les fabriquer artificiellement afin de les ajouter aux produits de l'industrie alimentaire et d'augmenter le pouvoir de séduction que ceux-ci pouvaient exercer sur le palais des consommateurs...

- Les prémices de l'aliment de synthèse ?

Il fallait déterminer la structure exacte de ces molécules avant qu'il soit question de les synthétiser. Or il s'avéra qu'elles provenaient de réactions chimiques très complexes et très aléatoires entre les sucres et les protéines, et qu'elles apparaissaient avec une facilité surprenante dès qu'on chauffait n'importe quel aliment, méme à température modérée. Maillard voulut s'assurer de l'innocuité de ces substances culinaires prometteuses, qu'on appela dès lors molécules de Maillard. Il les administra à des rats. Hélas ! il y eut de petits ennuis: des reins hypertrophiés, des foies nécrosés. Les pauvres animaux moururent lamentablement. Mais on se dépêcha d'oublier ces témoins gênants. Ils étaient trop compromettants pour une industrie alimentaire qui se croyait encore tout permis ! Il fallut attendre jusqu'après la Seconde Guerre mondiale pour que quelques biochimistes daignent à nouveau se pencher sur le problème. Les recherches demeurèrent longtemps sans progression notable, jusqu'en 1982 (soit dix-huit ans après le début de mes travaux), date à laquelle nos savants nous donnèrent pour la première fois une estimation du nombre des substances anormales qui apparaissent sous l'effet de la cuisson.

- Pourquoi dites-vous "substances anormales" ? Ily a sans doute aussi toutes sortes de substances compliquées dans les aliments crus ?

Les substances dérivées de la cuisson n'existent dans aucun aliment naturel; elles n'ont jamais figuré dans l'alimentation humaine avant l'ère culinaire.

- Les recettes de cuisine créent donc des substances nouvelles ?

Bien sûr et ça, le public l'ignore. On ne voit pas à l'oeil nu ce qui se passe dans une casserole à l'échelle moléculaire.

Quand un chimiste réunit deux substances dans une éprouvette et qu'ensuite il chauffe le mélange sur un bec Bunsen, ça bouillonne, ça flocule, ça change de couleur, ou ça explose suivant les cas. C'est qu'une matière nouvelle a remplacé les précédentes. La chaleur a fait entrer en collision les molécules des substances mises en présence, et celles-ci, sous l'effet des chocs, ont pu tout à coup s'accrocher deux à deux pour former des molécules d'une espèce nouvelle, donc une substance nouvelle. C'est exactement la même chose qui se passe lors de la cuisson des aliments, sauf qu'il ne s'agit pas de deux, mais d'un nombre incalculable de molécules mises en présence.

Dans la simple pomme de terre grillée, on a pu dénombrer déjà 450 dérivés de toutes sortes. On leur a même donné un joli nom: espèces chimiques nouvelles, ou E.C.N.

- Et sait-on ce que deviennent ces molécules dans l'organisme ?

Pour commencer, on en a étudié une bonne cinquantaine, qui se sont révélées soit peroxydantes, soit antioxydantes, soit toxiques, voire mutagènes, c'est-à-dire qu'elles pourraient causer des dommages dans le noyau de nos cellules et provoquer des cancers...

- La pomme de terre est peut-étre particulièrement apte à la production de substances nocives ?

Rassurez-vous, ce qui a été démontré pour la pomme de terre grillée, qui est une préparation relativement simple, sera plus grave avec des mets plus compliqués. Prenons par exemple, la pomme de terre au gratin. En chauffant, on va provoquer l'apparition d'un éventail extraordinaire de réactions chimiques: 450 substances dans la pomme de terre, et probablement davantage dans le fromage qui est très complexe sur le plan biochimique. Non seulement ces molécules indésirables vont additionner leurs effets, mais elles pourront aussi se prêter à toutes les combinaisons possibles entre elles. Ce seront donc des dizaines de milliers de substances anormales qui pourront jaillir d'une cuisson où n'entrent encore que deux aliments. Songez au résultat des préparations culinaires où l'on accumule une kyrielle d'ingrédients de toutes provenances...

- C'est très inquiétant ce que vous m'apprenez là: je ne vais plus rien oser cuire dans mes casseroles ! Et le four à micro-ondes que je viens de faire installer... Dites-moi au moins que mon four à micro-ondes...

Navré, dès qu'il y a échauffement, quelle que soit la méthode de cuisson utilisée, il y a dénaturation moléculaire.

- Mais si l'on cuit à peine, certains parlent aujourd'hui de .. décrudir les légumes, pour les rendre juste un peu plus digestes...

Un légume dont l'organisme a besoin est parfaitement digestible à l'état cru, il suffit de le manger seulement lorsque l'instinct le commande, les enzymes répondent automatiquement à l'appel.

Quant aux lépumes «décrudis», c'est-à-dire soumis àdes températures de 60 à 80 °C pendant un temps plus ou moins long, les choses ne sont pas si simples qu'il y parâ~t. On raisonne généralement en se disant que moins l'aliment est dénaturé, moins il est toxique. Or cette règle de proportionnalité est loin d'être démontrée. Les dérivés les plus dangereux n'apparaissent pas forcément aux températures les plus hautes. Si vous voulez être sûre d'échapper aux sévices de ces substances culinaires, mieux vaut travailler à l'autre bout de l'échelle des températures, en poussant votre four ordinaire assez fort pour garantir la carbonisation complète. Le carbone pur n'est certainement pas toxique! Je crois qu'il faut se rendre à l'évidence: pour qu'une cuisson serve à quelque chose, elle doit changer la saveur ou la consistance de l'aliment. Et le changement de saveur ou de consistance va justement de pair avec les transformations moléculaires.

- Donc, même mon four à micro-ondes...

Comme je vous le disais, on peut craindre que des molécules légèrement dénaturées soient plus dangereuses que des molécules complètement dénaturées.

L'organisme reconnaîtra plus facilement les secondes, alors que les premières déjoueront plus insidieusement ses mécanismes de défense.

- Alors, la seule solution serait de manger tout cru ?...

C'est bien la conclusion à laquelle sont arrivés quelques nutritionnistes d'avant-garde, parmi les plus officiels...

Par exemple au congrès de Copenhague sur la nutrition en 1988, on entendait dire qu'il valait mieux manger le plus cru possible, même cent pour cent cru, y compris la viande...

- Comment se fait-il que ces choses ne soient pas plus connues du public ?

Je ne crois pas qu'actuellement beaucoup de savants se penchent sérieusement sur le problème. Tout est question de subsides, et personne n'a intérêt à financer ou à faire connaître ce genre de travaux. Ni l'industrie alimentaire, ni l'industrie chimique, ni la médecine, pour des raisons faciles à comprendre, ni même la majorité de la population qui préfère la gourmandise àla santé...

- Evidemment, ça remet tout en question ! Mais je ne comprends pas qu'on ait laissé passer bientôt trois quarts de siècle depuis Maillard et qu'on ne soit toujours pas plus avancé...

On a cru pendant longtemps que la Terre était le centre du monde, comme on croit aujourd'hui que la casserole est le centre de l'existence. Entre Copernic et Galilée, il s'est écoulé plus d'un siècle, le second dut nier l'évidence en plein tribunal pour ne pas se faire cuire sur un bûcher! Les croyances populaires sont longues à déraciner. Et le tabou gastronomique est bien plus dur à cuire qu' un tabou... astronomique. Le tube digestif nous touche de plus près que les étoiles...

- On a tout de même fait quelques progrès. Le cas de la pomme de terre grillée n'a-t-il pas été publié dans une revue scientifique ?

Bien sûr. Dans les Cahiers de nutrition et de diététique, une excellente revue créée à l'instigation du professeur Trémolières, l'ancien grand patron français de la diététique, mort il y a quelques années. Mais on y dit les choses du bout des lèvres. On a peur de choquer. Par exemple, cet article est intitulé: « Pyrolyse des aliments et risques de toxicité ».

- Pyrolyse» ? Que signifie ce vocable ?

C'est un petit euphémisme très scientifique pour dire «cuisson», en moins compromettant. Etymologiquement: pyros, le feu et lysis, décomposition. D'après le dictionnaire, pyrolyse signifie exactement décomposition par l'effet de la chaleur seule.

C'est effectivement la décomposition des molécules alimentaires, leur « prédigestion » si vous préférez, qu'on cherche à obtenir par la cuisson. Mais on fabrique en même temps un grand nombre de molécules parasites, surtout dans les parties des aliments qui ont été soumises aux températures les plus élevées, par exemple la croûte du pain, les zones noircies des grillades ou des fritures, etc. Dans les parties moins violemment atteintes, il y en a moins, mais la production des molécules de Maillard par exemple (protéines + sucres) commence déjà à des températures modérées, sans qu'un brunissement quelconque de la matière ne révèle leur présence quand leur concentration n'est pas suffisante.

Nos savants doivent se sentir un peu gênés de n'avoir pas abordé plus tôt cette question cruciale, eux qui sont censément responsables de la santé du monde. J'ai été l'objet de réactions très agressives chaque fois que je me suis permis de soulever le lièvre; des réactions tout à fait irrationnelles, même de la part de scientifiques apparemment ouverts à une remise en cause de l'alimentation.

Des raisonnements de ce genre, par exemple: « Il est vraisemblable que la muqueuse intestinale possède des enzymes capables de détoxiquer les molécules de Maillard; supprimer tout ce qui est rôti serait une extrapolation scientifique parfaitement hasardeuse; le mieux est de s'en tenir à une hygiène alimentaire bien connue en diététique, viandes et poissons correctement grillés, sans trop d'abus. » Paru dans le journal de la ligue suisse contre le cancer.

Comme on n'a pas prouvé que le danger existe, le dan-ger n'existe pas... et on conforte doctement le public dans ses habitudes. Une attitude vraiment rationnelle consisterait plutôt à se demander quels sont les effets des substances parasites issues de la pyrolyse au cas où les enzymes intestinales ne s'avèrent pas capables de les détoxiquer complètement, vu que cela n'a pas été démontré.

- En toute logique...

La ville va être bombardée, mais les obus de notre DCA atteindront peut-être les avions ennemis, donc le mieux est de continuer à dormir sur nos deux oreilles, sans trop abuser du sommeil !

- J'admire tout de même l'honnêteté de ces Cahiers de nutrition et de diététique pour publier un article qui s'en prend à la cuisine...

Je l'admirais aussi, mais là encore j'ai dû déchanter. Au moment où j'ai demandé à la rédaction de cette revue l'autorisation de reproduire certains extraits d'articles qui étayent mon raisonnement, je me suis vu opposer un refus catégorique. Ces messieurs ne voulaient pas que j'utilise les points acquis par la science pour en tirer des conclusions qui ne concordent pas avec leurs vues. Je ne sais pas si c'est ce que vous appelez de l'honnêteté scientifique...

Mais je ne m'en fais pas. Bon gré, mal gré, notre bonne science devra se rendre à l'évidence: la cuisine a beau remonter à l'Antiquité, elle a beau constituer la base présumée de notre civilisation, cela ne garantit pas son innocuité pour nos organismes.

- Je veux bien, mais on ne meurt tout de même pas sur le coup pour avoir mangé un cornet de frites...

C'est peut-être là le pire: si la pomme de terre frite tuait en vingt-quatre heures, il y a longtemps que même les Belges se seraient aperçus de sa nocivité ! Malheureusement, comme elle vous tue plutôt en vingt-quatre ou quarante-huit ans, en minant progres-sivement vos artères, avec toute la lenteur insidieuse de l'artériosclérose, comment allez-vous faire la rela-tion de cause à effet ?

Lorsque surviendra l'attaque finale, vous accuserez tous les éléments du moment: un choc, le surmenage, le grand âge, le mauvais sort, mais jamais les frites que vous mangiez impunément tous les dimanches depuis trois générations...

- I1 n'est pas facile d'admettre que les bonnes recettes de nos grand-mères pouvaient cacher tant de malélices.

Nos grand-mères ont fait de leur mieux. Elles ont cui-siné avec amour toute leur vie, elles se sont faites les esclaves de l'épluchage et du torchon à vaisselle. Ce n'est pas leur faute. Comment auraient-elles pu deviner ce que nos savants ne font qu'entrevoir !

- Y a-t-il actuellement d'autres chefs d'accusation contre la cuisine ?

Ça commence à poindre de tous les côtés. Aux Etats-Unis, par exemple, un cancérologue dénommé Ames a mis au point une méthode destinée à mesurer les effets cancérigènes des substances alimentaires.

Il a pu évaluer qu'avec la nourriture cuite ordinaire on absorbe une quantité de substances cancérigènes cor-respondant à deux paquets de cigarettes par jour. Si cette nourriture est grillée, bien que cela paraisse plus «diététique», on y trouve jusqu'à l'équivalent de dix paquets de cigarettes!

- Ce n'est plus la peine de s'arrêter de fumer...

O.K. ! mieux vaut s'arrêter de manger cuit... De toute façon, I'instinctothérapie est le meilleur moyen de se débarrasser de la cigarette.

- Vraiment ?

Les fumeurs qui se mettent à l'instincto s'arrêtent pour ainsi dire spontanément de fumer. En général, il leur suffit de quelques jours pour ne plus en avoir envie. Il faut dire qu'avec cette alimentation, on trouve un état de bien-être, d'euphorie presque, qui fait qu'on n'a plus aucune raison de chercher une échappatoire du côté des drogues.

- Mais n'y a-t-il pas de très gros risques d'attraper des parasites en absorbant toute cette nourriture crue, notamment en ce qui concerne la viande ?

Là aussi l'expérience va tout à l'encontre des croyances populaires (pour ne pas parler des croyances médicales). Une alimentation crue, équili-brée par l'instinct, permet de se débarrasser des para-sites, même quand les médicaments classiques restent impuissants. Les aliments crus ont beau contenir des oeufs de parasites, ce qui est déterminant ce n'est pas la contamination, ce sont les facteurs qui rendent pos-sible l'installation des parasites.

- I1 est tout de même évident que la cuisson assure une protection en détruisant les germes pathogènes.

Alors il faudrait tout cuire. Adieu le steack saignant! Adieu les rémoulades et les salades! Il faudrait manger la viande brunie comme de la semelle - ce qui est cancérigène !

Il est impossible de manger cent pour cent cuit. Vous connaissez le cas du scorbut: ce serait la mort à plus ou moins brève échéance. Il y a tout une série de vita-mines, de substances indispensables à la vie qui seraient détruites. Une alimentation viable doit contenir un minimum de crudités, et celles-ci véhiculeront iné-vitablement des oeufs de parasites. Il faut plutôt se demander pourquoi ces oeufs tantôt se développent et tantôt restent sans descendance. Avec l'instinctothéra-pie, on constate que les parasites ne s'installent jamais. Au contraire, des parasitoses rebelles guérissent par-fois en quelques jours.

Par exemple, nous avons vu venir un jour un jeune homme qui avait des oxyures depuis huit mois et qui ne réussissait pas à s'en débarrasser, même avec les anthelminthiques les plus puissants. En quelques jours, tout était parti dans les selles, des tas de petits vers grouillants qui semblaient directement chassés par l'arrivée des aliments crus dans la lumière intestinale. Il n'a plus revu un seul oxyure depuis cette aventure. Mêmes constatations avec les ascaris, les ténias, les amibes, la toxoplasmose...

- I1 y a des gens qui meurent d'amiblase. Si c'était si simple...

Je sais qu'il y a de quoi faire frémir l'édifice médical: c'est justement trop simple! Seulement, il est plus sim-ple encore de prescrire des pilules...

- N'allez-vous pas un peu loin dans vos affirmations... D'après vous, les aliments crus seraient bientôt plus efficaces que les médicaments... Pourquoi alors aurait-on inventé les médicaments ?

Ma foi, je me fie aux faits. J'observe et j'essaie de com-prendre. La médecine n'a jamais eu l'occasion d'obser-ver le fonctionnement de l'organisme dans les conditions où j'ai pu le faire, c'est-à-dire dans les conditions d'alimentation préculinaire.

- Il y a pourtant des animaux sauvages, qui mangent cru, et qui sont atteints de parasitoses ou de maladies infectieuses...

C'est vrai, mais leur alimentation n'est pas forcément équilibrée. La présence des hommes les relègue dans des biotopes plus ou moins misérables; si les superfi-cies dont ils disposent ne sont pas suffisantes ou s'ils se multiplient exagérément sous l'infiuence d'un facteur écologique quelconque, par exemple l'extermination d'un prédateur, ils dévastent leur milieu, leur plage ali-mentaire se déséquilibre rapidement et leurs méca-nismes de détense perdent leur efficacité. C'est ce qui est arrivé dans certains parcs naturels où l'on avait supprimé les Iynx et les loups, et où les cerfs ont proli-féré et déséquilibré leurs pâturages au point de s'affaiblir et d'attraper des conjonctivites purulentes...

- Et l'anisakiase, vous n'avez pas peur de manger du poisson cru ?

Chaque fois qu'on découvre un nouveau parasite ou une nouvelle bactérie pathogène, c'est la panique. Un savant publie sa découverte, les bruits s'amplifient, tout le monde se croit menacé par le nouveau fléau, les médias font la surenchère, et tout à coup on voit par-tout le mal alors qu'auparavant il passait inaperçu. L'anisakis est un parasite que l'on trouve dans la chair de certains poissons de l'Atlantique, depuis qu'on les conserve par le froid sur les bateaux de pêche indus-trielle, sans les vider de leurs viscères. Les vers (on les voit à l'oeil nu, ils ont deux centimètres de long) ont ainsi le temps de gagner la musculature de leur hôte, puis, après consommation, la muqueuse de l'estomac humain. C'est un processus accidentel, car ce n'est pas le cycle naturel de ce parasite. Il faut des conditions très particulières pour qu'il s'installe chez l'homme.

Pour ma part, je soupçonne la pollution d'être à l'ori-gine de la multiplication du parasite chez les poissons et la suralimentation à l'origine de l'abaissement du potentiel de défense chez les consommateurs.Jusqu'ici, on ne m'a signalé aucun cas d'anisakiase dans l'ensemble des personnes qui pratiquent l'instinc-tothérapie correctement. Chez les crudivores qui man-gent du poisson cru sans tenir compte de leur instinct, le problème peut sans doute se poser. Mais il ne faut pas confondre crudivorisme et instinctothérapie. Tout est différent lorsqu'on laisse l'instinct mener la barque. Encore faut-il savoir déchiffrer son langage...

- Et comment expliquez-vous cette efficacité de l'instinctothérapie ?

Je dirais plutôt que c'est l'alimentation cuite qui est très efficace: d'une part elle modifie les données chimiques du contenu gastro-intestinal, les germes de parasites peuvent se développer dans un milieu plus favorable. D'autre part la pénétration de myriades de molécules anormales dans l'organisme compromet le bon fonctionnement du système immunologique et celui-là, rendu inopérant, n'est plus capable de détruire les (fin de la page 57)


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