Air Gastronomique |
Si ce bénévolant a gagné son pari sur la baisse du vent pour décoller, ce n'est pas du tout ainsi pour les deux autres. Ils ont beau jouer à la courte paille ou de politesse, ils jugent ne pas être assez nombreux pour en jucher un autre sur la plate-forme. Ce n'est pas l'envie qui manque ; c'est le début de l'acclimatation du grand sevrage hivernal qui se pointe. Reste à conserver la bonne humeur pour se ménager. En agréable compagnie, cela fait toute la différence. Si un frustré se met à se morfondre, il devient facilement contagieux et communique sa guigne. Mais l'aiglon qui restait avec moi était gentilhomme et ne m'a pas importuné de la sorte. Nous avons patienté agréablement en contemplant sans vitupérer les signes météorologiques d'un ciel dramatique sur une vallée bucolique. Finalement nous avons renoncé véritablement quand le biroute s'est mis à nous montrer l'anus. Le vent rétif avait tourné, il n'y avait même plus d'ascendance et le soleil se couchait. À notre tour de contempler de haut MecFly atterri là-bas près de la petite rivière. Enfin, plicature soignée de l'aile et descente propulsée en camion. Cela n'a pas été notre seul pliage à sec, cet été, mais on partageait vraiment la joie d'avoir libéré au moins l'un de nous. Ça donne le goût de réessayer n'importe quand, sans chialage évidemment.
Passons ensuite à un de mes plus beaux vols de l'année. Je devais être fatigué quand je suis arrivé, après plusieurs heures de route vers le Festivol, pour que mon radiateur intérieur bouille. Je surchauffais à me faire niaiser avec mon char à des détours ridicules et capricieux. Faudrait-il cacher son aile pour passer dans ce rang ? J'avais la mauvaise impression de déranger ou le contraire. En tout cas, j'avais bien hâte de me passer de propulsion. Ces épreuves de patience, c'est le vol libre québécois : un continuel renouvellement de chaos inépuisable, physiquement et psychologiquement. Il y a toujours quelque chose qui cloche dans l'agencement des événements, comme s'il n'y en avait pas assez avec la météo. Les frictions apparaissent plus irritantes quand cette météo est enfin prête et qu'il faut aiguiser sa patience sur une inédite ineptie. Quand je vois un pilote s'impatienter autour de moi, je comprends sa hâte mais je m'inquiète de son attitude de pilote. Je me demande s'il est vraiment libre pour cette journée qui devrait être merveilleuse même s'il ne vole pas. Le pilote en question, soupe au lait, c'est parfois moi. Bof, c'est toujours comme ça : vole, vole pas... Exceptionnelles sont les journées où ça baigne dans l'huile. Je ne me résigne pas à m'y habituer car j'ai une petite superstition qui me dit que ça me garde en éveil. Je pratique continuellement mon affût et mon anticipation et j'ai un peu l'impression que je vole déjà même au pied de la montagne. En bon pilote, je fais donc semblant de rien et offre un peu d'encouragement à ceux qui capotent pour un autre rien de catastrophe. Le voyage est bien commencé et il forme la jeunesse.
Heureusement, on ne reste pas au pied de ce massif de Yamaska. Nous voici au Nordet, tôt le matin pour assister Osée à son premier vol non-téléguidé-par-une-radio. Je participe à l'évaluation météo et à son encouragement, sans la presser. C'est bon, elle est prête, décide tout d'elle-même et s'envole parfaitement. Quel plaisir de lui remettre toutes ses assistances passées à notre égard ! Elle remonte plus tard mais l'activité du four maintenant bien allumé la dépasse, surtout avec son fermable. Au moins, elle estime bien ses capacités. Cette maîtrise signe l'avènement d'une pilote autonome.
Soudain, une foule bigarrée encombre la place. J'ai du mal à me frayer un passage pour décoller. J'ai quand même l'honneur d'être moi aussi assisté ; récolte méritée et je ne me gêne pas trop. Et c'est le festin ! Rarement, j'ai goûté à une soupe thermique de cette classe. Je raffole de la soupe, car comme globe-trotteur j'ai appris que c'est le mets le plus sécuritaire, bien cuite, va sans dire. Alors la soupe de ce dimanche était un mets sustentateur et d'une texture veloutée qui m'a repu, moi dont la faim était aussi creuse qu'un puits d' amiante . Toutes les petites émotions l'avaient creusée et le soleil avait réchauffé le repas juste à point. Sans me brûler la langue, je savoure goulûment un velouté à souhait de convections thermiques. Mes ailes se régalaient librement tout en discutant un chemin à travers un trafic courtois et animé.
Un grain d'épice, ici. Ce parapente ne va pas :( Il creuse vachement. Mais c'est dans les fantômes du verglas qu'il se dirige ! Avant même que je puisse donner une alerte radio, déjà je vois une armée de fourmis qui converge vers son point d'arrêt d'allure inconfortable. Plusieurs mois plus tard, j'ai lu un compte-rendu détaillé et très bien analysé de ce crash. L'auteur conclut à une mauvaise inspection pré-vol à l'origine de sa défaillance. Effectivement, cela n'aurait pas nui d'être plus méthodique à l' inspection . Mais j'ajouterais poliment que pour s'être aventuré aussi loin, c'est un autre appareil, comme un delta, qui aurait été préférable à un simple accélérateur bien installé. Car je cerclais juste au-dessus pour écornifler quand j'ai pris la même chasse d'eau ( d'air ) de la toilette. Et je peux dire que je n'en ai pas eu de reste, moi-mon-Sensor, pour s'en sortir. Il avait les yeux tout écarquillés. Judicieusement, j'ai soutenu une finesse ajustée au meilleur point fixe que je pouvais estimer avec mes yeux. D'autres parties de mon corps étaient relativement serrées car le spectacle était impressionnant. Je me rapprochais plus de l'infortuné copain que du bord de la montagne. Enfin, aussi vrai que je sois là pour le conter, je suis sorti de la zone de prédation et, ayant perdu presque toutes mes réserves, j'ai pu avancer à la table du grand banquet où une autre grosse cuillerée du potage magique m'attendait.
Disons que je ne me suis plus rapproché du crachoir. Car, c'est inévitable et toujours ainsi : " tout lift a son sink " ! ( " Tout monte-charge a son évier " me précise mon chiant correcteur. ) Il faut une marge de manoeuvre, l'estimer adéquatement pour son appareil et ne pas la gaspiller dans l'emportement que j'ai toujours traité comme l'ivresse. La Légende m'a radicalement dompté à cette égard ; son bouillon est servi souvent brûlant, plus contrasté et tabasseux. Il est clair que l'ivresse est visée dans l'exercice du vol libre ; mais le pilotage en soi n'est pas compatible avec l'ivresse, du moins pas trop. Sachant enfin notre infortuné convive indemne, j'ai continué ma boustifaille sans excès. J'avais beau être frugal. Comment résister à l'enchantement de ces saveurs qui montaient si également que mon aile en perdait la carte refoulée en bas ? Les antennes, si acérées, disparaissaient devant mes papilles en totale jubilation. J'allais rejoindre loin en avant des copains qui inventaient des escaliers improbables mais tangibles. On s'est longuement attardé sur chaque cuillerée céleste au fumet vaporeux, chaud et langoureux au palais. Une sensation moelleuse se r épandait dans tout mon corps bien nourri et porté par l'aile docile, souple et à l'aise dans cette condition d'air exquise. Le festin aérien était partagé par un essaim où l'exclamation de satisfaction s'exprimait par des virevoltages en tous sens. L'évanescence m'a finalement englouti et me voilà, avec un grand sourire qui assèche les dents, en train de calculer une inexorable approche. J'en voudrais encore, mais je n'attendrai pas de régurgiter, même si c'est succulent rare. Je réclame le peu de concentration qui me reste. En fait, je défonce ma cible, sans mal ; disons quelques points en moins pour l'élégance finale.
C'était tout un vol. La soupe était à point, un repas principal en soi. Merci, Festivol, de ton invitation, tu cuisines génial. Je prendrai le dessert plus tard à Mont-St-Pierre ; disons une portion double de meringue nappée d'un froid coulis de Nunatak de 4000 pieds d'épais.
DuCk KcUd