Commentaires et impressions de lectures

LOPEZ  DONALD Fascination

Note de lecture n° 37




LOPEZ S. DONALD, "Fascination tibétaine - Du bouddhisme, de l'Occident et de quelques mythes"

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Note 37

D'entrée de jeu, ce livre, traduit de l'anglais, laisse quand même une impression bizarre et surprenante. Dans la quatrième de couverture, on apprend que "l'Occident a réussi à créer un Tibet entièrement sorti de son imagination". Dans la préface, Madame Buttertrille insiste (page 6) "l'Occident a réussi à créer un Tibet entièrement sorti de son imagination, chargés de mythes qui se sont transmis au cours du temps sans que personne s'y oppose...". On tique très fort à cette lecture et aux développements qui suivent ces introductions. Quoi ? Mais ces auteurs, qui se targuent de pourfendre les idées reçues et les affabulations n'ont-ils jamais lu un seul ouvrage d'Alexandra David-Neel ? L'auteur, qui égrène avec moult détails toutes les supercheries construites sur le Tibet et le bouddhisme tibétain depuis 1933, n'a t-il jamais appris que dès 1911, Alexandra David-Neel avait travaillé scrupuleusement sur le Tibet, ses populations, ses différents courants philosophiques ?  "L'Occident", notion aussi vague que "l'Orient" ou autre terme de ce genre, n'a-t-il pas connu d'autres auteurs et d'autres témoignages qui ne correspondent en rien à ce dont traite l'ouvrage (Cette notion "d'occident" à laquelle beaucoup d'europeens ne s'y identifient pas, apparaît aujourd'hui comme tellement dépassée...).

La lecture des journaux de voyage d'Alexandra David-Neel, montre le souci d'un exposé attentif aux sentiments de ses interlocuteurs, un détail des croyances et des interprétations des gens du cru, des analyses qu'elle pouvait se faire de ce qu'elle voyait et vivait.
Alexandra David-Neel et le lama Yongden sont deux auteurs qui, dès la première moitié du XXème siècle, ont témoigné du Tibet et du bouddhisme tibétain et déjà tordu le coup à de nombreuses idées reçues et montré combien certains lamas tibétains pouvaient être eux aussi, de sombres crétins, des manipulateurs de tibétains ou d'occidentaux et des escrocs. (Les travaux et recherches de ces deux auteurs sont conservés et développés au sein de la Fondation Alexandra DAVID-NEEL à Dignes).

On est surpris de cet oubli. La seule citation rapportée à Alexandra David-Neel ne sert à rien d'autre qu'à démontrer le témoignage d'un aventurier ayant eu le même traducteur qu'elle. C'est un peu léger. Il est facile de construire des démonstrations, si l'on omet systématiquement de citer les témoignages de ceux dont les ouvrages, les écrits, les récits, les expériences démontrent exactement le contraire.

Il serait intéressant de montrer la lucidité d'Alexandra David-Neel et du lama Yongden dans leurs ouvrages, pour indiquer notamment que bien des idées reçues et des mensonges colportés par certains ont été dénoncés, il y a bien longtemps par ces deux auteurs.

Plus loin dans l'introduction, l'auteur croit devoir retoquer d'un revers de phrase le livre de Matthieu RICARD et de Jean-François REVEL, le Moine et le Philosophe, sans devoir même citer leurs auteurs, en indiquant que cet ouvrage qui "présente une vision idéalisée du Tibet est devenu un best-seller en France". Heureux auteur, qui a compris quelque chose à cet ouvrage complexe auquel j'ai eu un mal fou à m'accrocher pour pouvoir le lire jusqu'au bout (Cf. la note de lecture n° 10). Mais, ne soyons pas à notre tour mystifiés, si ça se trouve Monsieur LOPEZ ne l'a même pas lu, se contentant de relever que cet ouvrage avait connu un certain succès médiatique.

Visiblement ce livre est surtout destiné à la clientèle américaine (ce qui ne représente pas tout de "l'occident", voire pas du tout "l'occident"). De toute évidence, le bouddhisme tibétain est devenu dans ce pays un produit de consommation de masse. D'aucun ajouteront qu'il peut devenir un business extrêmement rentable, si l'on en juge par les articles de presse à l'occasion du méga-meeting à Bercy autour du Dalai Lama (Cf. l'article du Canard Enchaîné à ce sujet).

Le livre de Donald S. LOPEZ ne rend compte que du phénomène dans son pays. La traduction en français peut paraître hors de propos pour un ouvrage qui ne rend compte ni du bouddhisme tibétain en Europe, ni bien entendu, du bouddhisme tibétain en France. On s'interroge sur la pertinence de cette traduction en français qui peut paraître décalée. A ce propos, le titre anglais "Prisonners of Shangri-la. Tibetan Buddhism and the West" paraît beaucoup plus fidèle à son contenu que ne laisse entendre son titre et son introduction en français.

Ce travail universitaire est certainement très utile aux étudiants du professeur et rappel la structure typique d'une étude de cette nature. Les citations sont pléthoriques et tendent à noyer le sujet par endroits.

Cette étude apparaît pourtant comme pertinente. En effet, elle montre comment le bouddhisme tibétain a fait l'objet d'un remodelage, notamment aux origines de sa découverte en dehors du Tibet. Notons toutefois qu'elle concerne particulièrement les sociétés anglo-saxonnes.

Les lecteurs qui souhaiteraient connaître toutes ces manipulations au sujet du bouddhisme tibétain pourront lire avec intérêt ce livre.

Je voudrai rappeler ici, que dès la création de ce site, l'un des objectifs était justement de se démarquer de certaines traductions, de certaines interprétations (Cf. la deuxième présentation). Les internautes qui ont pu parcourir ces pages, ont pu voir que dès les premiers temps de la création de ce site, il était mis en cause ces auteurs qui ne sont pas bouddhistes et à qui des éditeurs confient la rédaction d'ouvrages grand public sur le bouddhisme.

Cette tendance, qui s'est exprimée très tôt dans les publications se perpétue jusqu'à aujourd'hui. Il y a à peine quelques années, un éditeur croyait devoir confier à un professeur d'une université catholique francophone, un ouvrage sur le bouddhisme. Il y a quelques jours, je découvre un nouvel ouvrage, superbement illustré, sur le bouddhisme écrit par un spécialiste du monde musulman. Bien sur, on ne doute pas du sérieux de ces auteurs dans leur domaine, mais, n'y a t-il vraiment personne d'autre, n'y a t-il vraiment aucun bouddhiste authentique pour parler du bouddhisme ? Par ailleurs, n'est-il pas temps pour les maisons d'édition de passer à autre chose qu'à la sempiternelle introduction sur le bouddhisme ? Ne serait-il pas temps de passer du bouddhisme aux bouddhismes ?

Tous ces ouvrages, depuis la fin du XIXème siècle jusqu'à aujourd'hui posent une vraie problématique qui ressort d'une manière forte de cette lecture comme d'autres à savoir : "pourquoi le bouddhisme n'est-il introduit en Europe essentiellement par des non bouddhistes ? ". On pourrait d'ailleurs développer ce thème en posant cette seconde question "pourquoi certains occidentaux qui s'intéressent au bouddhisme sans jamais le devenir, s'évertuent à ne pas écouter les auteurs authentiquement bouddhistes (tel que Walpola Rahula) ? "

A partir de là, ne peut-il pas n'y avoir que des interprétations erronées, que des approximations, que des apparentements malheureux, que des emprunts à des courants qui n'ont rien à voir avec le bouddhisme. Ces constatations, ces écarts, ces fausses pistes ont été désignées dans ce site, et particulièrement à l'occasion des notes de lecture.

Tout lecteur, sincèrement intéressé par le bouddhisme authentique, par la spécificité de la philosophie bouddhiste, aura certainement, comme moi, laissé tombé un ouvrage en se disant que décidément « il y a quelque chose qui ne colle pas dans cette traduction ». (Cf. introduction sur les traductions)

L'auteur montre tout d'abord combien les premières connaissances sur le bouddhisme étaient surtout transmises par des écrits de tous les missionnaires qui se sont succédés dans la région dans la foulé du colonialisme anglo-saxon et dans la visée de convertir les autochtones à leur religion, en parallèle aux visées militaires et commerciales qu'ils ont toujours accompagné, (on apprend ainsi que Thomas Rhys Davids était fils d'un pasteur ...) .

Ensuite (pages 62 et suivantes...), D.S. LOPEZ rappelle (car ces mensonges ont déjà été dénoncés dans d'autres publications...) la liste des ouvrages et des auteurs qui ont complètement affabulé sur le bouddhisme tibétain, ont menti sur leurs prétendues connaissances, voire ne sont même jamais allé au Tibet ou ne parlant pas le tibétain. Parmi ces véritables faussaires, ces grossières affabulations, ces imposteurs, on retrouve Walter Evans-Wentz, Helena Petrovna Blavatsky, A. P. Sinnett, Ernst Lothar Hoffmann (alias lama Anagarika Govinda), Rati Petit (alias Li Gotami et épouse du précédent), Cyril Henry Hoskin (alias Tuesday Lobsang Rampa) ...

Le simple cas de Cyril Henry Hoskin (alias Tuesday Lobsang Rampa), auteur du "troisième oeil" mérite, à juste titre, un chapitre entier. L'auteur montre qu'Hoskin qui fut très tôt dénoncé comme un parfait faussaire, qui n'avait jamais mis les pieds au Tibet, ni même quitté son Angleterre natale, construit une supercherie totale en compilant différents récits et témoignages d'auteurs sur le Tibet, allié à une imagination débordante. Auteurs ayant pu eux-mêmes avoir été au Tibet ou n'y être jamais allé.

L'auteur s'interesse ensuite au Bardo (le livre des morts) dont on apprend que la plupart des traductions disponibles sont soit douteuses, soit partisanes. Il est domage qu'on n'apprenne pas quelle est la traduction qui paraisse à l'auteur la plus fidèle à l'orginal. A ce sujet, j'indique qu'il existe justement une petite traduction du Bardo Thös Tol d'Alexandra David-Neel dans l'ouvrage "Textes tibétains inédits", Editions Pygmalions/Gérard Watelet, ISBN 2-85704-013-X.

L'auteur examine également les traductions proposées pour la fameux mantra "om mani padme hum". On est aussi un peu surpris du cheminement de ses explications. Pour ma part, j'ai toujours considéré que le sens cette phrase importait peu, mais qu'il s'agissait d'un mantra dont la fonction réside dans la récitation, l'intonation et la répétition, plus que dans la signification.

Enfin, je trouve qu'il est vraiment dommage que l'auteur, qui n'est pas connu en France, et malgré la flatteuse, mais trop brève mention dans la quatrième de couverture à son sujet, ne dise rien de son engagement dans le bouddhisme. Cette information, qui transparaît à la lecture de son ouvrage, ne fait malheureusement pas l'objet d'une présentation spécifique, ni d'explications et de développements.







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Références complètes de l'ouvrage

LOPEZ S. DONALD, Fascination tibétaine - Du bouddhisme, de l'Occident et de quelques mythes, Editions autrement - Frontières, 2003, ISBN 2-7467-0344-0

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