Extrait de "Le régime du Plaisir" de Dominique Guyaux" p. 15 à 23.
Editions "Vivez Soleil", 336 p., ISBN 2-88058-259-8, février 1998 ; disponible chez l'auteur au prix de 155 francs, port compris.
Plusieurs millions d'années durant, les hommes ont mangé cru, tout cru. A l'orée du troisième millénaire, quelques milliers d'êtres humains ont choisi de se nourrir suivant ces lois ressuscitées du fond des âges. Enfin quoi, il n'y a pas de mal à se faire plaisir en mangeant ? Même si sous peine de tout voir aller de travers, nous sommes obligés de nous méfier des plaisirs de la table. De nous méfier du plaisir.
Tant et si bien que, plus ou moins consciemment, nous avons tous été contraints d'apprivoiser nos envies. Jusqu'à parfois les soumettre à un régime si draconien que certains, résignés, en sont arrivés à se nourrir comme on s'acquitte d'une corvée, sans plus d'envie que de plaisir.
Remarque banale ? Non, pas si c'est la nature qui a «inventé» le plaisir dans le but de récompenser les individus qui savent se nourrir justement, en respectant les besoins de leur propre organisme biologique. Pour assurer la survie de l'espèce, certes, mais en s'occupant d'abord de leur propre survie.
Pourtant, le plaisir de manger tel que nous le faisons aujourd'hui, conduit à l'excès, et cet excès nous est nuisible. Cherchez l'erreur...
L'alimentation est, avec la reproduction, une des plus importantes fonctions biologiques. Elle a été peaufinée par des millions d'années d'évolution et nous sommes néanmoins contraints de faire intervenir notre volonté consciente pour que nos plus grandes sources de plaisir alimentaire ne se transforment pas en calvaire. Etonnant, non ?
Et les animaux sauvages, comment font-ils ? ont-ils besoin de faire intervenir une quelconque volonté pour se réguler ou fonctionnent-ils sous un autre régime que celui-là ? Un régime qui ne serait pas un régime. Un mode d'alimentation qui ne fêterait que les aliments dont l'organisme aurait besoin, pour s'équilibrer parfaitement d'une part, et être heureux d'autre part, simplement heureux.
Quelle évolution ! Quelle révolution, devrais-je dire si, d'aventure, je me risquais à établir un rapprochement avec notre sacro-saint art culinaire. Alors, la fonction principale de la cuisine consisterait à tromper l'instinct alimentaire afin de faire paraître bon au palais ce qui est mauvais pour le corps ?
Allons, allons, du calme..., pour qu'un instinct soit trompé, il faudrait encore qu'il soit. Je veux dire qu'il ait été et qu'il n'ait pas totalement disparu. Nous ne sommes plus des bêtes sauvages, nous sommes des hommes avec des règles sociales et culturelles qui, souvent, décident la place des individus et tentent même parfois de se substituer aux lois naturelles de l'évolution.
Il ne sera donc pas facile de faire la part des choses, car l'art culinaire se réclame de l'humain social et culturel que nous sommes, en dépit des exigences de l'individu animal et biologique que nous restons malgré tout.
Dans la nature d'aujourd'hui, c'est encore et toujours par instinct que les animaux sauvages se dirigent vers les aliments dont leur organisme a besoin pour s'épanouir. Autrefois, en ce qui nous concerne, la logique biologique de l'évolution était seule à dicter ses lois à nos ancêtres. En ces temps anciens, de par la fonction d'automédication associée à l'alimentation originelle (nous y reviendrons), c'est le plaisir alimentaire qui se portait garant de notre équilibre. Et lorsque ce dernier était menacé, «plaisir» et «guérir» ne faisaient alors plus qu'un. De nos jours, il est devenu si difficile de lier le plaisir alimentaire à la santé, que l'expression «mourir de plaisir» en est même passée dans le langage populaire.
Nous voilà donc au cÏur du problème: derrière l'alimentation, n'en déplaise à certains, c'est la santé qui est concernée. Beaucoup le savent mais, face au flou artistique qui accompagne les problèmes de l'alimentation, tout le monde fait avec.
J'étais de ceux-là.
Plus tard, après avoir flirté avec l'expression populaire ci-dessus citée, après avoir remis tant d'évidences en question (à posteriori donc), j'ai découvert le sens originel du mot plaisir. Aujourd'hui, fort d'une dizaine d'années d'alimentation originelle derrière moi, j'aimerais que d'autres puissent en profiter. Mais tant de domaines sont concernés qu'il ne sera, hélas, pas possible de tous les évoquer ici. Je ne parlerai donc que de l'aspect alimentaire du plaisir. Il s'agit en effet, avec les choses de l'amour, de l'une des deux plus importantes préoccupations de l'espèce humaine.
Quoi qu'il en soit, pour être tout à fait honnête vis à vis du titre que j'ai choisi, je me dois de vous résumer le cheminement qui m'a conduit à lui. Mais si extraordinaire qu'il puisse paraître, son évocation dans le cadre d'un guide traitant d'alimentation et de santé, n'en reste pas moins banale. D'autant plus que les sujets abordés dépassent largement les horizons d'un individu ou de son époque. Ils concernent l'évolution des hommes en général. Je tiens donc à préciser que la fin de cette introduction n'apportera rien qui puisse faciliter la compréhension des thèmes abordés par la suite. Le lecteur désirant entrer directement dans le vif du sujet pourra donc passer sans scrupule au chapitre suivant.
Un jour, alors que rien ne me laissait présager de ce qui allait advenir de ma vie, je me suis retrouvé avec une sclérose en plaques dans mes bagages. Un sale truc, qui n'arrive qu'aux autres, et que la médecine d'aujourd'hui ne sait pas guérir.
Contraint d'abandonner mon travail, après quelques semaines d'hôpital et de convalescence, j'ai décidé de partir sur les mers. De tout quitter et, tant que cela m'était encore possible, d'assouvir mon vieux rêve d'adolescent.
Arrivé dans les îles Caraïbes sur le petit voilier que j'avais acheté pour la circonstance, j'ai passé un an et demi à naviguer d'île en île et en solitaire. De petit chef d'entreprise, j'étais passé par le stade de malade pris en charge par un corps médical impuissant à résoudre mon problème, pour aboutir à celui de marin solitaire et livré à lui-même.
Désormais, c'est moi seul qui allais devoir assumer tout à la fois la maladie et la navigation. Mon niveau de stress n'avait donc rien à envier à celui que je laissais derrière moi et les crises ont d'ailleurs continué sans diminuer de fréquence ou de gravité. Outre les problèmes inhérents à la navigation en solitaire, il me fallait à chaque nouvelle agression de la maladie, réapprendre à vivre en fonction des handicaps laissés dans son sillage.
J'avais pratiquement perdu l'usage d'un oeil, et la navigation «à vue» ressemblait plus à un jeu de roulette russe qu'à une quelconque croisière d'agrément. Les séquelles des diverses paralysies dont chaque crise m'avait gratifié, transformaient les manÏuvres les plus banales en numéro de haute voltige. Pour couronner le tout, je vivais dans l'angoisse permanente de me voir terrassé par une nouvelle crise en des lieux géographiques ou des conditions météorologiques déjà problématiques en eux-mêmes.
J'étais parti pour vivre mes rêves avant qu'il ne soit trop tard, et pour me constituer le plus gros stock de souvenirs possible en vue d'alimenter les longues années de chaise roulante qui, logiquement, m'attendaient. Mais, dans ma solitude, je ne pouvais vivre que des bribes de rêve, et les seuls souvenirs que j'arrivais à engranger étaient ceux de mes batailles.
Une année durant, je me suis baladé d'île en île et j'étais encore et toujours en guerre lorsque, quelques jours à peine après avoir commencé à pratiquer l'alimentation originelle, je me suis vu remonter la pente à une vitesse vertigineuse.
Jour après jour, mon oeil a retrouvé la vue et ma jambe touchée s'est remise à vivre. Tout était arrivé si brusquement que je me suis longtemps interrogé sur les origines, éventuellement psychologiques, de ces améliorations. Depuis plus d'un an que je vivais sur les mers, mon mode de vie et mes conditions de navigation n'avaient en rien changé. L'évolution de mon alimentation était donc le seul élément que je pouvais me mettre sous la dent pour expliquer cette « rémission».
Quelques semaines après avoir commencé à me nourrir en suivant les règles de l'alimentation originelle, j'en suis arrivé à la conclusion que ma rémission devait probablement faire partie du profil évolutif, toujours possible, de cette maladie. Alors, pour en avoir le coeur net, je me suis décidé à remanger «comme tout le monde».
Mais là n'est pas la seule raison qui m'avait alors poussé à tenter cette expérience; le fait de me nourrir exclusivement de produits crus en vivant sur un bateau, n'était vraiment pas une sinécure. Aux problèmes que me posait l'approvisionnement en produits frais, s'ajoutait celui de la conservation en milieu tropical et ces activités ne me laissaient pas une seconde de répit.
J'ai donc tenté de revenir à une alimentation normale en espérant me libérer de ces contraintes mais, en quelques jours à peine, mes vieux maux de tête sont revenus me tarabuster, mes vieilles fatigues se sont réveillées et les cicatrices de mes précédentes crises se sont rouvertes. J'ai malgré tout insisté mais lorsqu'un début de paralysie s'est attaqué à mon pied gauche, le bon sens a finalement eu raison de moi.
Six mois plus tard, six mois sans crise alors que leur fréquence habituelle était de trois mois, les doutes sont revenus. Les remarques dubitatives de mes fréquentations d'alors aidant, j'ai recommencé ma petite expérience, et je suis arrivé au même résultat. Un an sans crise plus tard, j'ai fait une nouvelle tentative, avec toujours les mêmes conséquences à la clef. Cinq années se sont ensuite écoulées, cinq années où chaque nouvel essai s'est soldé par un début de crise.
Juste avant la sortie de mon premier ouvrage, sachant que mon témoignage risquait de séduire plus d'un lecteur, j'ai décidé de me soumettre à une ultime tentative. Cette fois-là, j'avais voulu aller jusqu'au bout et tenir jusqu'à ce que survienne une vrai crise. Je voulais régler le problème, soit en confirmant une éventuelle relation de cause à effet entre ma maladie et l'alimentation originelle, soit en me libérant des complications sociales liées à ce mode d'alimentation.
Deux semaines ont suffi pour que je me retrouve avec une paresthésie de tout le côté gauche du visage: hospitalisation, cortisone et sevrage, la sanction était suffisamment claire pour que je me décide enfin à faire publier le récit de mes aventures. En l'écrivant, j'avais déjà mis un point d'honneur à ne pas transformer la réalité de ce que j'avais vécu; le meilleur comme le pire y sont passés, rien que la vérité telle que je l'avais ressentie, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique.
Mais l'objectif de ce premier livre n'était pas du tout de donner un mode d'emploi de l'alimentation origi-nelle. Plus égoïstement, il s'agissait pour moi de concrétiser un autre rêve d'écrivain en culotte courte. Alors, je n'avais pas prévu que certaines personnes puissent se lancer dans cette expérience à partir des seules vagues indications que je donnais dans ce récit de voyage. Aveuglé par ma propre histoire, je ne me suis pas une seule seconde imaginé que des malades pourraient se lancer sans même avoir essayé d'approfondir la question. J'ai été de leur côté et je connais bien la valeur des espoirs déçus. Lorsque les médecins m'ont annoncé que j'étais atteint d'une sclérose en plaques «incurable», j'ai moi-même réagi en faisant la tournée des quelques charlatans qui sévissaient dans ma région.
Mais en échange d'hypothétiques résultats, «à venir», ils me demandaient des honoraires de maître chanteur. Alors qu'en ce qui concerne l'alimentation originelle, que l'on paye peu ou prou pour accéder à sa connaissance, lorsque elle est acquise c'est à jamais. Et il n'est point nécessaire de continuer à alimenter l'escarcelle de tel ou tel gourou.
Mais cette méthode alimentaire doit néanmoins s'apprendre, car l'art culinaire est essentiellement social et culturel. Ces valeurs, propres à chaque civilisation, sont si profondément enracinées en nous qu'il est difficile d'imaginer qu'elles n'aient pas toujours été. Par conséquent, les problèmes qui découlent de la remise en question de toute pratique culinaire dépassent largement le cadre d'un régime, si traditionnels ou diététique fut-il.
Extraits du même ouvrage :
Témoignages cités (p. 212 à 223) Leucémie aigüe, asthme, sinusites, maux de tête, sommeil, fatigue générale ; Spondylarthrite ankylosante
Image de la couverture (68 K) ; Page de l'auteur sur ce livre
Autre livre du même auteur :"Quand je serai seul avec la mer", 336 p., éditions TF1.